
Une ministre démissionnaire mais toujours bien en poste, des décisions lourdes de conséquences prises au cœur de l’été, et des réformes qui pourraient passer par pertes et profits : la rentrée scolaire qui suit la dissolution s’annonce plus complexe que prévu.
(...) comme dans d’autres secteurs, anticipant peut-être que tout changera pour que rien ne change, le gouvernement intérimaire n’a pas hésité, dans cette période suspendue à la nomination d’un nouvel exécutif, à prendre des décisions lourdes. Ainsi, le 17 juillet, le Conseil des ministres a nommé Caroline Pascale à la tête de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), administration pivot de la politique éducative. Selon Le Monde, son ancien directeur Édouard Geffray aurait souhaité céder son poste. (...)
Nommée à la tête de l’inspection générale de l’éducation et du sport par l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer (c’est notamment sous sa chefferie que s’est déroulée l’affaire Stanislas), Caroline Pascale est décrite tantôt comme une pure « blanqueriste », tantôt comme proche du clan « sarkozyste » – son époux a été un temps la plume et le conseiller de l’ex-président –, au sein d’un corps qu’elle a contribué à modifier en profondeur.
Un tel profil à la tête de la Dgesco, c’est dans tous les cas s’assurer une grande continuité dans les réformes voulues par Emmanuel Macron, qui mène une politique éducative centrée autour du retour de l’autorité, des savoirs fondamentaux ainsi qu’une transformation assez majeure de la formation initiale et continue des enseignant·es.
Le choc des savoirs sur la sellette (...)
Avec plusieurs points à l’ordre du jour : retour du redoublement, reprise en main du ministère sur le choix des manuels scolaires, durcissement du brevet, création d’une classe « passerelle » entre la troisième et le lycée, évaluation des cohortes chaque année au collège, et surtout, mettre fin au collège unique en créant des groupes de niveau (devenus « groupes de besoin », puis « groupes de réussite »), en sixième et en cinquième. L’idée est de regrouper, sur un tiers du temps scolaire, les élèves d’un même niveau de différentes classes, en mathématiques et en français.
C’est ce point qui a fait le plus polémique, entraînant mouvements de grève et de protestation soutenus, prises de position inattendues des chef·fes d’établissement et la condamnation quasi unanime des chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation. Cette « raffinerie scolaire », selon les mots du pédagogue Philippe Mérieux dans un livre à paraître, constituerait même une « véritable rupture avec ce qui présidait, tant bien que mal, au fonctionnement du système scolaire » en France jusqu’ici, une réforme par ailleurs « jamais soumise à l’approbation par le Parlement », note encore le spécialiste. (...)
Parmi les détracteurs des groupes de niveau, beaucoup parient donc malgré tout sur un effilochement de la mesure, faute de légitimité politique suffisante pour l’imposer aux personnels. (...)
Le syndicat majoritaire dans le second degré, le Snes-FSU, demande pour sa part l’abandon pur et simple du choc des savoirs (et de Parcoursup au lycée), une manière de donner le « signal d’une rupture claire avec les politiques menées depuis 2017 », au nom du résultat des élections législatives de juin.
Des économies nouvelles, un recrutement encore à la peine (...)
Des milliers de postes resteront non pourvus, notamment dans les grosses académies que sont Créteil et Versailles, en région parisienne, ainsi qu’en Guyane et à Mayotte.
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Le ministère a déjà bien entamé sa crédibilité cet hiver, en bloquant purement et simplement le logiciel qui permet aux chef·fes d’établissement de payer les heures supplémentaires pour réaliser ces fameuses économies, ce qui aurait mis une bonne partie de la fin d’année scolaire en péril. Devant le tollé, Nicole Belloubet a dû faire marche arrière.
De telles manœuvres en pleine rentrée scolaire semblent difficiles à imaginer, même si la question de moyens est loin d’être close : il manque, chroniquement, dans les écoles, collèges et lycées, des AESH, qui accompagnent les enfants en situation de handicap, du personnel en vie scolaire, en médecine scolaire, ainsi que des enseignant·es en nombre suffisant partout. « Ça tient encore, mais à bout de bras », résume un conseiller principal d’éducation, depuis un lycée breton. (...)
L’absence de transparence sur les mutations et les affectations, gros point de désaccord entre les syndicats et le ministère, risque aussi d’en décourager beaucoup, alors que le taux de démission chez les jeunes enseignant·es continue de grimper. (...)
Réforme de la formation initiale des professeurs suspendue
Pour résoudre cette crise du recrutement, le gouvernement a également lancé un énorme chantier, celui de la refonte de la formation initiale pour devenir prof. Le concours aurait désormais lieu à la fin de la licence et non plus à l’issue d’un master, comme aujourd’hui. Celles et ceux qui réussiraient l’examen entreraient ensuite dans une formation en master de deux ans, sous le statut d’élèves fonctionnaires stagiaires, payés par l’éducation nationale (1 400 euros la première année, 1 800 euros la seconde), une concession obtenue après une intense mobilisation syndicale. (...)
En échange, au cours de ces deux ans, ces futur·es professeur·es sont censé·es passer beaucoup plus de temps devant les élèves, avec, en deuxième année, la charge d’une classe à temps partiel. Ils et elles devront également plusieurs années d’engagement à l’État, sur un modèle s’approchant de celui de l’École normale. Une vision que le Conseil d’État a validée, le 9 juillet, mais qui est compliquée à mettre en œuvre, alors même que l’austérité budgétaire est également au programme. (...)
Martingale essentielle du plan du gouvernement pour faire revenir les volontaires vers l’enseignement, le texte est pour le moment suspendu.
Les signes d’une réelle dégradation du rapport à l’école
L’école fait face à un défi peut-être encore plus profond, à quelques semaines de la rentrée des classes, celui d’une dégradation persistante des relations entre l’institution, son personnel et ses usagers et usagères. C’est en tout cas le tableau inquiétant que dresse le rapport 2023 de la médiatrice de l’éducation nationale publié le 17 juillet, qui condense et éclaire plus de 20 000 saisines.
Le rapport relève, du côté des agent·es et contractuel·les, un grand nombre de courriers ou d’appels portant l’expression d’« une forme d’épuisement, liée à l’effort constant qu’ont dû fournir les personnels depuis plusieurs années pour s’adapter aux crises diverses, aux réformes et aux transformations de leur environnement de travail ». L’éducation nationale est en effet connue pour être particulièrement vorace en matière de changements, comme l’a montré encore récemment le détricotage partiel de la réforme du lycée par Macron, lancée pourtant sous son précédent mandat.
La relation entre l’école et les familles semble aussi se « dégrader », laissant la place dans trop d’établissements à une « culture du rapport de force, aux antipodes de l’alliance éducative nécessaire pour assurer l’accompagnement et la qualité du parcours des élèves ». Deux sujets qui touchent aussi les chef·fes d’établissement ou les directions d’école, accréditant l’idée que le « maillon intermédiaire » vacille lui aussi largement. (...)
Enfin, le rapport est sévère sur « l’idéal » de l’école inclusive, qui toucherait peut-être « ses limites », faute de moyens adéquats. (...)