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Mediapart
Les opposants à l’A69 sous les feux des pro-autoroute
#A69 #ZAD #resistances #agressions
Article mis en ligne le 3 septembre 2024

L’impunité dont bénéficie le concessionnaire Atosca nourrit un climat où les positions se radicalisent. Et où les pro-autoroutes n’hésitent plus à agresser directement les opposantes.

(...) 30 août, une opération de gendarmerie a été menée à Saïx dans le Tarn pour évacuer la Cal’arbre, cette ZAD née en février où se trouvaient des opposant·es au chantier de l’A69, entre Castres et Toulouse.

Placée sous l’autorité de Sébastien Simoes, secrétaire général chargé de l’administration de l’État dans le Tarn depuis l’éviction le 16 juillet dernier du préfet Michel Vilbois, l’opération, déclenchée à l’aube, a mobilisé « plus de 200 gendarmes et l’équipe spécialisée de la Cnamo (la cellule nationale d’appui à la mobilité, spécialisée dans le “dégagement d’obstacles complexes”) ». En fin d’après-midi, la préfecture a fait savoir que dix personnes avaient été interpellées et que l’objectif était « atteint » même si « quelques arbres » restaient occupés.

De fait, plusieurs « écureuils », ces militant·es qui se perchent pour empêcher les abattages, n’ont pas été délogé·es. En revanche, un homme d’une trentaine d’années était toujours à l’hôpital dans un état sérieux samedi matin, après avoir chuté, au début de l’intervention, d’environ 8 mètres du fortin érigé dans « Bourg palette », poste avancé de la ZAD. Selon l’une de ses camarades à son chevet, jointe par Mediapart, le diagnostic faisait état hier soir de « six fractures sur trois vertèbres dont une sévère ». (...)

Les opposant·es à l’A69, parmi lesquel·les figure ce blessé sérieux, sont régulièrement accusé·es par les promoteurs de l’autoroute de commettre des violences. En référence aux actes de sabotage, dont plusieurs, revendiqués ou non, ont été commis ces dernières semaines sur le chantier. Notamment l’incendie dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 août, d’un coffrage destiné à couler la pile d’un pont sur le chantier, à Saïx. Deux jours plus tard, dimanche 25, une voiture de police municipale a été incendiée et un vigile pris à partie par quelques zadistes. Des faits toujours relayés avec gourmandise par les médias locaux (ici ou là), notamment La Dépêche du Midi, qui ne cache plus son engagement en faveur de l’autoroute.

Les violences subies par les opposant·es sont, elles, bien moins médiatisées. Selon toutes les personnes interrogées par Mediapart, elles ont pourtant augmenté de façon très préoccupante depuis le printemps. (...)

Deux faits qui auraient pu tourner au drame se sont ainsi produits au mois d’août. Le premier s’est déroulé le 13 août au Bacamp (camp de base) lieu de convergence des opposant·es, non loin de la ZAD. « Dans la nuit, j’allais me coucher, il y a eu des cris puis de la fumée, du côté du parking, raconte Nick*, un zadiste opposé à l’A69 qui se trouvait sur place cette nuit-là, interrogé par Mediapart. Quand je suis arrivé, deux personnes venaient de se faire agresser par trois hommes qui étaient repartis après avoir incendié leur voiture et leur tente qui brûlaient devant nous. L’une d’elles nous a expliqué qu’un agresseur lui avait mis quelque chose sous la gorge, un couteau ou sa main, dans l’obscurité et la panique, elle n’a pas su ce que c’était... » Les personnes agressées, estimant qu’elles n’ont « rien à attendre de leurs bourreaux » (voir leur communication sur Instagram), ont déposé plainte pour des faits de dégradation de matériel. Le parquet de Castres a ouvert une enquête pour « dégradations par incendie et violences en réunion ». (...)

Dimanche 25 août, c’est Alexandra, 44 ans, son compagnon, et leur fils de 4 ans, qui ont été victimes d’un incendie criminel. (...)

En réalité, la situation se dégrade depuis des mois, raconte Alexandra, qui avait déjà déposé une main courante en juillet à la suite de l’intrusion chez elle, en son absence, d’agents de NGE, la maison mère d’Atosca. « On a régulièrement des coups de klaxon la nuit, des insultes et des jets de déchets dans le jardin depuis des voitures qui passent... », déplore la femme qui dit être ressortie « complètement défaite » de la nuit de dimanche à lundi. « Au matin, j’étais comme un zombie. Je ne comprends pas cette bêtise... Mon petit de 4 ans dormait, ça aurait pu être bien plus grave si les jeunes n’avaient pas été là pour donner l’alerte... »

Les insultes, les crachats, les menaces, « à la Cal’arbre, on est habitués », témoigne Nick*, pour qui ce climat détestable était « une trame de fond de la vie sur la ZAD ». Et ce, jusqu’au bout : jeudi soir, veille de l’évacuation, « deux types habillés en mode militaire sont venus sur le talus pour tirer des rafales d’airsoft avant de repartir ».

Un durcissement perçu et raconté par l’ensemble des actrices et acteurs du mouvement d’opposition à l’autoroute. (...)

Le spectre de Sivens

Le 8 juin, alors que la manif’action Roue libre rassemblait l’essentiel des forces militantes du côté de Puylaurens, deux quads, encore, puis des motocross sont passés devant la ZAD de la Cal’arbre à une vingtaine de kilomètres de là, raconte Nick* qui s’y trouvait. « Ensuite, en plein après-midi, un utilitaire est passé, porte latérale ouverte avec un gars qui balançait un liquide inflammable vers nous avec une sorte de jet sous pression. Le passager a mis un coup de briquet, incendiant la haie, le pied des arbres et l’entrée... », poursuit-il. (...)

« Parasites », « voyous », « écoterroristes » ou « puent-la pisse », sur les réseaux sociaux, la sémantique à laquelle recourent les pro-autoroute pour qualifier les opposant·es est au niveau. Et à chaque action de sabotage, le ton monte. (...)

Claire Dujardin, avocate de militant·es zadistes de Sivens et de la famille de Rémi Fraisse, ce jeune militant tué le 26 octobre 2014 par la police lors d’une manifestation sur le site, connaît ce schéma. « À Sivens, des agriculteurs et des riverains s’étaient organisés en milice, à visage découvert, rappelle-t-elle. Et de manière assez parallèle à ce que l’on voit aujourd’hui sur l’A69, on avait des élus qui chauffaient leurs troupes contre les zadistes. Un sentiment d’impunité s’est développé avec un discours du type “on est sur nos terres, les autorités nous soutiennent mais la justice est trop laxiste, faisons le boulot”. On a le sentiment que 10 ans plus tard, le même scénario est en train de se répéter sur l’A69. En espérant que ça ne se terminera pas de la même façon... » (...)