Un rassemblement s’est tenu à Paris pour dénoncer la multiplication des attaques de librairies, sur fond de conflit israélo-palestinien. En parallèle, le Conseil de Paris vient de rejeter une subvention à 40 librairies indépendantes.
« Pas de fachos dans nos rues, pas de censeurs dans nos rayons. » Ce jeudi 27 novembre, environ 250 personnes se sont réunies, place de la République à Paris, pour scander des slogans de soutien aux librairies indépendantes, attaquées de toutes parts ces derniers mois. Derrière l’initiative, un collectif informel de libraires qui se rassemblent depuis quelques semaines pour partager leurs inquiétudes et moyens d’action face à une recrudescence d’intimidations et d’attaques, cristallisées autour du conflit israélo-palestinien.
Début octobre déjà, un collectif composé de professionnel·les des métiers du livre et de l’édition exposait, dans une tribune dans Le Monde, sa crainte que « les librairies deviennent les réceptacles de tous les débordements idéologiques, là où elles doivent demeurer des refuges pour le savoir et la création ». Ces manifestations de violence « n’ont d’autres buts que de provoquer de la peur et d’induire une forme d’autocensure au sein de librairies dont l’une des principales raisons d’exister est précisément de permettre l’exposition de débats qui traversent notre monde et nos sociétés », s’inquiétaient les signataires. C’est aussi ce que dénoncent, ce 27 novembre, plusieurs dizaines de libraires ayant répondu présent·es à la mobilisation parisienne.
« Être libraire, c’est faire des choix. On revendique qu’une librairie n’est pas un espace neutre. Ce n’est pas qu’une question de liberté d’expression, mais une question démocratique , défend auprès de Basta ! Sana, membre de la CGT Librairies et du collectif informel qui organise le rassemblement, avec le soutien de la CGT Commerce et service et de la branche SUD Métiers du livre. (...)
Des dizaines d’actes de vandalisme
Les exemples de librairies prises pour cible ne manquent pas, un peu partout en France. Pas plus tard que mi-novembre, la Petite Égypte, dans le 2e arrondissement de Paris, a été vandalisée à l’acide. Un tag « La putain du Hamas » recouvrait sa devanture, alors que la librairie s’apprêtait à recevoir, pour un débat, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens. Le même jour, la librairie La Libre pensée, dans le 5e arrondissement, était elle aussi attaquée pour avoir retransmis un colloque sur la Palestine, déprogrammé par le Collège de France. Quelques jours plus tôt, un événement en présence du collectif juif décolonial Tsedek, à la librairie Transit, à Marseille, était interrompu par un groupe de manifestant·es du collectif pro-israélien Nous vivrons. (...)
« Une manœuvre grossière de la droite »
Le 20 novembre, un projet de délibération prévoyait de verser des subventions d’investissement d’un total de 482 000 euros à 40 librairies indépendantes, dans le cadre de l’appel à projets « Soutien aux librairies parisiennes : accessibilité, transition énergétique et attractivité ». L’objectif : aider ces dernières à réaliser des travaux pour renforcer l’attractivité extérieure de leur local, l’aménager à des fins d’accessibilité, ou pour favoriser leur transition énergétique. Et ce, alors que « les librairies parisiennes ont été confrontées ces dernières années à plusieurs crises consécutives », « les obligeant à s’adapter, voire à réinventer leur métier et leurs offres », contextualise le projet de délibération. Selon ce dernier, consulté par Basta !, ces 40 librairies, sélectionnées sur candidature par un jury, devaient recevoir des aides allant de 2000 à 25 000 euros, pour mettre aux normes leur installation électrique ou encore réaliser des travaux aux normes PMR (pour les personnes à mobilité réduite).
Or, ce vote de subventions, qui était une simple formalité les années précédentes, nourrit désormais les débats pour les prochaines élections municipales, les élu·es de droite ayant profité de l’absence de nombreux élu·es de la majorité de gauche pour s’y opposer. « Je ne m’attendais pas à un rejet de cette délibération. C’est une manœuvre grossière de la droite parisienne, qui avait préparé son coup », réagit auprès de Basta ! Emmanuel Grégoire, conseiller de Paris et candidat pour le Parti socialiste aux prochaines municipales. Même surprise du côté de Ian Brossat, lui aussi candidat et coprésident du groupe communiste au Conseil de Paris : « Pour nous, il était évident que ce serait adopté, d’autant que ces votes ont à chaque fois suscité l’unanimité les précédentes années. » (...)
« Ce vote sonne comme une légitimation de l’intimidation et manifeste une dérive politique inquiétante en faisant peser une menace tangible sur nos conditions de travail, la liberté d’expression et les conditions nécessaires au pluralisme démocratique », a réagi Paris Librairies, réseau de librairies indépendantes, dans un communiqué. Cette « posture cynique » de la droite « oblige la majorité à représenter la délibération au prochain Conseil de Paris », qui aura lieu mi-décembre, estime Emmanuel Grégoire. Si plusieurs élu·es de gauche s’y sont engagé·es, la mairie de Paris n’était toutefois pas en mesure de le confirmer ce 28 novembre.
En cas de demande de vote dissocié pour exclure Violette and Co des librairies subventionnées, la gauche s’engage à être « unie » selon Ian Brossat. (...)