
L’habitat mobile, et en particulier celui des « gens du voyage », subit une pression juridique constante, oscillant entre des politiques publiques visant à organiser l’accueil et des mesures répressives croissantes. Avec la proposition de loi Mendes, une nouvelle brèche est sur le point d’être ouverte dans la protection du droit de propriété des personnes vivant en habitat mobile.
(...) Si elle était votée en l’état, cette proposition de loi pourrait engendrer une catastrophe sociale supplémentaire dans un contexte où la France est épinglée par les instances européennes sur ses manquements envers les « Roms et gens du voyage », notamment en matière de logement.
Dans une tribune récente je mettais en exergue comment la question de la protection de l’environnement est utilisée comme un outil de relégation des plus précaires. Ce qui est très visible au sujet des Voyageurs et de leurs caravanes et qui est particulièrement cynique lorsqu’on sait que les conditions de vie imposées à ceux qui vivent dans des aires d’accueil, souvent mal localisées et polluées, portent atteinte à leur santé et leur espérance de vie.
Un vide juridique sciemment laissé par le législateur
En 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le III de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000, qui interdisait aux collectivités territoriales d’appliquer les mesures d’expulsion des stationnements illicites aux propriétaires stationnant sur leurs propres terrains. Il a justifié sa décision en rappelant que cette disposition portait une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel a alors donné au législateur jusqu’au 1er juillet 2020 pour revoir sa copie et combler ce vide juridique. Pourtant, ce délai a été purement et simplement ignoré, laissant la loi dans un état où, en théorie, les propriétaires de terrains peuvent être soumis aux mêmes contraintes que les occupants de terrains publics ou privés en situation d’installation illicite.
Depuis cette époque, plusieurs associations ont dénoncé ce flou juridique, alertant sur la brèche dangereuse qui a été ouverte pour les Voyageurs. Mais malgré ces alertes, les gouvernements successifs sont restés atones.
L’article 12 de la PPL Mendes : une réécriture dangereuse (...)
Avec cette nouvelle rédaction, un propriétaire pourrait être expulsé de son propre terrain si les autorités estiment que son installation porte atteinte à la salubrité, la sécurité, la tranquillité publiques ou à l’environnement, notamment en cas de "dommage écologique avéré" ou d’une "imminence de sa réalisation".
Une nouvelle porte ouverte aux abus
Cette évolution est extrêmement préoccupante pour plusieurs raisons :
1- Un risque d’expulsions arbitraires (...)
2- Une atteinte injustifiée au droit de propriété (...)
3- Une discrimination indirecte contre les Gens du voyage (...)
D’ailleurs, pour saisir un peu le risque de dérive, il suffit d’écouter une récente interview de Ludovic Mendes pour comprendre ce qu’il entend par « préjudice écologique ». Il inclut ainsi sous cette appellation, le fait de laver sa caravane sur une aire protégée ou de laisser des déchets comme un motif légitime. Dores et déjà, notre expérience de terrain qui nous laisse entrevoir une grande créativité administrative en la matière, nous permet d’imaginer le champ des possibles. On ne pourrait qu’espérer que le préjudice écologique soit apprécié avec autant de rigueur lorsqu’il implique de grands groupes industriels.
En attendant, c’est donc un nouvel instrument de marginalisation sociale qui se profile. Si on entend souvent que l’écologie sans lutte des classes c’est du jardinage, il est à peu près aussi sûr que l’écologie sans lutte antiraciste revient à repeindre la domination en vert…
Une menace constitutionnelle et juridique (...)
Un retour en arrière dangereux
L’ironie de cette situation est frappante :
En 2019, le Conseil constitutionnel a supprimé un texte mal rédigé au motif qu’il pourrait porter atteinte au droit de propriété des Voyageurs. En 2025, la proposition de loi Mendes propose sa réintroduction par un mécanisme d’expulsion contre les propriétaires... au nom de l’environnement. (...)
La mobilisation contre cette proposition de loi est essentielle pour éviter que la lutte contre le "préjudice écologique" ne devienne un levier d’exclusion. Rappelons-le quand même, cette notion de préjudice écologique a été introduite en France dans le cadre du procès de l’Erika en 2012, comme outil de réparation contre les atteintes à l’environnement commises par le groupe Total.
C’est dire qu’il fallait bien un certain sens politique pour faire d’une mesure de protection environnementale, un nouvel outil de répression antitsigane.