Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Lucie Castets cherche la clé pour gouverner
#NFP #LucieCastets
Article mis en ligne le 5 août 2024
dernière modification le 2 août 2024

Autour de Lucie Castets, une équipe de proches et les partis du NFP s’organisent pour pousser sa nomination comme première ministre. Même si Emmanuel Macron y consentait, les défis structurels d’un gouvernement minoritaire de gauche restent entiers.

L’effet d’annonce a fonctionné. Mais comment s’inscrire dans la durée ? C’est tout le dilemme auquel les gauches et les écologistes sont confronté·es depuis l’annonce surprise, et réussie, du nom de sa candidate à Matignon.

Une heure avant l’entretien télévisé d’Emmanuel Macron le 23 juillet, le Nouveau Front populaire (NFP) proposait Lucie Castets comme première ministre. Même si le président de la République a prétendu que ce n’était « pas le sujet », une hypothèque importante a été levée ce soir-là par la gauche unie, qui s’avérait jusque-là incapable de s’accorder sur un profil. (...)

Mais dix jours ont passé et l’Élysée n’a montré aucun signe d’ouverture. Non seulement la « trêve » proclamée par Emmanuel Macron est insincère, puisque des décisions sont prises bien au-delà des affaires courantes, mais son entourage a fait dire au Monde que le président réfléchissait à un autre scénario, autour d’« un homme ou [d’]une femme, consensuel(le), qui plaise à la gauche comme à la droite tout en offrant “un parfum de cohabitation” ».

Un « déni » dénoncé par de nombreux responsables du NFP, et même une « entreprise de sabotage » selon la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier. (...)

« Pour sortir de la crise politique et institutionnelle que vous avez choisi d’ouvrir […] et respecter le verdict des urnes, vous n’avez pas d’autre choix que de nommer Lucie Castets première ministre », martèle une récente tribune d’élu·es et de personnalités du monde associatif et intellectuel. Mais en pleine torpeur estivale, et alors que l’attention est braquée sur les Jeux olympiques, que peuvent faire la gauche et sa candidate face à la sourde oreille élyséenne ?
La méthode Castets

Continuer de convaincre, et se préparer malgré tout, explique-t-on dans son entourage proche : « Une part du travail consiste à faire progresser la gauche dans la société, et donc à continuer la bataille dans l’opinion sur les enjeux économiques et sociaux. Une autre part consiste à transformer les éléments du programme du NFP en actes de gouvernement. »

Pour l’heure, Lucie Castets a effectué deux déplacements, accompagnée de représentant·es de toutes les gauches : une déambulation dans les rues de Lille le 27 juillet, et la visite à Duralex le 31 juillet (...)

Concrètement, Lucie Castets s’appuie sur un premier cercle de proches, parmi lesquels on compte Arnaud Bontemps, fondateur du collectif Nos services publics auquel elle appartenait ; la militante féministe Caroline De Haas ; les économistes Lucas Chancel et Michaël Zemmour ; ou encore l’ex-préfète et actuelle conseillère maître à la Cour des comptes Marie Lajus. (...)

Une équipe où l’on trouve beaucoup d’intelligence et de compétences, mais dont la taille modeste la conduit à s’appuyer sur un deuxième cercle de soutiens. Non décisionnaire et tenu à distance des relations avec les partis, celui-ci mêle également des profils d’activistes et de hauts fonctionnaires, prêts à rendre service en produisant des notes, ou en servant de relais avec d’autres milieux. (...)

Les dilemmes d’un gouvernement minoritaire

Outre la superbe ignorance affichée par Emmanuel Macron, l’un des termes les plus compliqués de l’équation tient évidemment à ce qu’un gouvernement du NFP serait de toute façon minoritaire à l’Assemblée. Cela est vrai de toutes les forces politiques prises une à une, sans qu’il existe de mode d’emploi sur la façon dont dénouer ce problème – s’il est dénouable, dans le cadre institutionnel particulièrement défavorable de la Ve République.

Pour l’instant, la méthode pour parvenir à gouverner dans la durée (au moins un an – aucune dissolution ne peut avoir lieu avant) n’est pas complètement arrêtée. Ayant évoqué une approche « texte par texte », Lucie Castets a également admis que l’absence de majorité absolue nécessiterait des « compromis » – autrement dit, le principe d’appliquer « le programme, rien que le programme », souffrira d’entorses. Mais si des échanges informels entre la gauche et la Macronie existent, Lucie Castets n’a pas ouvertement invité à de véritables discussions au-delà du NFP. (...)

Reste le risque, si aucun accord a minima n’est passé, qu’une approche au coup par coup se solde par une série d’échecs. Surtout, l’agenda des prochains mois sera saturé par la question budgétaire, qui est la plus délicate. Elle concentre en effet des différences d’approche économique très nettes entre la Macronie et la gauche, tout en conditionnant une bonne partie du reste de la politique à mener. Le tout dans un contexte où l’Union européenne et les marchés feront pression sur un gouvernement peu amical envers les milieux d’affaires.

« On peut faire du texte par texte sur des projets de lois ordinaires, mais c’est impossible sur le budget, affirme le député socialiste de l’Eure Philippe Brun. Il faut qu’un gouvernement NFP obtienne un accord de non-censure. Ce n’est pas impossible dans la mesure où le camp présidentiel est en voie d’autonomisation. Mais il ne faut pas se raconter d’histoire : cela implique de négocier l’application du programme et donc d’accepter des amendements. Pas par traîtrise, mais parce qu’on a 190 députés et pas 290. (...)

« Il y a des gens qui travaillent sur cette question-là », rétorque-t-on de manière sibylline parmi les interlocuteurs plus réguliers de Lucie Castets.

Dans un entretien à La Tribune Dimanche, celle-ci affiche une certaine confiance, en y déclarant : « J’essaierai d’éviter le 49-3 sur le budget mais je ne peux pas promettre de ne pas l’utiliser. Ensuite, pour qu’une censure soit votée, il faudrait qu’elle ait une majorité. » Aucune des composantes du NFP, à ce stade, ne veut donner l’impression d’une collusion avec le camp présidentiel battu, qui a lui-même fait peu de cas des préférences de la gauche depuis sept ans.

Le risque, soulevé avec le plus de force par les Insoumis·es depuis le lendemain des législatives, serait de nourrir la machine à décevoir et de compromettre les chances futures de la gauche. (...)

Au fond, la crédibilité du « scénario Castets » ne dépend pas seulement du bras de fer inégal entre le NFP et Emmanuel Macron. Elle renvoie à un débat de fond dont les termes ne sont pas toujours assumés clairement : notre modèle socio-économique est-il si croulant que la gauche aurait en fait intérêt à rester en réserve, en demandant à l’électorat de lui donner une vraie « force de gouverner » pour imposer une alternative cohérente ? Ou est-il encore possible de mener une politique utile de « salut public », dans le cadre des contraintes politiques indépassables de la nouvelle Assemblée ?