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Union rationaliste /Michèle Leduc, Physicienne, directrice de recherche émérite au CNRS, membre de l’Union rationaliste et rédactrice en chef de la revue Raison Présente
Les personnels de la recherche face aux défis environnementaux
#urgenceclimatique #biodiversité #recherche #CNRS
Article mis en ligne le 14 janvier 2024
dernière modification le 12 janvier 2024

(...) L’institution CNRS dans son ensemble, à la suite d’un premier bilan de ses émissions de gaz à effet de serre en 2019, étudie un plan de transition bas- carbone pour l’ensemble de ses laboratoires. Les chercheurs sont pionniers dans le constat de la dégradation de l’environnement. On les croise souvent en première ligne pour appeler à l’action publique en vue de « sauver le climat » ou préserver la biodiversité : il est logique qu’ils soient partants pour modifier leurs propres pratiques professionnelles. Il y va de leur responsabilité personnelle et de celle de la communauté à laquelle ils appartiennent (leur laboratoire, leur organisme de recherche, leur université).

Le collectif « Labos 1poin5 »

En France, depuis mars 2019, un collectif intitulé « Labos 1point5 », devenu Groupement De Recherche (GDR) depuis juin 2021, regroupe des scientifiques d’horizons variés du secteur académique dans le but de coordonner des actions favorables à la préservation de l’environnement. Une enquête menée par ce collectif en 2020 indique que les personnels de recherche se disent majoritairement et de façon croissante « extrêmement » ou « très » préoccupés par le changement climatique. Il en ressort que la recherche doit, non seulement produire des connaissances sur la détérioration de l’environnement, mais aussi promouvoir des pratiques et des politiques innovantes, voire inspirer d’autres secteurs économiques.
Cette responsabilité impose des mesures au quotidien (...)

Dans le cadre de l’enquête du GDR « Labos 1point5 » les instituts et les laboratoires de recherche sont incités à faire leur propre bilan carbone. Les situations sont très différentes selon les disciplines et le type de recherches menées, c’est pourquoi l’aide du GDR est très utile. Il est soutenu par les organismes CNRS, INRAe, INRIA et ADEME. (...)

Des tensions face aux mesures à prendre

En réalité, dans les laboratoires, la mise en œuvre de mesures effectives à prendre pour limiter l’empreinte carbone des activités suscite des interrogations, voire des oppositions (...)

La pertinence de la préservation de l’environnement comme boussole orientant la recherche est questionnée. Pour certains, l’ampleur et la nature des efforts à consentir dans leurs pratiques quotidiennes sont contraires à la recherche d’excellence qui doit motiver tout chercheur et à laquelle poussent les organismes qui les financent. Ainsi au LKB il leur paraît absurde que les meilleures équipes, à la pointe mondiale des avancées fondamentales dans le domaine des technologiques quantiques, aient à se passer de l’oscilloscope haute fréquence dernier cri nécessaire pour aboutir plus vite aux meilleurs résultats face à la concurrence internationale.
Pour d’autres au contraire, la réflexion s’oriente dans une autre direction : ils considèrent que la recherche ne pourra répondre aux défis environnementaux que si elle repense son modèle aujourd’hui trop « productiviste ». Sont vivement critiquées la course incessante aux contrats de recherche et aux invitations dans des conférences internationales, l’injonction à publier de plus en plus d’articles si possible dans les revues les plus prestigieuses, la compétition frénétique et meurtrière entre équipes concurrentes. Est aussi questionné le recours à de grandes infrastructures de recherche requérant une énergie abondante supposée sans limites, tels les grands accélérateurs comme ceux du CERN, ou encore les missions spatiales dont le coût-carbone est exorbitant.

DES SUJETS DE RECHERCHE À REMETTRE EN CAUSE ? (...)

Au point, pour nombre de chercheurs, d’envisager de changer de domaine de recherche ou même de métier pour se consacrer à l’urgence climatique. Un article du Monde de 2022 rapporte les cas de ces chercheurs en neurobiologie, chimie, aéronautique, qui se sont laissé tenter par la « bifurcation écologique » (...)

