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Mediapart
Lors des révoltes en Nouvelle-Calédonie, des habitants armés ont été soutenus par la police
#NouvelleCaledonie #Kanaky #milices
Article mis en ligne le 31 mai 2024
dernière modification le 30 mai 2024

Plusieurs témoignages recueillis par Mediapart font part de l’absence de contrôle des policiers sur des citoyens d’origine européenne armés, voire de « deals » passés entre eux

« Nous vivons la disparition de l’État de droit », déclare auprès de Mediapart une magistrate en poste au tribunal de Nouméa, observant le blanc-seing que les autorités accordent aux groupes d’habitants armés d’origine européenne, impliqués dans la mort de trois Kanak.

Selon différents témoignages et documents recueillis par Mediapart, des habitants d’origine européenne, souvent armés, bénéficient, malgré le délit d’attroupement armé, du soutien des autorités, et passent même parfois des « deals » avec la police. Contacté, le cabinet du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a refusé de répondre à nos questions. (...)

Dans un compte rendu rédigé à l’un de ses collègues, un policier participant aux opérations rapporte que « tous les quartiers sont protégés par les résidents qui ont érigé des barrages ». Il le justifie parce que « l’État n’est plus en mesure d’assurer la sécurité de la population. Les résidents assurent eux-mêmes leur propre sécurité en constituant des milices ».

Aucune intervention n’est prévue pour interpeller ces citoyens armés. Au contraire, s’appuyant sur ces habitants, le policier explique qu’il peut ainsi « prioriser les personnes en détresse ».

Nous avons passé un deal avec les policiers. Nous assurons la sécurité à l’entrée des quartiers et ils s’occupent du reste.

Alexandre, habitant le sud de Nouméa et participant à un barrage (...)

Un fonctionnaire du ministère de l’intérieur en lien avec plusieurs policiers présents à Nouméa ne mâche pas ses mots. « Les policiers s’appuient sur les barrages constitués de citoyens dits “vigilants”. C’est ultra-dangereux. Compte tenu des sous-effectifs sur place, c’est la seule solution qu’ils ont trouvée. » Il constate que « l’arrivée des renforts n’a rien changé » et déplore quant à lui qu’« il n’y a[it]plus de respect de la loi » sur un territoire « encore très colonial ».

Le haut-commissaire de la République ne s’en est d’ailleurs pas caché dans ses dernières déclarations. Reconnaissant l’existence de ces « milices », dont certains des membres sont des assassins, il leur a néanmoins tendu la main en précisant : « Je sais que dans certains secteurs de l’agglomération de Nouméa, des groupes de protection, des groupes de voisins vigilants se sont mis en place. […] Que ces voisins vigilants restent là où ils sont. Je sais que c’est un réflexe de protection qui correspond aux attentes de la population des différentes communes de l’agglomération. Au fur et à mesure que les renforts arrivent, ces relèves viendront prendre la place de ces voisins vigilants. »

Interrogé sur les armes présentes sur certains barrages et sur ces accords tacites passés avec la police, le haut-commissariat a refusé de répondre. (...)

« C’est un miracle qu’il n’y ait que sept morts. Il y a beaucoup d’échanges de tirs et on ne va pas se mentir, nous ne sommes pas des citoyens pacifistes. Tout le monde est surarmé. » (...)

Néanmoins, ces groupes d’habitants prennent soin de dissimuler leurs armes et de tempérer une image trop va-t-en-guerre. (...)

« Certains de ces habitants qui ont pris la tête de l’organisation du barrage se disent être d’anciens militaires, mais je ne sais pas si c’est vrai. En tout cas, ils sont armés, vêtus de treillis, cagoulés et ont pris soin de masquer la plaque de leur véhicule. »

Sur ce barrage, chacun a une tâche bien définie : « Il y a le chef de groupe, les tireurs, ceux qui ont un fusil, les lanceurs de cailloux, de cocktails Molotov. Il y a des rotations sur le système des quarts pour se relayer sur le barrage. » (...)

Si ce fonctionnaire accepte aujourd’hui de témoigner, c’est qu’il a peur de « l’extrême violence et du racisme exacerbé de ces milices ». « Ceux qui tiennent ce rond-point ont déjà agressé un jeune qui avait fait des courses. Il rentrait chez lui à vélo et au moment où il a voulu passer, trois habitants lui sont tombés dessus et l’ont plaqué au sol. Son seul tort : il était noir. Il n’y a plus de limite et ils le font en toute impunité. »

À sa connaissance, « aucun des habitants de [s]on quartier n’a été agressé physiquement. On ne peut pas dire la même chose des Kanak qui sont morts ou blessés. Les jeunes émeutiers, qui ont environ entre 13 et 15 ans, brûlent souvent les voitures. Et [son] quartier est loin d’être le plus menacé ».

