
Au cours de leur vie, 100 % des personnes trans subissent des discriminations. Ces violences imprègnent toutes les strates de la société. Dans « Transphobia », Élie Hervé rappelle : être trans n’est jamais un problème, c’est la transphobie qui en est un.
À peine arrivé à la Maison Blanche, l’une des priorités de Donald Trump a été de s’en prendre aux personnes trans et non-binaires. L’autrice d’Harry Potter, J. K. Rowling, a décidé de dédier sa fortune bâtie sur la saga au financement de poursuites juridiques transphobes. Dans certains médias français, des propos transphobes sont encore véhiculés, sans contradiction ni souci des premier·es concerné·es.
L’obsession politique et médiatique pour les personnes trans ne se cantonne pas au discours : ces attaques ont des conséquences réelles sur leurs vies, déjà précarisées par un système discriminant et entachées par une haine ancrée dans la société.
Élie Hervé est journaliste, spécialiste des questions de genre et de discrimination. Son ouvrage Transphobia : enquête sur la désinformation et les discriminations transphobes (Solar, 2025) revient sur le poids de la transphobie dans notre société, des médias aux lobbys réactionnaires, en passant par le champ politique et institutionnel. Entretien. (...)
Élie Hervé :
Aujourd’hui, si l’on prend tous les sujets qui parlent des personnes trans, selon une étude de l’Association des journalistes LBGTI (AJL), seuls 20,9 % des articles étudiés (plus de 400) donnent la parole aux personnes concernées, alors que 34,7 % des articles font référence à au moins une personne employant une rhétorique anti-trans. (...)
Cela va à l’encontre de toute la déontologie journalistique et de tout ce qu’on nous apprend pour devenir journaliste. Je n’ai donc pas réalisé ce livre dans une optique de rééquilibrer, mais plutôt dans celle d’enquêter sur les discriminations transphobes. Et pour dire à une partie des rédactions : « Faites votre travail. » Parce qu’effectivement, on se retrouve encore avec des propos transphobes à des heures de grande écoute, ce n’est plus du tout possible. (...)
Être trans, ça veut juste dire que les médecins ont choisi un genre qui n’était pas le bon à la naissance. Parce qu’aujourd’hui, ce sont les médecins qui décident du genre de l’enfant en fonction des organes génitaux qu’iels voient. À partir de là, iels décident qui est un homme ou une femme. Être trans, c’est ne pas être un homme quand on nous a assigné·e homme ou ne pas être une femme quand on nous a assigné·e femme.
On a cette idée qu’être trans, c’est forcément avoir eu recours à des opérations médicales, c’est forcément avoir réalisé un changement de prénom ou d’état civil. En fait, non, ça, c’est une conception médicale construite sur plusieurs dizaines d’années et qui est vraiment loin des réalités trans. Il n’y a pas deux parcours similaires. Et la transidentité concerne moins de 2 % de la population mondiale. (...)
Pour moi, c’était important de montrer que la plupart des personnes trans (comme le reste de la communauté queer, d’ailleurs) subissent des violences avant même de se savoir trans, avant même d’avoir fait leur coming in, c’est-à-dire d’en avoir pris conscience, et donc avant d’avoir fait leur coming out, c’est-à-dire d’en avoir parlé.
C’est une réalité qui touche absolument toutes les personnes trans. (...)
cette violence peut aussi aller jusqu’à des meurtres. Chaque année, environ 350 personnes sont tuées dans le monde par transphobie, et une grande majorité de ces meurtres sont des transféminicides. (...)
jusqu’en 2016, certaines personnes trans étaient stérilisées de force en France pour avoir accès à un changement d’état civil. Donc, il y a moins de dix ans, en France, une partie des personnes trans n’avaient plus accès à la parentalité, en plus d’avoir subi des violences physiques.
La transphobie d’État, c’est ça. Quand j’ai demandé au conseil de l’ordre des médecins s’il pouvait présenter des excuses, Anne-Marie Trarieux, présidente de la section « éthique et déontologie » m’a répondu : « Vous me posez beaucoup de problèmes. » Donc, ce qui posait de problème, c’étaient mes questions de journaliste, pas les stérilisations forcées. (...)
