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« Mastodon, c’est un bien commun, surtout vu l’environnement médiatique et politique »
#Mastodon #reseauxsociaux #fediverse
Article mis en ligne le 16 juin 2025
dernière modification le 14 juin 2025

Avec le soutien de Musk à Trump et aux extrêmes droites européennes, un mouvement se forme pour quitter X/Twitter. Mastodon, réseau social non lucratif et respectueux des données, est la première alternative. Rencontre avec son responsable technique.

(...) La première alternative à X, Instagram ou Facebook, c’est depuis plus de huit ans Mastodon : un réseau social sans publicité et un logiciel libre et open source développé par une organisation à but non lucratif. (...)

En plus, Mastodon est décentralisé, c’est-à-dire qu’il n’est pas contrôlé par une seule entreprise qui gère tout. Des structures indépendantes des fondateurs de Mastodon peuvent créer leurs propres serveurs sur le réseau. Mediapart, par exemple, l’a fait dès janvier 2023. Chaque serveur Mastodon est totalement indépendant, tout en étant capable d’interagir avec les autres pour former un réseau social mondial.

Aujourd’hui, Mastodon c’est 10 000 instances indépendantes de ce type, qui assument leurs coûts d’hébergement et opérationnels (technique, modération…). Certaines, comme piaille.fr, ont même créé leur propre structure associative.

Mastodon avait connu un premier boom d’inscription en 2022, au moment du rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk. Aujourd’hui, le réseau souhaite se transformer en fondation, gouvernée de manière collégiale et transparente, pour le protéger de tout rachat par des milliardaires mal (ou même bien) intentionnés.

Entretien avec Renaud Chaput, responsable technique de Mastodon et l’un des francophones du projet (créé par un Allemand), qui réunit aujourd’hui des contributeurs et des utilisateurs à travers le monde. (...)

On pense qu’on a loupé une opportunité en 2022. Mastodon a beaucoup grossi alors et a implosé. En trois semaines, environ six millions de personnes ont essayé de s’inscrire, alors qu’il y avait moins de 100 000 personnes au début. Techniquement, on n’a pas fait face. Et l’interface n’était pas forcément géniale.

Donc, les gens ne sont pas restés. Et on a à nouveau raté une opportunité ces derniers mois, dans laquelle BlueSky s’est glissé. On se dit que ça aurait été mieux si c’était nous qui avions représenté l’alternative la plus évidente pour quitter X. On est toujours contents qu’il y ait de nouveaux acteurs, mais on a des doutes sur la pérennité de BlueSky. Pour nous, leur modèle financier, économique, d’actionnariat, ça reste la même chose que ce qu’il y avait avant. Et on pense que les mêmes causes, à terme, créeront les mêmes effets.

Quel problème pose BlueSky selon vous ?

Ce qui ne m’inquiète pas chez BlueSky, ce sont les gens qui l’ont créé. La PDG, les équipes, a priori, pour moi, ont un bon fond et des objectifs louables. Mais ça reste une société commerciale de droit américain, qui vient d’être valorisée à 700 millions de dollars et de faire une nouvelle levée de fonds d’investissement. Derrière, il y a des fonds d’investissement comme Bain Capital, des fonds d’investissement de cryptomonnaie. Pour l’instant, BlueSky est perfusé par ses investisseurs et continue à lever des fonds. (...)

À un moment, ils vont exiger de la rentabilité. À la question de comment on rentabilise un réseau social, les seules réponses qui ont été apportées à l’heure actuelle, c’est de revendre des données et de mettre de la pub. Cela veut dire collecter des données sur les utilisateurs, et cela veut dire créer de l’engagement, ce qui revient à dire créer du conflit. (...)

Certes, l’entreprise BlueSky a inscrit dans ses statuts qu’il s’agit d’une « Public-benefit corporation », ce qui signifie qu’elle considère le bien commun et pas seulement les actionnaires. Mais c’est difficile de savoir à quel point les actionnaires peuvent renoncer à cet engagement s’ils le décident.

Un réseau comme Mastodon qui, justement, ne va pas monétiser les données de ses utilisateurs, peut-il vraiment faire le poids face à une entreprise qui lève des centaines de millions d’euros ?

Notre espoir, c’est que la prochaine fois qu’un réseau social explose, on sera là et on sera mieux préparés. On saura mieux accueillir les gens. Avec notre budget actuel, tout est beaucoup plus lent à développer. Aujourd’hui, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, beaucoup de gens nous contactent, car ils se rendent compte des enjeux. Ils nous demandent comment faire pour nous soutenir. Mais en France, il y a très peu d’écho au niveau des décideurs politiques.

