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Mediapart
Le document secret qui a bouleversé le contrôle du nucléaire français
#nucleairefrançais
Article mis en ligne le 22 mars 2025
dernière modification le 18 mars 2025

En 2023, un rapport confidentiel présenté lors d’un conseil de politique nucléaire donnait le top départ au bouleversement du système de sûreté de la filière de l’atome. Mediapart y a eu accès et a appris qu’il avait été modifié à la demande de l’Élysée.

C’est un document que très peu de personnes ont pu lire, et surtout pas les premières concernées par les changements qu’il annonçait. Au début de l’année 2023, un rapport de 30 pages propose de « refondre » l’organisation de la sûreté nucléaire française.

Présenté lors du conseil de politique nucléaire du 3 février de cette année-là, il recommande de « renforcer les attributions » de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), qui assure alors le rôle de contrôle de la filière de l’atome. Mais aussi de « demander à l’ASN qu’elle renonce à ses exigences d’augmentation du niveau de sûreté des installations nucléaires » à l’occasion des inspections complètes des centrales nucléaires qu’elle effectue tous les dix ans. Et enfin d’« augmenter la proximité des exploitants », c’est-à-dire EDF, Orano, le Commissariat à l’énergie atomique, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, « et de l’ASN ».

Deux ans plus tard, il n’a toujours pas été rendu public. Et pour cause : il avait été estampillé de la mention « diffusion restreinte » et dormait depuis dans un tiroir de l’Élysée. Mediapart a eu accès à une version de ce document explosif, rédigé par Daniel Verwaerde, un ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), à la demande de l’Élysée. (...)

À la lecture du rapport, on comprend que, depuis, il s’est en grande partie traduit dans les faits : l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui servait de vivier d’expertise et de recherche à l’ASN, a disparu, et ses salarié·es ont intégré une nouvelle structure, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), qui ressemble à une super-autorité de sûreté.

Le Parlement a voté une loi d’accélération du nucléaire cherchant à simplifier toute une série de procédures administratives. Et la nouvelle autorité de sûreté reconnaît, par la voix de son directeur général adjoint, Julien Collet, que la visite des quarante ans des centrales a demandé un travail « d’une ampleur hors norme » et que celle des cinquante ans sera « un peu différente dans son approche ».

Le rapport mystère

Le 3 février 2023, le rapport Verwaerde avait été présenté et discuté en conseil de politique nucléaire, une réunion de haut niveau autour du président de la République, et qui a la particularité d’être en grande partie couverte par le secret-défense. Alors, qui a eu le droit de connaître ce rapport ? Pas les responsables concernés au premier plan : ni l’ancien directeur général de l’IRSN, Jean-Christophe Niel, ni l’ancien président de l’ASN, Bernard Doroszcuk, ni le président de la nouvelle ASNR, Pierre-Marie Abadie, selon les informations de Mediapart.

L’ancien ministre de l’industrie, Roland Lescure, assure n’en avoir « jamais entendu parler ». Le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique en 2023, et chargée à ce titre de porter la loi d’accélération du nucléaire, répond que « ce rapport a été commandé par l’Élysée » et que « son contenu est classifié, de sorte que [le cabinet] ne [peut] ni infirmer ni commenter » la moindre question le concernant. (...)

Alors pourquoi tant de mystères ? Est-ce parce que le rapport critique assez vertement EDF, constatant qu’après « vingt années de doute quant au nucléaire, la sphère industrielle française n’est pas prête pour réaliser avec succès ce nouveau programme » de construction de réacteurs atomiques ?

L’industriel, « que l’État a positionné comme le chef de file de la filière nucléaire française, s’est en réalité comporté en pur acheteur », « détruisant tout esprit de partenariat » au sein de la filière, écrit l’auteur. Au point que selon lui, « le nucléaire civil, contrairement au nucléaire de défense, n’est plus une Œuvre commune, pour laquelle chacun agit au bénéfice du résultat commun et de l’intérêt supérieur de l’État, mais une mosaïque d’intérêts individuels, sans orientation commune et jusqu’à peu, en position de survie ».

Critique au vitriol d’EDF (...)

Quant à la refonte du système de la sûreté du nucléaire, qui a été menée à marche forcée par l’exécutif, contre l’avis d’une grande partie des professionnels, et qui a dû être soumise à deux reprises au vote des parlementaires, qu’en dit ce rapport confidentiel ? Il s’inquiète des « diaphonies », c’est-à-dire de défauts dans la transmission d’un signal quand il existe plusieurs canaux de communication, causés par l’existence de l’organisation « bicéphale » du système, alors partagé entre une autorité de sûreté, l’ASN, et un institut d’expertise et de recherche, l’IRSN (...)

Opacité totale

À l’époque, l’IRSN avait en effet pour règle de rendre publics tous ses avis, contrairement à l’ASN. Depuis, le règlement de la nouvelle autorité, entrée en fonction le 1er janvier 2025, semble lui avoir donné raison : l’ASNR n’est en effet plus obligée de publier ses avis d’expertise avant de faire connaître ses décisions. (...)