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Observatoire des multinationales (ODM)
Les milliardaires de la tech et Trump : ce qu’ils ont obtenu
#technofascisme #Trump #SiliconValley
Article mis en ligne le 4 septembre 2025
dernière modification le 30 août 2025

Six mois après la réélection de Donald Trump, les grands pontes de la Silicon Valley peuvent déjà se féliciter d’avoir misé sur le candidat républicain. Deuxième volet de notre enquête.

Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump s’est fait remarquer par les scandales et les oppositions qu’il a suscités, que ce soit pour sa politique anti-migrants, ses décisions sur la scène internationale ou ses attaques contre les institutions fédérales. Mais l’élite de la tech, qui a choisi de soutenir le candidat républicain (voir le premier volet de cette enquête), a obtenu des dérégulations massives, un coup d’accélérateur en matière de production d’énergie, des postes dans l’administration et des marchés publics. Un investissement payant, à peine entaché par les bisbilles personnelles entre Trump et Elon Musk.

L’IA et les cryptomonnaies en roue libre

Les barons de la Silicon Valley craignaient-ils que l’expansion de l’IA et des cryptomonnaies soit entravée par les régulations ? Avec Trump, ils n’ont plus aucune inquiétude à se faire. (...)

Une disposition de la « grande et belle loi » (One Big, Beautiful Bill) actuellement en négociation – qui contient aussi toute une série de mesures fiscales favorables aux grandes fortunes et des coupes drastiques dans l’assurance maladie – prévoyait l’interdiction pour tous les États américains, et pour les dix prochaines années, d’adopter la moindre loi ou réglementation qui pourrait restreindre ou réguler les modèles et systèmes d’intelligence artificielle. Elle n’a finalement pas été retenue. Un tel moratoire aurait pu bloquer les règles mises en place par certains États comme la Californie ou New York sur la transparence des données utilisées pour entraîner l’IA ou les biais algorithmiques.

Côté cryptomonnaies, la Security Exchange Commission (SEC), gendarme des marchés financiers aux États-Unis, avait lancé une série d’enquêtes sur des plateformes soupçonnées de diverses malversations, qu’elle a abandonnées après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Abandonnées aussi, les règles du Staff Accounting Bulletin (SAB) 121, qui exigeaient que les banques divulguent les cryptomonnaies détenues pour le compte leurs clients, et maintiennent des actifs suffisants pour les sécuriser.

L’administration Biden avait créé une unité spéciale du ministère de la Justice pour lutter contre les abus dans le secteur des cryptomonnaies, et particulier le blanchiment d’argent par ces plateformes. Celle-ci a été démantelée par l’administration républicaine, en application du décret pour « renforcer le leadership américain dans le domaine de la technologie financière numérique », qui ordonne aux ministères des Finances et de la Justice, et à toutes les agences fédérales, de réévaluer leurs régulations relatives aux cryptomonnaies pour les modifier ou carrément les abroger. Ce même décret envisage la création d’une réserve nationale d’actifs financiers numériques. (...)

ces décisions soulèvent des questions sur les conflits d’intérêts du locataire de la Maison Blanche. En effet, selon le magazine Forbes, celui-ci a gagné 57,4 millions de dollars grâce à World Liberty Financial, société de cryptoactifs dont il est partiellement propriétaire. Trois jours avant son investiture, Donald Trump lançait d’ailleurs son propre jeton, le $Trump. D’autres membres de sa famille ont investi le secteur (...)

Énergies polluantes à volonté (...)

L’entraînement d’un seul modèle d’IA peut consommer des milliers de mégawattheures d’électricité et émettre des centaines de tonnes de carbone. Les intérêts de l’industrie fossile rejoignent ici ceux de la tech. (...)

Le jour de son investiture, Donald Trump a récompensé ces deux secteurs qui ont abondamment financé sa campagne en décrétant « l’urgence énergétique » et en enterrant la lutte contre les dérèglements climatiques. Il a aussi adopté une série de décrets pour faciliter la construction de centrales nucléaires, en revenant sur des règles de sûreté qu’il a qualifiées d’« irrationnelles ». Pour la Maison Blanche, « une énergie abondante est un intérêt vital pour la sécurité nationale et économique. Associée à la production nationale de combustibles fossiles, l’énergie nucléaire peut libérer l’Amérique de sa dépendance vis-à-vis de ses rivaux géopolitiques. Elle peut alimenter non seulement les industries manufacturières traditionnelles, mais aussi des secteurs de pointe, énergivores, tels que l’intelligence artificielle et l’informatique quantique. »

En ce qui concerne le charbon, le pétrole et le gaz, l’administration Trump va accélérer les procédures d’examen des permis d’extraction, et ouvrir à l’exploitation des zones auparavant protégées comme des parcs nationaux ou les terres vierges de l’Alaska. (...)

Portes tournantes : les « tech bros » à l’assaut de l’administration fédérale

Si l’industrie de la tech n’a pas trop de soucis à se faire quant aux politiques mises en œuvre par le président républicain, c’est aussi parce qu’elle a su investir les rouages de son administration : rien de tel que de prendre la place du régulateur pour être (dé)régulé comme on l’entend. (...)

