
À la suite des attaques récentes d’Israël, des récits ont émergé depuis les hôpitaux iraniens, révélant une opacité extrême, des transferts suspects de munitions vers des lieux civils et une pression insupportable sur les soignants. Alors que Téhéran ne peut être évacuée, la population reste prisonnière entre deux feux : la répression du régime et les attaques étrangères.
Interview exclusive – Nazila Maroofian
Récits venus des ténèbres : infirmiers, civils, et le silence mortel
Téhéran – Kermanshah | Juin 2025
Dans le silence pesant des médias officiels, des récits non officiels en provenance des hôpitaux et de la population dévoilent une réalité terrifiante en Iran ces derniers jours. Des récits empreints de peur, d’épuisement, de chagrin et de désespoir ; des images dissimulées aux caméras officielles.
Kermânchâh : des voix étouffées sous les décombres, la fumée et la mort
Une infirmière de l’hôpital Farabi de Kermânchâh, ayant requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, a livré ce témoignage bouleversant sur les heures ayant suivi les récentes attaques dans cette ville :
« À Kermanshah, les corps et les blessés ont surtout été acheminés vers l’hôpital militaire. Les allées et venues étaient étonnamment discrètes et contrôlées. L’hôpital Farabi, pourtant l’un des plus proches du lieu de l’explosion, n’a subi curieusement aucun dommage. Aucun membre du personnel n’a été blessé. »
les lance-missiles et les munitions sont déplacés en permanence. Par exemple, j’ai vu de mes propres yeux, la veille de l’attaque, des lance-missiles transférés de Diselabad vers Farabi. Et c’est précisément là qu’ils ont frappé. »
Ce témoignage relance une fois de plus la question de l’utilisation d’infrastructures publiques comme boucliers humains par le gouvernement.
« Concernant les victimes civiles, on nous a dit qu’au moins six ou sept personnes étaient mortes : des gardiens d’entrepôts et de garages à Diselabad ou des ouvriers du coin. Mais les pertes militaires sont bien plus importantes : les estimations dépassent les 150 morts. Beaucoup étaient méconnaissables, les décomptes se sont faits à partir des crânes. »
« Tout est flou. Il n’y a aucune information d’autres régions. Juste un silence pesant et inquiétant. »
Elle conclut, envahie par une peur profonde et le sentiment de vivre entre deux feux :
« Nous, les gens de ma génération, on a quarante ans… et quarante années de captivité. Quand un des “haut placés” meurt, je pleure… mais au fond, une partie de moi est soulagée. Pourtant, la peur domine. Et si ceux-là tombent, qui les remplacera ? Avant les attaques, on vivait déjà dans le feu. Maintenant aussi. Y a-t-il une issue, un espoir ? » (...)
À Téhéran, une infirmière de l’hôpital Labafi-Nejad témoigne de la situation du personnel médical :
« Nous travaillons en rotation. Aucun blessé grave n’a encore été transféré ici, mais des blessés légers sont arrivés à Tajrish et ont été soignés puis renvoyés. »
Mais les conditions de travail dépassent les limites humaines :
« J’ai enchaîné trois gardes de 24 heures, soit 72 heures sans interruption. Ensuite, on n’a droit qu’à 12 heures de repos avant de reprendre. Il m’est arrivé de faire cinq gardes d’affilée, c’est-à-dire 120 heures à l’hôpital. Notre voix n’a jamais été entendue. Pourtant, on a toujours été là, aux côtés du peuple. » (...)
Un soignant de Hormozgan confie :
« On nous a ordonnés de ne plus accepter aucun patient. L’hôpital doit être libéré pour les blessés de guerre. On est tous en astreinte. Même pas un jour de repos. » (...)
« Tous les jours de congé et de permissions que nous avions posées ont été annulés. On nous a même interdit de sortir de la province de Hamedan. On se souvient du personnel soignant seulement dans les moments de misère, de guerre, de crise et de catastrophe ! Un personnel soignant dont les honoraires, les primes et les heures supplémentaires n’étaient même pas payés jusqu’au mois dernier ! Et ce n’est toujours pas le cas, d’ailleurs. Nos droits ont tous été détournés par ce gouvernement voleur. Il y a une limite à ce qu’on peut accepter en termes d’injustice et d’oppression. » (...)
Le manque d’essence a rendu toute fuite impossible pour beaucoup. Les stations d’essence ne délivrent pas plus de 15 litres d’essence par véhicule après des heures d’attente.
Le système bancaire de certaines banques dont "Melli" ou "Sepah" lié aux gardiens de la révolution ne fonctionne plus. Ce qui met en grande difficulté la population pour retirer de l’argent ou pour régler ses achats.
Les Iraniens se retrouvent ainsi prisonniers de trois cercles implacables :
- Le pouvoir répressif intérieur, qui les enferme dans l’étau de ses appareils sécuritaires ;
- La menace extérieure, qui sous couvert de frapper des cibles militaires, met en péril les zones civiles ;
- Et le silence de la communauté internationale, qui observe sans agir.
Densité urbaine et illusion d’évacuation (...)
Alors que les responsables israéliens prétendent viser des « cibles militaires et gouvernementales », la réalité sur le terrain montre que, dans un contexte dans lequel la frontière entre cibles militaires et zones civiles n’existe plus, c’est une forme de punition collective et de violence aveugle qui frappe. Le peuple iranien n’a choisi ni ce régime, ni ses politiques sécuritaires, ni cette terrible guerre.
Un peuple pris entre deux feux
Les Iraniens sont écrasés depuis des années entre une dictature intérieure et des menaces extérieures. Aujourd’hui, d’une part, leur voix est étouffée dans leur propre pays, et d’autre part, ils ne sont plus distingués de leur régime coupable de décennies de chaos, ils deviennent des cibles directes. (...)