Pendant leur congrès annuel, les maires se sont félicités qu’une majorité d’entre eux souhaitent repartir en campagne pour les municipales. Mais ils savent déjà qu’en face, la désaffection gagne leurs électeurs, éloignés ou lassés de la politique.
Ils et elles le répètent comme un mantra : ce sont « les élus préférés des Français ». Et à ce titre, ils et elles ne craignent guère de voir la participation aux municipales de mars 2026 chuter, l’abstention à ce scrutin étant généralement plus basse qu’aux autres – à l’exception de l’élection présidentielle. Non, c’est autre chose qui inquiète les maires des villes de moins de 5 000 habitant·es – soient près de 95 % des communes françaises –, dont beaucoup étaient réuni·es cette semaine en congrès à Paris. (...)
Il s’agit d’une lame de fond qu’ils et elles assurent entendre remonter du terrain. Certain·es la qualifient de « colère », d’autres parlent de « tensions », d’autres encore de « brouhaha ». Tous et toutes sont bien en peine de dire comment cela se traduira, tant la situation politique est instable. En 2024, la dissolution a vu l’extrême droite se rapprocher des portes du pouvoir. Depuis, les gouvernements chutent et se succèdent. Et en ce moment même, les débats budgétaires ajoutent de l’incertitude et de la confusion.
Dans ce contexte, la campagne pour les municipales des 15 et 22 mars prochains peine à décoller, racontent plusieurs maires de petites communes rencontré·es par Mediapart à l’occasion de leur congrès annuel. Sur le terrain, celles et ceux qui se présentent souvent comme des élu·es « à portée de baffes » sont régulièrement interpellé·es sur l’actualité politique nationale alors qu’ils et elles prennent généralement soin de ne pas afficher d’étiquette partisane. (...)
« Il y a un climat aujourd’hui dans lequel les tensions et les colères redescendent du niveau national et créent une désaffection de la politique », affirme Florian Lecoultre, maire divers gauche de Nouzonville (Ardennes), commune de 5 700 habitant·es. « À un récent dîner des anciens, des habitants m’ont interpellé en me disant : “Que pensez-vous, monsieur le maire, du boxon à Paris ?” Les rapports humains se tendent, on le sent, mais ça ne se traduira pas forcément par de l’abstention », veut-il croire, estimant qu’« on n’est pas encore entrés dans le moment où le débat local prime ».
« Il y a une forme d’éclipse : les gens se recentrent sur leur vie personnelle ou se demandent si le premier ministre tiendra plus que trois mois », abonde Florent Rossi, adjoint à la mairie d’Auribeau-sur-Siagne (3 500 habitant·es), dans les Alpes-Maritimes.
Redonner du sens (...)
Pour rallier ces administré·es qui désertent, « il ne faut pas être en mode bagarre mais en mode dialogue, car des mouvements récupèrent ces colères et jouent sur les fantasmes comme ceux des institutions pourries ou des coups de billard à vingt-cinq bandes » (...)
« ces élections ont du sens pour eux » : « On porte des projets, c’est du concret : lors du mandat écoulé, en regroupant les commerces de proximité de première nécessité dans le centre, nous avons réussi à attirer quatre médecins de moins de 35 ans dans ma commune » (...)
Ces projets, plusieurs maires de petites communes rencontrés par Mediapart assurent les mener avec des conseils municipaux regroupant des hommes et des femmes de toutes tendances politiques confondues, souvent issu·es de la société civile et passé·es par un engagement associatif. Bien loin des listes de figures politiques connues, habituées des plateaux télévisés et soutenues par des partis qui entendent créer le rapport de force national en comptant les points à l’issue de ce scrutin local. (...)
Devoir être le « dernier rempart » sans en avoir les moyens, l’expression revient souvent dans la bouche des élu·es municipaux, dessaisi·es de prérogatives au profit de collectivités locales plus larges. D’autant que les mêmes doivent également composer avec des budgets en baisse dans le projet de loi de finances actuellement en discussion au Parlement. Nombre d’entre elles et eux se disent empêché·es. Incapables de mener les projets sur lesquels ils et elles ont été élu·es, et de plus en plus décident de jeter l’éponge.
Une étude citée par l’Association des maires de France (AMF) et conduite par Martial Foucault, professeur des universités à Sciences Po Paris et chercheur au Cevipof, estime ainsi qu’« entre 2008 et 2026, le nombre moyen de démissions de maires par an a été multiplié par quatre » et recense « 2 189 démissions depuis juillet 2020, soit plus d’une démission quotidienne ».
Abstention en hausse
Malgré tout, pendant les quatre jours de leur congrès, les représentant·es des plus de 600 000 élu·es des conseils municipaux ont répété sur tous les tons leur optimisme, se disant agréablement surpris de constater que près de 60 % des maires sortant·es se représentent aux élections de mars. (...)
Florent Rossi, à la tête de l’Association des jeunes élus de France, égrène les chiffres comme une triste litanie. « En 1985, plus de 12 % des maires avaient moins de 40 ans. Aujourd’hui, c’est moins de 4 % alors que les moins de 40 ans représentent 30 % du corps électoral. Actuellement, il y a trois fois plus d’élus âgés de 71 à 80 ans que d’élu·es de 19 à 35 ans, affirme-t-il. La place des jeunes dans les mandats électifs locaux baisse et le lien est total avec le vote des jeunes. »
Or, affirme la Fondation Jean Jaurès, Zohran Mamdani a remporté la primaire démocrate pour la mairie de New York parce qu’avec ses 50 000 volontaires, ils ont « permis d’inscrire douze fois plus d’électeurs qu’il y a quatre ans et quasiment doublé le nombre d’électeurs de moins de 40 ans ». Un pari d’autant plus difficile à relever de ce côté de l’Atlantique que désormais, selon l’Insee, la majorité des Français·es en âge de voter ont pour la première fois plus de 50 ans.