
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté publie en urgence des recommandations sur la prison pour mineurs de Marseille-La Valentine, faisant état d’une « indignité des conditions » de vie et de « violences psychologiques et mesures constitutives de traitements inhumains et dégradants ». Le ministère de la justice annonce la fermeture « d’une à deux unités pour la réfection progressive des cellules ».
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), l’autorité administrative chargée de contrôler les lieux de détention, a publié vendredi 29 août des recommandations alertant sur les conditions de vie au sein de l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Marseille-La Valentine (Bouches-du-Rhône) dont il demande, en urgence, la fermeture.
« Indignité des conditions » de vie, « surenfermement » de mineurs parfois laissés à eux-mêmes, « violences psychologiques et mesures constitutives de traitements inhumains et dégradants »… : l’état des lieux dressé par la contrôleuse générale Dominique Simonnot est accablant pour l’administration pénitentiaire (AP) et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les deux administrations chargées de l’établissement.
« Face au caractère gravissime de ces constats, prescrit même le CGLPL, seule la fermeture, au moins partielle, de l’établissement apparaît de nature à permettre son rétablissement, au prix d’une refondation intégrale de son fonctionnement. » Les recommandations de fermeture d’établissement sont extrêmement rares. Signe de la gravité de la situation, celle-ci est publiée en urgence, sans attendre le rapport définitif du CGLPL, qui ne sera publié que dans plusieurs mois.
Lors de sa visite effectuée avec cinq contrôleurs du 7 au 11 juillet 2025, la contrôleuse générale a tout d’abord constaté le délabrement des locaux de l’établissement pénitentiaire où sont détenu·es 53 adolescent·es, pour 59 places, réparti·es dans sept bâtiments de quatre à dix places chacun. (...)
Les recommandations décrivent un ensemble « exigu » avec des fenêtres de cellule « toutes barreaudées et grillagées ». « Lors de la visite, les jeunes passaient leur temps à regarder et à crier par la fenêtre. » Les cellules, quant à elles, « ont un équipement sommaire, entièrement intégré au bâti ». « Seul un siège est mobile », précise Dominique Simonnot. Fixée au mur, la télévision est « difficile à regarder car “protégée” par un caisson en plexiglas assombri de multiples rayures ».
« Les murs des cellules, poursuit le CGLPL, sont partout couverts de graffiti, dont la couleur et la texture évoquent parfois de la matière fécale ou du sang. » « La salle d’eau privative » est « dépourvue de porte » et « la cuvette des WC sans lunette est au mieux crasseuse, au pire cassée ». (...)
« Il n’y a plus de distribution mensuelle de produits d’hygiène corporelle, alors qu’aucune brosse à dents n’est, par exemple, vendue en cantine », poursuivent les recommandations. L’utilisation des téléphones fixes, lorsqu’ils fonctionnent, « est soumise aux mêmes tarifs prohibitifs que dans les établissements pénitentiaires pour adultes ». « Il est interdit de poser un rideau à la fenêtre », même en cas de fortes chaleurs et alors que « le réseau ne distribue que de l’eau tiède ».
La nourriture fournie aux mineurs est également insuffisante (...)
Les recommandations s’indignent en particulier d’une « pratique gravement attentatoire aux droits fondamentaux des mineurs détenus et susceptible d’être regardée comme constituant un traitement inhumain ». Baptisée « mise en grille », elle consiste à enfermer pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq heures « un adolescent, quel que soit son âge, dans un des trois locaux barreaudés, dépourvus d’assise, de point d’eau potable et de WC, situés dans le bâtiment disciplinaire désert, où aucune surveillance continue n’est assurée ». (...)
La contrôleuse générale demande que « la pratique de la “mise en grille” » soit « immédiatement et définitivement proscrite ». D’une manière générale, « il doit être mis fin à toute pratique consistant en un isolement de fait », affirme Dominique Simonnot.
L’une des raisons de l’état catastrophique de l’EPM de Marseille-La Valentine est la démobilisation du personnel, due notamment à un « absentéisme massif » résultant « de vacances de postes, d’arrêts de travail ou de la multiplication de postes aménagés pour motifs thérapeutiques ».
« Parce qu’ils se rendent rarement dans les cellules, les éducateurs n’investissent pas la dimension éducative de l’accompagnement d’un jeune dans le soin apporté à sa personne et à son environnement direct, notamment en matière d’hygiène », pointent encore les recommandations. (...)
