
Contesté par un mouvement social d’une ampleur inédite, le président serbe Aleksandar Vučić est reçu mercredi 9 avril à Paris pour un déjeuner de travail avec Emmanuel Macron. Un geste perçu comme une provocation en Serbie, alors que cent étudiants font route à vélo vers Strasbourg.
Aleksandar Vučić avait le sourire en annonçant, dimanche soir, qu’il se rendrait « dans deux ou trois jours au palais de l’Élysée » pour « énerver encore un peu plus ceux qui n’aiment pas la Serbie ». Dans l’une des interminables adresses télévisées à la nation qu’il affectionne, il venait d’écarter l’hypothèse d’élections anticipées en sortant de son chapeau le nom d’un parfait inconnu, le docteur Đuro Macut, chargé de former le nouveau gouvernement, le premier ministre sortant ayant été « sacrifié » fin janvier, sans calmer la vague de contestation qui secoue le pays.
L’invitation d’Emmanuel Macron aurait été formulée lors d’un entretien téléphonique entre les deux hommes, le 30 mars, mais sonne comme une véritable provocation alors qu’une centaine d’étudiants sont partis à vélo le 3 avril de Novi Sad pour rallier Strasbourg, où ils doivent arriver le 15 avril pour déposer leurs revendications auprès des institutions européennes. Dans cette longue course de 1 400 kilomètres « pour réveiller l’Europe », ils ont été accueillis comme des héros à Budapest – le maire de la capitale hongroise, opposant à Viktor Orbán, rejoignant la diaspora serbe – et à Vienne. Dans la capitale autrichienne, toutes les diasporas balkaniques se sont retrouvées pour acclamer les étudiants cyclistes place Marie-Thérèse, rappelant que, dans tous leurs pays, « la corruption tue ». (...)
Depuis le début du mouvement, provoqué par le tragique effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad, le 1er novembre 2024, la société civile serbe n’a cessé de dénoncer le silence de l’Union européenne. (...)
hormis quelques bien rhétoriques appels à « éviter la violence », l’Union européenne reste muette depuis le début de la crise. Ce silence, qui contraste avec l’attention prêtée il y a quelques mois à la Géorgie, vaut soutien au régime serbe. Mais pourquoi une telle complaisance ?
L’Union européenne, qui n’a plus aucune perspective réelle d’élargissement à offrir aux Balkans, ne mise que sur la « stabilité » de la région, qu’elle croit mieux garantie par des compromis constants avec des régimes autoritaires comme celui de Serbie. L’Allemagne, pour sa part, convoite les réserves de lithium serbe. Or, seul le régime d’Aleksandar Vučić est capable d’en garantir l’exploitation, vivement contestée par la population. (...)
La France, quant à elle, a signé, fin août 2024, un contrat de vente de douze Rafale dernier cri avec la Serbie, pour la bagatelle de 3 milliards d’euros. Les avions n’ont pas encore été livrés ni payés, et il n’est pas certain qu’ils le seront jamais, car on ignore où Belgrade pourrait trouver une telle somme. À l’époque, les éléments de langage de l’Elysée expliquaient qu’il fallait « ancrer » la Serbie dans le camp occidental et l’éloigner de la Russie...
C’est la stratégie suivie avec obstination par la France depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, en février 2022. Alors que la Serbie est le seul pays candidat à ne pas appliquer de sanctions contre la Russie, il faudrait « tout passer » à son rusé dirigeant afin d’essayer de le convaincre que ses meilleurs amis seraient en Occident. (...)
Les intérêts économiques ne se limitent pas aux avions de chasse. La France mène depuis quelques années une diplomatie économique relativement agressive en Serbie : Vinci a fait main basse sur l’aéroport de Belgrade et Paris rêve de vendre des centrales nucléaires à la Serbie, qui rêve de s’en procurer. (...)
En recevant Aleksandar Vučić à Paris, Emmanuel Macron va plus loin que tous les autres pays européens dans le soutien à un régime massivement rejeté par sa population, ce que ni les intérêts économiques ni l’obsession de la stabilité ne suffisent à expliquer. Depuis ses deux voyages officiels en Serbie, en 2019 et 2024, baragouinant même quelques mots de serbe à l’occasion, le président français semble s’être entiché de son homologue Vučić et du vieux fantôme de « l’amitié franco-serbe » remontant à la Première Guerre mondiale et surtout cultivée dans quelques cercles d’extrême droite. (...)