
Maisha Winn est Chancellor’s Leadership Professor à l’université de Californie, Davis, et codirectrice (avec Torry Winn) du Transformative Justice in Education (TJE) Center de l’université de Californie, Davis. Son programme de recherche examine la manière dont les enseignants et/ou adultes dans les écoles et dans les contextes extrascolaires pratiquent la justice dans l’enseignement de la lecture et de l’écriture. (...)
Maisha Winn : J’ai été formée dans un domaine appelé « language literacy and culture », qui est un mariage entre l’anthropologie – beaucoup d’entre nous ont une formation d’ethnographe –, la sociolinguistique et la recherche en éducation. Nous réfléchissons à la littératie en tant que pratique sociale, et je me suis surtout intéressée à la manière dont les personnes d’ascendance africaine développent des trajectoires de littératie. Quels sont les espaces dans lesquels les personnes d’ascendance africaine ont aimé participer à l’écriture, à la lecture, à la réflexion, à l’expression orale et aux activités liées à la littératie ?
Ce travail m’a conduite dans une myriade d’endroits, à la fois à l’école et en dehors de l’école, principalement parce que les écoles n’ont pas toujours eu la capacité de soutenir les pratiques de littératie des personnes d’ascendance africaine aux États-Unis. Souvent, nous nous tournons vers des lieux que nous appelons des espaces choisis de littératie (« Chosen literacy spaces »), ou ce que j’ai appelé dans mon travail des communautés de littératie participatives (« Participatory literacy communities »), qui sont des espaces dans lesquels les personnes d’ascendance africaine ont pris la décision de s’engager dans la lecture, les groupes de lecture, les groupes d’écriture, en se réunissant pour des ateliers de poésie.
Ces lieux peuvent être des institutions informelles, lorsque l’accès aux institutions formelles leur est refusé. (...)
J’ai également passé du temps dans des centres de détention pour jeunes et dans le sud-est urbain, en travaillant avec une compagnie théâtrale féminine qui travaillait avec des jeunes filles incarcérées, leur apprenant l’écriture dramatique et la performance. (...)
J’ai appris de ces jeunes filles et de leurs familles que beaucoup d’entre elles étaient entrées à l’école le jour de leur interpellation en pensant qu’elles allaient passer une journée normale. Et un incident survenu à l’école a fini par impliquer la police, et jusqu’au système judiciaire. (...)
Cette compagnie théâtrale féminine du Sud-Est a créé des ateliers d’écriture dramatique pour donner aux filles la possibilité de réfléchir à ce que signifierait l’écriture d’une pièce sur leurs expériences vécues et la mise en scène de ces pièces. C’est à ce moment-là que mon travail a commencé, dans le domaine de la justice pour les jeunes, de la justice sociale, de la justice transformative et des possibilités, parce que je ne pouvais plus me contenter de séparer mon désir de chercheur de réfléchir aux différentes façons dont les gens s’initiaient aux lettres ou commençaient à se voir ou à se définir comme instruits dans les lettres.
Je ne pouvais pas dissocier cela du fait que tout se passait dans un bâtiment de la justice, dans un centre de détention pour jeunes où ces jeunes gens attendaient leur procès ou attendaient qu’une autre personne décide s’ils allaient pouvoir rentrer chez eux ou s’ils allaient devoir passer plus de temps derrière les barreaux.
Ce fut un tournant décisif pour moi et mon travail. (...)
L’une des choses que j’aime dans l’histoire des bâtisseurs d’institutions noires qui ont créé des écoles, des coopératives alimentaires, des salles de spectacle, des maisons d’édition, des typographes tout au long des mouvements d’art et de pouvoir noirs, c’est qu’il s’agissait de gens ordinaires (...)
La première chose que nous pouvons apprendre des bâtisseurs d’institutions noires, à mon avis, est la nature intergénérationnelle de l’enseignement et de l’apprentissage : ils brouillent vraiment les frontières entre les âges et les générations. (...)
Une autre chose que je trouve vraiment intéressante à propos de ces bâtisseurs d’institutions noires, c’est la façon dont ils se projettent dans l’avenir. Ils voyaient la nécessité pour les institutions d’avoir de nombreuses branches, comme ce que nous appelons les services d’accompagnement dans l’éducation. Ainsi, dans ces institutions, ils avaient leurs écoles, ils avaient souvent des coopératives alimentaires, ils avaient des restaurants de qualité. Nombre d’entre eux envisageaient de devenir végétariens et végétaliens.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, ils ont également compris la nécessité de produire leurs propres livres, périodiques, journaux et brochures pour s’assurer que les personnes d’ascendance africaine aient accès à la littérature (...)
actuellement, il y a encore beaucoup de ségrégation dans nos systèmes scolaires à travers le pays, à l’intérieur des classes, de sorte que nous pouvons avoir des élèves en AP et des élèves suivis dans des classes inférieures qui n’ont jamais accès à certaines classes ou à des cours de mathématiques de haut niveau. (...)
Il s’agit donc d’un continuum entre le passé, le présent et l’avenir. J’ai beaucoup travaillé en partenariat avec l’Institute for the Future, et je me demande à quoi ressemblera, dans dix ou vingt ans, l’éducation pour tout le monde aux États-Unis.
Mais je me suis concentrée sur un projet de réflexion sur l’avenir éducatif des enfants noirs. Ce projet a été lancé avec mon centre, le Transformative Justice and Education Center. Pour l’instant, nous nous concentrons sur la Californie, mais nous avons l’intention de l’étendre à d’autres pays. (...)
dans le modèle des institutions noires, chaque personne en contact avec l’enfant est un éducateur et doit donc être intégrée à cette communauté et participer à un dialogue sur ce que nous pouvons faire pour nous assurer que nos enfants ont ce dont ils ont besoin. Cela inclut le chauffeur de bus. (...)
De nombreux bâtisseurs d’institutions noires ont été très inspirés par des dirigeants africains tels que Kwame Nkrumah, premier dirigeant du Ghana après son indépendance. Julius Nyerere, premier président de la Tanzanie après l’indépendance, était un véritable héros pour beaucoup de ces bâtisseurs d’institutions. (...)
Je dirais donc que le mouvement ici aux États-Unis est important, qu’il a été grandement influencé par certaines des luttes pour l’indépendance dans les pays d’Afrique et des Caraïbes.
Mais je pense aussi qu’il y a eu un échange d’énergie et d’inspiration, car beaucoup de ces dirigeants venaient aussi ici pour apprendre des gens et avec eux. (...)
Brésil, Taïwan, Corée du Sud : j’ai reçu des gens du monde entier lorsque je faisais de la prospective, de la formation et du travail avec l’Institute for the Future. C’est l’une des choses les plus passionnantes, car vous obtenez une perspective différente. Il y a donc des gens qui réfléchissent à ce que cela pourrait signifier de penser constamment à cette question : nous sommes en 2023, mais j’essaie toujours de penser à 2033. (...)