Est-ce pour cette raison que Mastodon veut devenir une fondation ?

Le projet a besoin de grossir. C’est un projet open source qui a démarré il y a huit ans avec Eugen Rochko, son fondateur, qui vit en Allemagne et qui a lancé ça tout seul alors qu’il était encore à l’université. Depuis, beaucoup d’utilisateurs et d’utilisatrices ont rejoint Mastodon. (...)

Aujourd’hui dans l’équipe cœur, nous sommes une douzaine de personnes. Quelques salariées à temps plein d’une société enregistrée en Allemagne. Et quelques personnes à temps partiel ou freelance. Ensuite, c’est du bénévolat. Et il y a tous les contributeurs et contributrices volontaires au niveau code ou de la documentation.

Environ 950 personnes ont contribué au projet, sans rémunération. C’est un gros projet open source. Un des problèmes, c’est que rien que pour gérer la communauté de contributeurs volontaires, de notre côté, ça nécessite une ou deux personnes salariées à temps plein. Parce qu’il faut vérifier ce qu’ils font, les guider, répondre, corriger les problèmes.

Une fondation pourrait-elle permettre de récolter plus facilement des dons philanthropiques ?

La société qui porte Mastodon peut déjà récolter de dons depuis 2021. C’est une entreprise au statut de « société d’intérêt général à responsabilité limitée » [« gGmbH », en allemand, ndlr]. Mais l’autorité fiscale allemande nous a envoyé une lettre début 2024 disant qu’elle ne nous considérait plus « d’intérêt général ». Ça a été compliqué de savoir pourquoi. A priori, c’est parce que dans le code fiscal allemand, ce n’est pas marqué explicitement que l’open source peut être à but non lucratif.

On sait qu’il y a des associations en Allemagne qui se battent pour que cela soit possible, entre autres Wikipédia. Les Verts allemands portent une proposition de loi en ce sens depuis des années. Cela n’a mené nulle part pour l’instant. On a perdu ce statut non lucratif qui nous servait à garantir l’indépendance du projet parce qu’il évite la revente de la société.

Donc s’est posée la question de comment rester indépendant, comment sanctuariser les valeurs et le contrôle du projet. C’est là qu’est venue l’idée de créer une fondation, mais probablement pas en Allemagne. On discute avec des cabinets d’avocats. (...)

Aujourd’hui, on a un budget annuel de 600 000-700 000 euros, qui est déjà quasiment entièrement basé sur des dons. On a publié notre rapport 2023 il y a quelques semaines, on va bientôt publier notre rapport 2024. Plus de 9000 personnes nous donnent mensuellement sur la plateforme Patreon. Et il y a de gros donateurs. La fondation Mozilla nous a ainsi donné 100 000 euros. Des particuliers nous ont aussi fait de gros dons, de riches Américains surtout. (...)

Nous n’avons pas encore défini la gouvernance de la future fondation. On y travaille avec les avocats et avec la communauté de contributeurs. Nous voudrions quelque chose qui soit représentatif d’un peu tous les utilisateurs et utilisatrices de Mastodon au sens large. Nous pensons que les gens qui contribuent à Mastodon doivent être représentés au niveau de la gouvernance. Les organisations qui utilisent Mastodon, les gens qui hébergent des serveurs Mastodon probablement aussi. (...)

Mastodon est décentralisé. On a à peu près 250 000 utilisateurs et utilisatrices sur le serveur mastodon.social, que nous hébergeons, ce qui représente un quart du réseau. Mais on ne collecte absolument aucune donnée sur les gens. Après, on sait que l’utilisation de Mastodon est importante en Europe, au Japon, et aux États-Unis. Ce sont les trois zones principales.

Au Japon, ils sont beaucoup sur des instances japonaises, où les utilisateurs discutent entre eux en japonais. Il s’agit plus de communautés locales qui agissent moins avec la sphère internationale de Mastodon. Ce qui est moins le cas en Europe et aux États-Unis. (...)

il y a sur Mastodon beaucoup de moyens de contrôler qui peut lire ce que vous publiez. Il y a aussi sur Mastodon beaucoup de militants des droits humains, des associations, des gens de gauche. (...)

On a quelques grands donateurs états-uniens qui nous permettent aujourd’hui de financer la création de la fondation, et probablement notre budget pour l’année qui vient, qui nous ont fait des dons car ils sont paniqués. (...)

Ce sont des gens actifs dans la tech qui se disent qu’il faut faire quelque chose, parce que les quatre années à venir vont être dures. Des fondations pour la liberté d’expression sur internet nous contactent également. (...)