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Le Repli : une critique de la normalisation médiatique de l’autoritarisme et du racisme
#medias #autoritarisme #racisme #acrimed
Article mis en ligne le 17 décembre 2024
dernière modification le 15 décembre 2024

Le film-essai Le Repli, réalisé par Joseph Paris, suit le parcours du militant des droits humains Yasser Louati et retrace l’histoire du durcissement autoritaire de l’État. En alternant archives, témoignages et analyses de chercheurs, il revient sur la longue construction du « problème musulman », la montée du racisme, la répression des minorités et le recul progressif de nos libertés fondamentales. Les médias dominants y apparaissent comme un rouage essentiel à double titre : d’un côté, en agissant comme une caisse de résonance des discours identitaires et sécuritaires qui saturent le champ politique ; de l’autre, en étouffant les contre-discours et en effaçant du débat public le point de vue et les mobilisations des populations victimes des politiques liberticides.

Cadrages biaisés, stigmatisation des musulmans, surenchère sécuritaire, hystérisation des débats, mise en récit complaisante des interventions policières, plateaux irresponsables sur une sortie partielle ou totale de l’État de droit… Tels sont quelques-uns des ressorts journalistiques que dénonce Le Repli. Si les médias dominants ne constituent pas le cœur du film, leur critique émaille de nombreuses séquences.

État d’urgence : amalgames et angles morts

Le film s’ouvre d’ailleurs sur un contrechamp de Yasser Louati analysant son interview sur CNN au lendemain des attentats du Bataclan. Une mise en lumière de la brutalité d’un certain journalisme. Le dispositif, dont il se rappelle avoir été « captif », le place alors « tout seul » face à deux journalistes qui le somment d’endosser une responsabilité au nom d’une « communauté musulmane » (...)

Très loin du bruit médiatique, les conséquences des politiques mises en œuvre après les attentats sont peu connues du public. Joseph Paris revient notamment sur les milliers de perquisitions, assignations à résidence, etc. autorisées sous l’état d’urgence, qui ont ciblé presque exclusivement des personnes issues de l’immigration maghrébine et dont la très grande majorité étaient injustifiées [1]. Un processus largement ignoré par la sphère médiatique, tout comme le traumatisme et l’injustice qu’ont pu représenter ces interventions policières pour les personnes ciblées. Le réalisateur a ainsi filmé une conférence de presse organisée par certaines de ces victimes qui, malgré la gravité des faits – un tabassage policier d’un jeune garçon et de sa mère – n’a pas suscité l’attention médiatique (...)

Une invisibilisation générale, qui aura privé la population de toute information sur les effets concrets des politiques publiques – particulièrement celles relevant de l’état d’urgence –, à l’aube d’une criminalisation élargie des groupes contestataires (militants politiques, écologistes, syndicalistes, etc.).

La co-construction politique et médiatique du « problème musulman » (...)

Les archives diffusées par Joseph Paris permettent de prendre du champ et de voir combien certains médias de masse – plus de trente ans avant l’avènement de l’empire Bolloré… – auront contribué à normaliser les discours identitaires, les schèmes et les rhétoriques racistes dans la roue du pouvoir politique. (...)

Ce n’est pas le moindre mérite du documentaire que de rappeler que la banalisation médiatique du racisme – ici mise au service de la disqualification d’un mouvement social – n’est pas un phénomène récent : « Je découvrais cette séquence avec l’impression d’avoir vu sa construction des milliers de fois, relève d’ailleurs Joseph Paris à propos de TF1. […] Sans doute l’information à la télévision se résume-t-elle à cela. À mettre en rapport des images qui n’en ont pas. »

Quelques années plus tard, en 1989, l’« affaire du foulard » montrera de nouveau le poids prépondérant des grands médias, notamment du Nouvel Observateur et d’Antenne 2, dans la construction de « la peur de l’islam », comme le retrace Thomas Deltombe, interviewé par Joseph Paris, dans son ouvrage L’Islam imaginaire [4]. Le documentaire rappelle les centaines de reportages consacrés au voile qui ont suivi et qui ont contribué à façonner durablement le débat public sur la laïcité, jusqu’à aboutir à la loi de 2004. (...)

Rappelons qu’en 2023, alors que « l’abaya » faisait la Une de tous les grands médias, le duo Truchot/Marschall infligeait un interrogatoire en règle à deux lycéennes à propos de leur tenue vestimentaire, tandis qu’elles étaient filmées de la tête aux pieds par les caméras de BFM-TV. Loin de valoir à leurs promoteurs une mise au ban de la sphère médiatique, l’islamophobie est valorisée, pour ne pas dire promue (...)

Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler, parmi de nombreux exemples, la frénésie médiatique générale autour du « phénomène Zemmour », en 2021 et 2022.

Un journalisme de préfecture

Dans la seconde moitié du documentaire, Joseph Paris s’attarde sur un autre versant du durcissement autoritaire de l’État : la répression et les violences policières. Des combats « vérité et justice » menés par de nombreuses familles et habitants des quartiers populaires jusqu’à la révolte des Gilets jaunes en passant par des manifestations d’exilés à Calais ou de sans-papiers à Paris, le documentaire pointe le rôle des grands médias, tantôt absents, tantôt auxiliaires de la répression. Joseph Paris interroge les images, comme celles de cette caméra de l’AFP « positionnée derrière la rangée de CRS » à l’occasion d’une manifestation d’exilés à Calais, et qui, de facto, construit un récit visuel opposant un « nous » légitime à des « autres » indésirables. Et là encore, si le documentaire souligne la droitisation générale du champ politique et « l’inflation identitaire des dernières années », il n’a pas la mémoire courte : l’interview de la chercheuse Vanessa Codaccioni [5] revient par exemple sur la promotion de dogmes sécuritaires au début des années 1980 [6]. Et en donnant la parole aux personnes ciblées par la répression policière, le documentaire prend la forme d’une critique des médias en actes (...)

S’il faut souligner que le documentaire de Joseph Paris a fait l’objet de critiques positives à sa sortie, notamment dans Télérama et L’Humanité, la polémique qui est née à la suite d’une projection du film apparaît comme un prolongement de son propos. (...)