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Basta !
Le plan des États-Unis pour l’Ukraine, « fruit de 40 ans d’histoire entre Trump et la Russie »
#guerreenUkraine #Trump #Poutine
Article mis en ligne le 5 mars 2025
dernière modification le 3 mars 2025

Comment comprendre le rapprochement entre Trump et Poutine au sujet de l’Ukraine ? Quelles conséquences pour l’Europe ? Réponses avec Régis Genté, journaliste basé en Géorgie, auteur d’une enquête sur les relations de Trump avec le pouvoir russe.

Basta ! : Comment analysez-vous l’incroyable altercation entre Trump et Zelensky lors de leur rencontre à la Maison blanche, le 28 février ?

Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l’histoire diplomatique. Pour autant, elle s’inscrit dans la droite ligne des déclarations outrancières de Trump au sujet de l’Ukraine depuis qu’il est revenu au pouvoir, quand il dit que « Zelensky est un dictateur sans élection », que c’est lui qui a commencé la guerre, etc.

Ce qui est faux, bien entendu. Ce qui est intéressant avec Trump, ce ne sont pas ses mots, mais les intentions qu’il y a derrière. Il apparaît assez clair que cette scène a été pensée à l’avance, tout cela n’est pas arrivé par accident.

« Cette séquence dans le bureau ovale est probablement du jamais-vu dans l’histoire diplomatique »

Vu les conditions posées préalablement à l’accord de paix, sans la moindre contrainte pour Poutine, Trump se doutait que Zelensky ne signerait pas. La manipulation consiste à lui rendre les choses impossibles pour lui faire porter ensuite la responsabilité de l’échec des négociations, et avoir ainsi une pseudo-justification morale pour ne plus armer l’Ukraine – et peut-être même ne plus lui fournir de renseignements, si Musk décide également de ne plus utiliser ses satellites Starlink. Ce qui laisse les mains libres à Trump pour négocier directement avec Poutine et signer une paix favorable à la Russie, puisqu’il semble bien que ce soit son projet depuis le départ. (...)

Trump est dans le radar du KGB dès la fin des années 1970, lorsqu’il se marie avec Ivana, sa première épouse, qui est alors citoyenne tchécoslovaque, un pays satellite de l’URSS. La sécurité d’État tchécoslovaque, la STB, une sorte de filiale du KGB, avait identifié cet homme alors encore méconnu, mais déjà assez riche et remuant.

C’est le moment où le KGB va redéfinir et intensifier ses efforts de recrutement, principalement aux États-Unis, son principal ennemi. Les documents internes de l’époque sont très clairs, sur le sujet : Vladimir Krioutchkov, le patron de la première direction générale du KGB, la plus prestigieuse, en charge de l’espionnage politique extérieur, cible tout particulièrement les scientifiques et les personnalités du monde politique et des affaires comme de potentiels relais intéressants au service de l’URSS. Trump entre parfaitement dans ce spectre-là.

Ce travail d’approche se concrétise en juillet 1987, lors du tout premier voyage de Trump à Moscou, dans l’idée d’y vendre une Trump tower. Tous les éléments laissent à penser que l’opération est directement organisée par le KGB. D’ailleurs, à peine deux mois après son retour, Trump s’offre une campagne de communication, pour près de 100 000 dollars, dans les plus grands journaux américains [le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe, ndlr] pour publier une lettre ouverte appelant à ce que les États-Unis « cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes », en référence directe à l’Otan. (...)

on ne trouve guère de déclaration sérieuse de sa part où il se serait montré critique à l’égard de la Russie ou de Poutine. Au contraire, il est en permanence très élogieux. (...)

Le titre de mon livre, Notre homme à Washington, est directement tiré d’un e-mail découvert par le procureur spécial Robert Mueller, lors de son enquête sur ces soupçons de collusion. L’auteur de cette formule, Felix Sater, connaît bien Trump et est directement issu de la « mafia rouge », ces familles de mafieux qui ont émigré d’Union soviétique aux États-Unis dans les années 1970. En Russie, ces gens-là ne sont jamais bien loin de l’appareil d’État. Felix Sater est particulièrement bien connecté aux hautes sphères des services de sécurité russe.

La preuve quand il écrit en 2015 qu’il va tenter de convaincre Poutine qu’on pourrait « installer notre homme à la Maison blanche », en parlant de Trump. La formule est très révélatrice (...)

Le rapport Mueller, demandé par le département de justice américain, apporte des preuves très fortes sur cette influence, et sur la complaisance – pour ne pas dire plus – de Trump et de ses équipes à l’égard de tous ces gens parfaitement intégrés au système politique russe. (...)

e n’est pas un agent, au sens où ce n’est pas quelqu’un qui est rémunéré pour rendre des services et qui se sait missionné pour ça. C’est plus subtil. Il faut plutôt le voir comme une sorte de compagnonnage, quelqu’un qu’on va accompagner dans sa carrière parce qu’on a repéré qu’il pouvait être sur la même longueur d’ondes, partager une même vision du monde, et surtout qu’il pouvait être utile pour du renseignement ou de l’influence.

Dans le jargon soviétique, on appelle ça un « contact confidentiel », une notion qui apparaît dans les mêmes documents stratégiques du KGB, au moment d’établir les campagnes de recrutement dans les années 1980. Le contact confidentiel y est défini comme une personne « susceptible de fournir de l’information de valeur, mais aussi d’influencer activement la politique intérieure et extérieure ».

À ce moment-là, les velléités politiques de Donald Trump sont déjà claires. Il ne va pas devenir pour autant une marionnette, mais plutôt une sorte de relation intéressante qu’on entretient, qu’on flatte, qu’on aide. Trump a ainsi été « cultivé » par différents réseaux, pendant près de 40 ans, avec plus ou moins d’intensité. (...)

À chaque fois qu’il approchait de la faillite, on a vu des oligarques et des mafieux injecter de l’argent dans ses projets immobiliers ou blanchir de l’argent dans ses casinos. En Russie, ce genre de personnes agit toujours en symbiose avec l’État, il y a une connexion intrinsèque entre le monde du crime, la pègre, et le monde des services de sécurité. Trump est lié à cet « État profond » russe, cet État dans l’État : un mélange de pouvoir politique, de pouvoir financier, de pouvoir mafieux et de pouvoir sécuritaire.

Et quel était son intérêt à lui, Donald Trump ?

Cela a été une façon de se donner une surface internationale et de nourrir ainsi ses ambitions, aussi bien dans le business qu’en politique. (...)

interrogé sur les soupçons d’ingérence russe pendant la campagne de 2016, Trump répond qu’il fait plus confiance à Poutine qu’à la CIA ! Et on découvre un Trump, à l’attitude d’ordinaire si tonitruante et volontariste, qui ressemble d’un coup à un petit garçon à côté de Poutine.

En fait, Trump admire profondément Poutine, comme le décrit bien son ancienne conseillère sur la Russie, Fiona Hill, dans un livre (There is nothing for you here, 2021, non-traduit). (...) (...)

Trump est fasciné par la façon dont Poutine dirige son pays et par la mise en scène de son pouvoir. Il est un modèle, qui coche toutes les cases dont Trump rêve – puissance, richesse, célébrité – et avec qui il partage un même ADN sociopolitique : le culte de la puissance, des hommes forts, de la grandeur de l’État, une vraie aversion pour la démocratie libérale et le mépris des peuples qui va avec, la dénonciation des élites et la soumission de la vérité à la politique. (...)