DOGE : l’axe libertarien

Les portes tournantes entre le secteur privé et l’administration ne sont pas une nouveauté et ne concernent pas uniquement le secteur de la tech. Pourtant, avec le nouveau mandat de Donald Trump, cette interpénétration a pris une nouvelle dimension avec la création du Department of Government Efficiency (DOGE), dirigé à l’origine par le très médiatique Elon Musk. Si ce dernier a pris beaucoup de place en termes de communication, le DOGE aurait aussi bénéficié du soutien bénévole de capital-risqueurs comme Marc Andreessen ou Antonio Gracias, et il a recruté des dizaines de personnes liées aux milliardaires de la tech et du capital-risque (anciens de Palantir, SpaceX, X, etc.), dont une partie est restée en poste après le départ du patron de Tesla.

La création du DOGE reflète l’alignement des leaders de la tech avec l’idéologie libertarienne et conservatrice d’une grande partie de l’entourage de Donald Trump.

L’objectif est de tailler drastiquement dans l’administration fédérale, quitte à fermer des agences et licencier à tour de bras, pour faire baisser les dépenses publiques (corollaire de la baisse des impôts), mais également de supprimer des régulations et même... des mots, ceux qui se rapportent aux questions climatiques ou aux enjeux d’équité et d’égalité. De quoi satisfaire les aspirations réactionnaires des capital-risqueurs (voir le premier volet de cette enquête) mais aussi les ambitions du « Project 2025 » des think tanks conservateurs emmenés par la Heritage Foundation. Le départ de Musk ne devrait donc pas y changer grand chose. (...)

Difficile de savoir ce qui va rester exactement des « coupes » du DOGE, tant ses actions ont été chaotiques, opaques, voire illégales. Le département a néanmoins déstabilisé une partie de l’État fédéral, et en particulier les agences chargées de superviser le secteur de la tech. En mai 2025, un rapport de l’ONG Public Citizen a estimé qu’Elon Musk était en situation de conflit d’intérêts avec plus de 70 % des agences contrôlées par ses équipes. (...)

Malgré le départ de Musk, le DOGE reste rempli d’anciens salariés de la tech qui pourront avoir envie de protéger leurs intérêts. (...)

Est-ce aussi un hasard si les licenciements dans les services fiscaux (IRS) ont impacté de manière disproportionnée l’unité chargée de contrôler les milliardaires ? (...)

Toujours plus d’argent public pour la tech

Si les leaders de la tech critiquent le poids de l’administration fédérale, ils n’ont rien contre les contrats publics. À commencer par Elon Musk, dont le Washington Post estime qu’il aurait reçu plus de 38 milliards de dollars en 20 ans sous forme d’aides, de financements et de commandes publiques pour ses entreprises Tesla et SpaceX. En 2024, Palantir a tiré 1,2 milliard de revenus de contrats gouvernementaux.

Le retour de Trump au pouvoir ne devrait pas affecter cette manne. Palantir fait partie des grands bénéficiaires de la chasse aux migrants initiée par la nouvelle administration, puisqu’elle fournit des outils de traitement de données au service de l’immigration et des douanes (...)

Et les droits de douane dans tout ça ?

Certes, le secteur de la tech – comment l’ensemble du monde des affaires – n’a pas forcément apprécié les annonces de Donald Trump sur les droits de douanes. Les investissements des capital-risqueurs ont eux aussi pu pâtir des fluctuations boursières suscitées par les déclarations contradictoires du président. Reste que si ces menaces sont utilisées comme un levier de négociation, elles pourraient encore une fois tourner à l’avantage de la Silicon Valley. Y compris très directement, par exemple quand le Département d’État encourage ses partenaires commerciaux à adopter les services du Starlink d’Elon Musk, comme révélé par le Washington Post-. (...)

L’autre obstacle sur la route des milliardaires de la Silicon Valley, ce sont les velléités de régulation ou de taxation de certains pays ou groupes de pays. Là aussi, face à la menace de Trump de mettre fin immédiatement à ses négociations commerciales, les dirigeants du Canada viennent d’annoncer l’abandon de leur projet de taxe sur les services numériques, qui devait permettre de récupérer une partie des revenus engrangés par les géants américains du web dans leur pays.

L’Union européenne et ses volontés de régulation du secteur (Digital Services Act, Digital Markets Act et IA Act) est la prochaine dans le viseur. L’avenir de ces lois protégeant le consommateur européen dépendra de la capacité de l’UE à rester soudée dans les négociations. Une unité à laquelle s’attaquent, sans surprise, les mouvements d’extrême droite proches du trumpisme sur le vieux continent (lire MCC Brussels, ou comment l’extrême droite pro-Orbán et pro-Trump s’organise pour affaiblir l’Europe de l’intérieur).

Article mis à jour le 17 juillet pour préciser que le moratoire sur la régulation de l’IA proposé dans la « One big Beautiful bill » n’a finalement pas été retenu.