C’est important de noter que la transphobie n’est pas l’apanage de la droite et de l’extrême droite – même si ces idées-là servent davantage la droite et l’extrême droite, qui l’inscrivent dans le cadre d’un projet de société plus large.
Les premières tribunes anti-trans dans la presse datent de 2019. Mais, en dehors du milieu militant ou des associations, il n’y avait pas vraiment de reprise presse. Puis, en décembre 2020, naissent des organisations comme l’Observatoire de la petite sirène. À l’image de l’association Ypomoni, on y trouve majoritairement des femmes qui, sous couvert de vouloir « protéger » les enfants d’un soi-disant « lobby trans », luttent pour l’interdiction des bloqueurs de puberté.
L’an passé, une proposition de loi [du groupe Les Républicains, ndlr] a été présentée à ce sujet au Sénat et elle a été adoptée en première lecture. J’ai découvert, que la proposition de loi avait été écrite par les deux fondatrices de l’Observatoire de la Petite sirène (Caroline Eliacheff et Céline Masson) et que la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, à l’initiative du texte, leur avait juste ouvert les portes [la proposition de loi est toujours en examen à l’Assemblée nationale, ndlr].
Tout le monde est pour la protection des enfants. C’est quelque chose de consensuel. Sauf que, dans les faits, empêcher des mineur·es trans d’avoir accès à des bloqueurs de puberté augmente le taux de passage à l’acte, le taux de tentatives de suicide. Et derrière, les anti-trans s’en prennent aux adultes trans, puis au reste de la communauté LGBTQIA+, puis aux femmes cisgenres et hétéro, et enfin à toutes les personnes minorisées dans la société. (...)
C’est le même principe que pour l’accès à l’IVG, les personnes trans vont être considérées comme d’éternel·les mineur·es. Et donc les autres – que ce soient les médecins, les juges, les collectifs anti-trans – savent mieux que les personnes concernées ce qui serait bon pour elles. On l’a vu depuis que Trump a été réélu, on en est à plus de 940 textes anti-trans votés aux États-Unis. Trump s’attaque en parallèle aux personnes migrantes, il s’attaque à l’IVG, il s’attaque au droit à disposer de son corps. Dans son projet de campagne, c’était clairement dit. (...)
L’idée, c’était aussi de montrer que le fait d’être trans n’est pas grave. Ce n’est pas quelque chose qu’on choisit, et ce n’est pas un problème. En revanche, la transphobie est problématique. La transphobie va déclencher énormément de stress minoritaire, va empêcher les personnes d’avoir accès à certains lieux, certaines opportunités. C’est très important de se rendre compte qu’en fait, être trans aujourd’hui, c’est subir des discriminations – discriminations qui peuvent être stoppées, à partir du moment où elles seront prises en compte par l’État.
Qu’est-ce que le « stress minoritaire » ?
Le stress minoritaire, c’est le fait de dire qu’appartenir à une minorité, ce n’est pas quelque chose de grave – en revanche les violences subies le sont. (...)
S’engager pour défendre les droits des personnes trans n’est pas compliqué. Déjà, face à la désinformation, il pourrait être judicieux de se renseigner, de lire et d’écouter les personnes trans. Puis, je pense que rendre les espaces de lutte plus inclusifs pourrait être un bon point de départ. Par exemple, le 8 mars, peut-être faudrait-il réfléchir à arrêter de permettre à des associations qui tiennent des discours transphobes de se joindre aux cortèges. Il est aussi possible d’apporter son soutien à la communauté trans en venant pour le TDoR. Ou encore, signer la pétition de Toutes des femmes, « Juge pas mon genre », pour mettre fin au fait que ce soit les juges qui décident encore du changement d’état civil.
Il y a aussi des actions concrètes du quotidien : tout simplement prendre soin des personnes trans. (...)
Être allié·e, c’est enfin pointer du doigt de façon systématique les propos transphobes, et le mégenrage. Dans un groupe de conversation, si une personne trans est mégenré·e, ce n’est pas à la personne trans de dire stop, c’est aux allié·es. Ce sont des petits gestes, mais ce sont des gestes qui peuvent sauver des vies. Et peu à peu, cela va permettre de changer la société.