Des recherches trop coûteuses

Sans aller à de tels extrêmes, la prise de conscience croissante des grands défis va impliquer des choix cruciaux pour les chercheurs. (...)

Des recherches à risques

D’autres considérations s’imposent dans les choix des thèmes de recherche. Certains travaux font courir par leurs applications des risques de dérapage potentiellement dangereux pour l’homme et la planète (...)

interrogation sur les sources de la récente pandémie de Covid, aux expériences dites de « gain de fonction » en bio- ingénierie visant à faire évoluer des virus vers des formes plus pathogènes. (...)

méthodes de la géo-ingénierie du climat par ensemencement de l’albédo avec de fines particules, destiné à diminuer le rayonnement du Soleil arrivant au niveau de la Terre. On sait le danger du déploiement de telles méthodes, surtout à grande échelle, pour « sauver le climat » (...)

La recherche se poursuit pourtant dans bien des laboratoires dans le monde, y compris en France, sur une telle modification radicale du climat de la planète. Dans d’autres domaines, comme la biologie de synthèse, sans même mentionner l’intelligence artificielle en pleine ébullition, les recherches prennent des chemins dont nul n’est capable de prédire où ils vont conduire à moyen et long terme.

Le champ des sciences humaines et sociales est aussi concerné par des risques d’un autre type que font courir leurs recherches. (...)

On ne peut pas non plus ignorer toutes les recherches malveillantes mises au service de théories complotistes à travers des réseaux sociaux, qui inventent et déversent volontairement de fausses informations et contribuent à répandre l’idée que l’écologie est « punitive ». Les partis politiques de droite et d’extrême droite s’y emploient dangereusement. (...)

En résumé, on manque d’éclairage sur les conséquences pour l’environnement de bien des recherches, d’autant plus imprévisibles que les réglementations ne sont pas toutes écrites (par exemple sur l’intelligence artificielle) et que les questionnements éthiques sont bien souvent en suspens.

FAUT-IL ET PEUT-ON ARRÊTER LA RECHERCHE ?

La liberté de la recherche est la valeur à laquelle tous les chercheurs sont fondamentalement attachés. (...)

si on ne peut pas et on ne doit pas arrêter la science, c’est à condition d’être conscient des implications que les découvertes peuvent avoir sur la société, et de prendre en conséquence les mesures qui s’imposent.

La liberté de la recherche fondamentale (...)

La responsabilité du chercheur est indissociable de la liberté intellectuelle nécessaire pour qu’il puisse prendre des risques, condition de la vraie créativité. Il doit avoir assez d’autonomie pour poursuivre ses propres hypothèses et exploiter ses intuitions. Rappelons que les grandes découvertes conceptuelles se sont généralement développées sur la base de la curiosité et de la liberté d’explorer un champ nouveau. (...)

Le nécessaire contrôle collectif (...)

À cet égard, la mise en place depuis peu de conventions citoyennes sur des questions diverses (la vaccination, le climat, la fin de vie…) dans le cadre du Conseil Économique Social et Environnemental est une avancée démocratique de responsabilité partagée.

On peut espérer qu’ainsi soient mieux compris et acceptés les mesures ou les outils appropriés à mettre en œuvre en cas d’une innovation dont il n’est pas possible de calculer le risque à court ou moyen terme (...)

Pour conclure cet article sur la responsabilité des scientifiques, j’appelle l’attention des lecteurs sur les réflexions du MURS (Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique), fondé il y a près de 50 ans par le prix Nobel de médecine Jean Dausset et actuellement présidé par Jean Jouzel[9]. La conviction de Jean Dausset est aussi la nôtre à l’Union rationaliste : Toute nouvelle connaissance est une libération, toute ignorance est une limitation car il ne faut pas confondre la connaissance qui est le propre et l’orgueil de l’homme avec l’utilisation bénéfique ou dangereuse des connaissances. (...)