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Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France : « Si Paul Watson va en prison au Japon, il n’en ressortira pas vivant »
#Danemark #Japon #SeaShepherd #baleines #PaulWatson
Article mis en ligne le 8 septembre 2024
dernière modification le 5 septembre 2024

Lamya Essemlali, 37 ans, est une infatigable et charismatique activiste. En 2006, quelques mois après avoir croisé la route de Paul Watson, célèbre défenseur de la vie marine et fondateur de Sea Shepherd, elle crée la branche française de ce mouvement international. Ces dernières semaines, la mise en détention de son mentor la force à se démener toujours davantage. Je la retrouve à bord d’une péniche stationnée sur un quai de Seine à Paris, alors qu’elle vient de passer sa journée à répondre à la télévision et la radio avant de récupérer des vêtements d’hiver pour regagner le Groenland.

Lamya Essemlali
(...) A Nuuk, au Groenland, je rends visite à Paul tous les jours. Et je suis en lien direct avec ses avocats.

Je le tiens informé de toute la mobilisation qu’il peut y avoir à l’extérieur, parce qu’il est hyper isolé. Il n’en sait rien, à part ce qu’on peut lui en dire ; il n’a pas accès à Internet et il a le droit de passer un seul coup de fil par semaine. Moralement, c’est important qu’il sente qu’il n’est pas tout seul.

Dans quel état d’esprit est-il ?

Il est content du coup de projecteur que sa situation met sur la chasse baleinière. Mais l’audience du 15 août, durant laquelle le juge a refusé de voir les preuves et de le remettre en liberté, ça lui a mis un coup au moral. Il s’est dit que les dés étaient vraiment pipés. (...)

Paul Watson était visé par une notice rouge d’Interpol, émise par le Japon en 2012. Il a été arrêté le 21 juillet dernier alors qu’il faisait le plein de son navire à Nuuk, au Groenland, avant de partir dans le Pacifique nord pour « intercepter » le Kangei Maru, le nouveau et gigantesque baleinier japonais. Est-ce que vous vous attendiez à un tel scénario ?

Le mandat d’arrêt n’était plus affiché sur le site d’Interpol, et c’est aussi pour ça qu’on a un peu baissé la garde. Je pense que c’est important que les gens comprennent comment marchent ces notices rouges, dont les dérives ont été soulignées par le Parlement européen. Il y a de plus en plus de gouvernements qui lancent des notices rouges, qu’Interpol accepte alors qu’ils n’ont pas le personnel suffisant pour mener les enquêtes, donc sans aucune preuve de culpabilité. Ça fout en l’air la vie de plein d’innocents, qui sont harcelés et traqués pour des motifs politiques, parce que ce sont des activistes ou des lanceurs d’alerte. (...)

Dans un entretien qu’il a accordé au média Vakita depuis sa cellule, Paul Watson a dit qu’il serait « extrêmement surpris » si le Danemark venait à l’extrader vers le Japon. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord, mais ce n’est pas exclu à l’heure actuelle ; le ministre danois de la Justice a dit qu’il n’avait pas d’éléments permettant d’exclure une extradition. Nous, on sait que les conditions ne sont pas réunies pour une extradition. Et surtout, on peut le prouver, sauf qu’on ne nous laisse pas le faire. (...)

Au-delà de lui, ce que je trouve vraiment très inquiétant, c’est que malgré la notoriété dont bénéficie Paul — c’est quelqu’un de connu, qui a beaucoup de soutiens — il est mis en prison sur la base de faits qui sont complètement fallacieux. Je me dis que les activistes qui n’ont pas sa notoriété n’ont aucune chance.
Vous projetez-vous dans un scénario dans lequel Paul Watson serait effectivement envoyé au Japon ?

Plus maintenant, parce que je l’ai fait, et ça me coupe les jambes. Je ne peux pas imaginer qu’il termine sa vie en prison.

Ils tenteraient de faire la même chose qu’avec Pete Bethune : ils le pousseraient à s’excuser platement. Mais Paul ne s’excusera jamais d’avoir sauvé des baleines. Ils lui feront subir les pires…

J’ai lu les rapports d’Amnesty International ou de Human Rights Watch sur ce qu’ils font subir aux prisonniers au Japon. Ils ont déjà été condamnés plusieurs fois pour ça. (...)

au Japon, ils peuvent te mettre à l’isolement sur des périodes de 23 jours renouvelables avec des interrogatoires de 12 heures par jour en pleine lumière, 24 heures sur 24, ou en pleine obscurité, jusqu’à ce que tu fasses des aveux. Ils t’obligent à faire des aveux de culpabilité, et ensuite tu as ton procès. Donc sur la base d’aveux faits sous la torture.

En plus, en prison, il y a des yakuzas [mafieux japonais, NDLR] qui attendent Paul, parce qu’eux, ils sont maqués aussi avec l’industrie baleinière. S’il va là-bas, il n’en ressortira pas vivant. (...)

Ces dernières semaines, on a vu une importante mobilisation autour de Paul Watson, particulièrement en France, avec la pétition de soutien signée par près de 800 000 personnes à laquelle Emmanuel Macron a répondu, des rassemblements dans l’hexagone comme à Copenhague… Est-ce que tout cela a eu un effet au Danemark ?

Ça a eu des effets, notamment le fait qu’Emmanuel Macron se soit exprimé [le 23 juillet l’Élysée a dit « suivre la situation de près » et « intervenir auprès des autorités danoises afin que Paul Watson ne soit pas extradé vers le Japon », NDLR]. Aujourd’hui, c’est le seul chef d’État qui l’ait fait de manière publique, probablement parce qu’il voit bien la ferveur qu’il y a en France pour Paul.

Ça a sensiblement énervé le Japon, qui a fait quelques sorties dans la presse en disant que la position d’Emmanuel Macron était très inamicale et que la France défendait un « écoterroriste ».
C’est cocasse d’imaginer que le gouvernement de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur qui utilise régulièrement ce qualificatif contre certains militants écologistes, défende un « écoterroriste »…

Qui l’eut cru, hein ? Mais moi, je trouve ça fou qu’il n’y ait pas d’autre chef d’État qui se mobilise publiquement pour lui, alors que Paul a fait leur job : faire respecter le moratoire international de 1986 qui interdit la chasse commerciale à la baleine.

Là, des lois de protection de la nature et d’espèces protégées sont violées en toute impunité par un État qui se comporte véritablement comme un État « écoterroriste ». (...)

En 2022, Sea Shepherd a connu une scission entre les partisans d’une institutionnalisation du mouvement et ceux, dont Sea Shepherd France ou Paul Watson, qui voulaient rester fidèles aux origines, en continuant de mener des actions spectaculaires contre ceux qui ne respectent pas la loi. Depuis l’arrestation de Paul Watson, avez-vous reçu des messages de soutien de vos anciens camarades de Sea Shepherd Global (monde), ou de l’antenne américaine ?

Aucun. En fait, Sea Shepherd Global, qui nous a évincés, Paul et moi, en 2022, a fait un post Facebook après l’arrestation de Paul [qui appelle sobrement à le relâcher, NDLR], probablement parce qu’ils ont été interpellés par plein de gens. Et c’est tout. (...)

Les directeurs de Global étaient présents sur les campagnes pour lesquelles le Japon tente de faire condamner Paul. Ils pourraient témoigner en sa faveur, mais ils ne le font pas. Ils sont dans une logique d’effacement de Paul. (...)