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« Le racisme environnemental est un angle mort des luttes écologiques », dénonce le juriste William Acker
#gensduvoyage #habitatmobile #racisme
Article mis en ligne le 9 avril 2025

Une proposition de loi visant à « réformer l’accueil des gens du voyage », examinée le 3 avril à l’Assemblée nationale, est portée par le député Horizons Xavier Albertini. Elle introduit la notion de « préjudice écologique », parmi les facteurs aggravants liés à une occupation illicite. Le point avec le Brestois William Acker, juriste et délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC).

(...) Examinée le 3 avril dans le cadre de la « niche parlementaire » du groupe Horizons, la proposition de loi « pour réformer l’accueil des gens du voyage » a été retirée par son auteur, Xavier Albertini, conscient qu’elle ne pourrait pas être votée avant minuit en raison des 115 amendements déposés sur le texte émanant majoritairement des bancs du Nouveau Front populaire. Dans un communiqué, le député a indiqué que son travail se poursuivrait par le biais d’un groupe de travail amorcé par le ministère de l’Intérieur et le dépôt d’une nouvelle proposition de loi transpartisane.

Splann ! : En 2022, vous avez reçu le Prix du livre d’écologie politique pour votre ouvrage « Où sont les gens du voyage ? » Une cartographie précise qui établit un lien direct entre l’endroit où l’on vit et les différents degrés de racisme pouvant en découler…

William Acker : Il s’agit d’une référence à la notion de racisme environnemental. Les premiers à l’avoir théorisée sont les militants des droits civiques afro-américains. Dans le contexte d’une Amérique post-ségrégationniste, ils ont démontré qu’il existe une corrélation très forte entre discriminations raciale et environnementale. Et même si, chez nous, on ne parle pas de race, l’inventaire des aires d’accueil que j’ai réalisé, en 2021, confirme que l’on peut voir le racisme du ciel.

C’est-à-dire ?

W.A : Que dans notre pays, les zones de stationnement pour gens du voyage sont toujours situées en proche banlieue ou en périphérie. Bordées par des sites industriels ou de traitement des déchets. Le plus souvent, à proximité des centres de rétention administrative ou des mosquées.

Pour autant, ce constat permet-il de transposer cette notion de racisme environnemental en France ?

W.A : A priori, non. Mais deux éléments m’ont incité à le faire. D’abord, cette étude de 2019 du Bureau européen de l’environnement démontrant que les quartiers roms d’Europe de l’Est se situent quasi systématiquement en zones fortement polluées. Ensuite, le fait qu’en France, le statut des gens du voyage est juridiquement différent du droit commun s’appliquant à l’immense majorité de nos concitoyens. Or, dès que des lois ciblent une partie de la population, il y a racisme. Si vous ajoutez à cela mon inventaire des aires d’accueil, on peut dire qu’il existe une forme de racisme environnemental, en France. (...)

W.A : En élargissant la focale, on constate que le racisme environnemental touche également toutes celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de vivre en habitat mobile ou léger. Les travailleurs pauvres, les travailleuses du sexe, les exilé·es. Ces précaires, au sens large, qui sont indirectement visés par la proposition de loi du député Ensemble pour la République, Ludovic Mendes.

Que dit exactement cette proposition de loi ?

W.A : Qu’il faut « rééquilibrer la répression visant les installations illicites, tout en améliorant les conditions d’accueil des gens du voyage ». A quelque chose près, une reprise de cette vieille idée qui consiste à voir les Voyageurs comme un groupe marginal nécessitant « une réforme sociale » constante. Or, depuis les années 1950, on sait qu’ajouter de nouveaux dispositifs à ceux déjà existants ne résout en rien cette impossibilité légale de s’établir dans la commune de son choix. J’en veux pour preuve les métropoles brestoises et rennaises où l’on dénombre entre 100 et 200 familles en errance. Toutes contraintes au stationnement illicite, faute de places disponibles dans les aires d’accueil dédiées. (...)

Faute d’avoir été correctement renseignée ou accompagnée par les collectivités, la majorité des gens du voyage en situation d’installation illicite, le sont sur leur propre terrain !

Et, comme si cela ne suffisait pas, Ludovic Mendes a décidé de s’engouffrer dans la brèche pour instaurer un principe d’application de mesures de mise en demeure des propriétaires, en cas de « motif d’intérêt général lié au préjudice écologique ». Une double peine supplémentaire, infligée aux Voyageurs. Où l’on voit qu’au nom de la protection environnementale, on peut rapidement glisser vers une forme de régulation des plus précaires. (...)

on pourrait aussi espérer que cette notion de « préjudice écologique » soit brandie avec la même célérité lorsque ce « motif d’intérêt général » impliquera des groupes industriels, dont les installations provoqueront des pollutions en ville. La réalité, c’est que cette proposition de loi n’a qu’un objectif : stigmatiser encore davantage les Voyageurs, en les faisant passer pour des pollueurs qui n’ont aucune conscience de l’environnement dans lequel ils vivent.

Ce qui est cocasse, quand on sait que la majorité des aires d’accueil sont construites sur de larges dalles de béton, sans arbre ni gazon (...)

Selon vous, comment peut-on expliquer ce détournement d’usage du « préjudice écologique » ?

W.A : En reconnaissant simplement que le racisme environnemental est un angle mort des luttes écologiques. Je prends un exemple. À l’été 2023, j’étais invité aux universités d’été des Écologistes pour évoquer cet enjeu. Au fur et à mesure que je parlais, je sentais qu’une partie de la salle était comme sonnée. De l’aveu même de certain·es militant·es, la question des gens du voyage et des aires d’accueil n’a jamais été identifiée comme un enjeu de la lutte écologique.

On retrouve d’ailleurs ce genre de discours avec les habitant·es des quartiers populaires. Comme si les uns et les autres étaient étrangers à ces combats (...)

on oublie d’écouter les premiers concernés et on calque nos vieux schémas de pensée sur des combats actuels. Cela participe non seulement à une forme de délégitimation de ces personnes, mais établit une sorte de hiérarchie des luttes entre les barrières légales à faire tomber, et les autres. (...)

pointer l’hypocrisie de ce double discours qui interdit aux « mauvais nomades » le droit de vivre dans leurs caravanes, en même temps qu’il érige ce mode de vie comme une solution possible aux problèmes écologiques et de mal-logement, notamment grâce aux tiny houses.

Au-delà de la violence du procédé, ce double discours implique l’instauration d’un double standard : des facilités législatives, d’un côté ; des barrières légales, de l’autre. Face à cette hypocrisie, on se doit de répondre par la convergence des luttes sociales et écologiques. Parce que si l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ; l’écologie sans lutte antiraciste revient à peindre la domination en vert.