Il préfère d’ailleurs garder l’anonymat « pour éviter que les membres de ces milices ne s’en prennent à [s]a famille » ou à lui. « C’est très inquiétant le soutien du haut-commissaire et donc de l’État à ces groupes armés qu’il nomme “voisins vigilants”. » (...)

Depuis la visite d’Emmanuel Macron à Nouméa, Gil Brial est « confiant ». Lui qui avait voté pour Marine Le Pen en 2017, parce que « Macron avait dit que la colonisation était un crime contre l’humanité », il se dit « beaucoup plus rassuré, depuis, par les positions du président sur le sujet ».

Mais, « ça ne va pas assez vite », regrette l’élu, avant de rajouter : « Certes, il y a des morts, mais les gendarmes y vont trop en douceur. » (...)

Cette magistrate peine à cacher son inquiétude lorsqu’elle voit « des habitants sur les barrages avec des barres de fer, voire pour certains des fusils qu’ils évitent de mettre en évidence ». « Nous sommes en présence de faits délictueux, car les barrages constituent le délit d’entrave à la circulation et à la liberté d’aller et venir. »

Ces groupes d’habitants « se rendent également auteurs du délit d’attroupement dès lors qu’il y a soit des personnes armées, soit des armes à proximité immédiate, donc prêtes à servir. Mais la police n’interpelle pas les habitants d’origine européenne. Elle a même tendance à s’appuyer sur ces comités informels ».

En revanche, les forces de l’ordre n’hésitent pas « à interpeller des Kanak qui auraient participé à des barrages. Dans les deux cas c’est illégal, mais pour les uns, c’est considéré comme légitime, et pour les autres, comme un délit ».

Lire aussi :
- Nouvelle-Calédonie : un élu LR parmi les milices

Mercredi 15 mai, dans le quartier de Tuband à Nouméa, un élu loyaliste, Philippe Blaise, a été aperçu au milieu d’une milice armée de battes de baseball, de barres de fer et d’un couteau. Le vice-président de la Province Sud, membre de LR, les appelle « mes mecs ». (...)

Mediapart s’est procuré deux vidéos, d’une quinzaine de minutes chacune, filmées ce jour-là par deux habitants dans le quartier de Tuband et publiées sur Facebook. L’un des hommes filmés est bien un élu. Il s’agit de Philippe Blaise, membre du parti Les Républicains (LR) et vice-président de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, dirigée par l’ex-secrétaire d’État Sonia Backès (LR également).

Sur la vidéo, on aperçoit Philippe Blaise, casque à la main et gilet pare-balles sur la poitrine. L’élu loyaliste est posté debout à proximité du rond-point de l’Eau-Vive, à l’entrée du quartier, accompagné d’un groupe composé de quelques femmes et d’une majorité d’hommes. Ils sont pour la plupart masqués, cagoulés, casqués. Certains tiennent à la main des battes de baseball, un club de golf, ou une barre de fer. L’un d’entre eux est muni d’un grand couteau, sorte de machette. (...)

Dans la vidéo, la façon dont Philippe Blaise parle des civils armés autour de lui interroge. Il parle d’eux comme de « [ses] mecs ». Cela signifie-t-il qu’il dirige cette milice armée ? « Je ne participe pour ma part ni n’organise aucune milice armée », répond l’élu, qui explique avoir réactivé « un réseau informel de militants et de citoyens bénévoles » déjà existant après avoir été « alerté informellement par des membres de la police qu’il risquait d’y avoir des émeutes ». Il assume néanmoins avoir un rôle « catalyseur » sur les dispositifs de sécurité grâce à ses « relations personnelles » et son « expérience ». (...)

Le 13 mai, il appelait par exemple les habitants de Nouméa à « s’organiser entre voisins, à chaque fois que cela est possible, pour être en mesure de sécuriser solidairement leurs rues ». « Les forces de l’ordre étant mobilisées sur les points chauds, elles ne peuvent pas intervenir partout. Chaque rue sécurisée allégera leur travail », concluait-il.

Deux jours plus tard, il demandait aux « citoyens courageux » qui participent à « la sécurisation de leur quartier » d’éviter de poster des photos et vidéos sur leurs propres réseaux sociaux afin d’éviter d’alimenter ce qu’il appelait alors « la campagne de haine des réseaux indépendantistes », mais aussi d’éviter de « dévoiler [leurs] dispositifs ou [leurs] personnels ».