« Chaque professionnel subit ces conditions de travail en même temps qu’il participe de leur détérioration, résume-t-elle. La conséquence immédiate est que les mineurs détenus dans cet établissement sont victimes d’une forme de “surenfermement”. »
Le CGLPL souligne par ailleurs que ces problèmes sont connus depuis le mois de mars, lorsque plusieurs alertes avaient été lancées. Dans un communiqué publié le 31 mars, l’Observatoire international des prisons (OIP) dénonçait l’annulation de plusieurs cours en raison d’un manque « de personnel pénitentiaire pour assurer la surveillance et les déplacements jusqu’au pôle scolaire ». (...)
Au début du mois d’avril, le site Marsactu avait également évoqué la « crise sans précédent » que traverse l’EMP Marseille-La Valentine depuis le viol, en fin d’année 2024, d’un des adolescents par un autre codétenu lors d’une de promenade.
Dans ses recommandations, la contrôleuse générale indique par ailleurs avoir été informée lors de sa visite « d’un signalement adressé au tribunal judiciaire de Marseille, l’alertant sur les conditions d’incarcération très dégradées, la suspension des activités scolaires et faisant état d’un risque de mise en danger pour défaut de surveillance pouvant à tout moment provoquer une fermeture de l’établissement ». (...)
Le contrôle du CGLPL avait également été décidé à la suite d’une visite parlementaire effectuée par le député Nouveau Front populaire (NFP) des Bouches-du-Rhône Hendrik Davi le 7 mars, qui avait alors alerté sur le manque de personnel et ses conséquences sur la prise en charge des mineur·es.
« Lors de notre visite, la directrice de l’EPM nous avait confirmé que celui-ci fonctionnait avec environ 50 % des effectifs nécessaires pour le bon fonctionnement de l’établissement, raconte à Mediapart Hendrik Davi. Il y a à la fois un manque de recrutement et beaucoup d’arrêts de travail des personnels, conséquences des conditions très difficiles et de la pénibilité de leur travail. Et cela induit un certain nombre de phénomènes, notamment concernant l’éducation, qui sont absolument inadmissibles. Le droit à l’éducation est consacré au niveau international et il concerne également les enfants détenus à l’EPM. »
« Car ce sont bien des enfants que j’ai vus dans les cellules lors de ma visite, reprend le député. Des enfants semblables à ceux que je peux voir lorsque je visite un lycée ou un collège. Et quand je suis rentré dans leurs cellules, tous m’ont dit qu’ils voulaient apprendre, qu’ils seraient contents de retrouver l’école. Il est indispensable d’encadrer ces enfants pour qu’ils reprennent leur parcours éducatif. C’est vraiment la seule façon de les resocialiser correctement, et donc de les sortir des réseaux de délinquance. »
La réponse du ministère de la justice
Dans une réponse publiée au Journal officiel, à la suite des recommandations du CGLPL, le ministère de la justice répond partiellement à ses demandes. Gérald Darmanin y annonce notamment qu’il a été demandé « à la cheffe d’établissement de l’EPM de Marseille de procéder dès le mois de septembre 2025 à la fermeture d’une à deux unités pour la réfection progressive des cellules ».
Tout en annonçant ces travaux, ainsi que diverses mesures pour améliorer l’équipement des cellules, le ministère fait porter la responsabilité de la situation en grande partie sur les mineur·es. (...)
L’absence de porte aux salles de bains est, elle, une mesure « visant à permettre de lutter contre les suicides et d’assurer une visibilité aux personnels ».
Le ministère reconnaît par ailleurs l’illégalité de la punition de « la mise en grille ». « L’arrêt immédiat de cette pratique locale a donc été acté par une note de service du 20 août. Cette action sera également accompagnée d’une réflexion plus large de cogestion des publics mineurs en crise ou auteurs d’incident », précise la réponse.
Concernant le manque de personnel, le ministère tient à « préciser que des renforts ont été apportés. (...)
Le garde des Sceaux assure que d’autres mesures d’accompagnement des personnels ont été mises en place (...)
Enfin, Gérald Darmanin annonce avoir ordonné « une inspection de l’établissement confiée à l’Inspection générale de la justice et devant [lui] remettre sous un mois un rapport provisoire » pour un point sur les mesures prises.