
Des mineurs maltraités censés bénéficier d’éducateurs ou de placements ne voient rien venir avant des mois, voire des années. Alors que les Assises de la protection de l’enfance se tenaient les 27 et 28 juin à Lyon, des magistrats décrivent les conséquences de ces délais indignes.
(...) Les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui dépendent des départements, sont censés mettre immédiatement en œuvre les mesures de protection ordonnées par des juges, qu’il s’agisse de placements pour des mineur·es en grave danger ou de mesures d’« assistance éducative » pour des familles qu’il est encore temps d’aider (via des travailleuses et travailleurs sociaux). Mais faute de moyens, de plus en plus d’enfants sont laissés sur le carreau, avec des délais qui peuvent atteindre deux ans dans plusieurs endroits de France. (...)
« Et personne n’en parle ? Ça ne fait pas scandale !? », s’est récemment indignée la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (principale organisation), devant la commission d’enquête sur « les manquements de la protection de l’enfance », dissoute avec l’Assemblée nationale le 9 juin au soir.
Trois jours plus tard, lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron a certes lancé : « Il nous faut rebâtir notre aide sociale à l’enfance. » Mais sans livrer la moindre piste. Les départements manquent d’argent, d’éducateurs et d’éducatrices, de foyers, plus ou moins selon les secteurs, mais globalement de tout.
Par où commencer ? Il n’existe même pas de statistiques officielles sur ces délais de la honte, qui passent largement sous les radars des médias. Des délais qui s’étirent, qui s’enroulent, qui finissent par étouffer des vies, et où se niche l’un des pires renoncements de la République.
Récemment, un diagnostic inédit a été fourni par le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), grâce à un questionnaire auquel un tiers des juges des enfants de France ont répondu. Verdict : au moins 3 500 enfants victimes d’inceste, de coups ou de négligences graves attendaient, à l’automne dernier, que leur placement – ordonné – soit mis en œuvre « pour de vrai ». (...)
Quant aux mesures d’assistance éducative auprès des familles, une quarantaine de magistrat·es signalaient entre huit et douze mois d’attente en moyenne avant leur démarrage effectif ; et une quinzaine déploraient des retards de plus d’un an.
Pour saisir les conséquences de cet effondrement silencieux, qui était sur toutes les lèvres lors des Assises nationales de la protection de l’enfance qui se sont tenues les 27 et 28 juin à Lyon, Mediapart a interrogé quatre juges (adhérent·es du SM ayant répondu au questionnaire). En poste en Seine-Saint-Denis, Sibylle* résume : « Parfois, on a de la chance, la situation dans la famille se rétablit toute seule ; mais tellement de fois, c’est dramatique. » (...)
Un sentiment de gâchis et d’impuissance étreint donc ces magistrat·es. Le plus rageant, peut-être : ces juges arrivent régulièrement à obtenir, lors de la première audience avec les parents, une forme d’acceptation du suivi éducatif. « On leur explique que c’est dans l’intérêt de l’enfant, qu’on va les aider, déclare Charlotte. La plupart des parents adhèrent, en fait. Notamment lorsqu’ils ont de grands adolescents aux manifestations “bruyantes”. » Mais quand ils ne voient personne sonner chez eux, « ils ne comprennent plus : “Vous nous avez dit que ça n’allait pas et vous nous abandonnez ?!” ». Certains finissent par écrire au tribunal pour réclamer eux-mêmes que les décisions de justice s’appliquent.
Les magistrat·es, de plus, sont rarement informé·es de l’inexécution de leurs ordonnances. (...)