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« La gauche unie a sauvé la République » : le Nouveau Front populaire surprend son monde
#electionslegislatives #frontpopulaire
Article mis en ligne le 8 juillet 2024

En se hissant en tête des élections législatives et en reléguant l’extrême droite à la troisième position, l’alliance de gauche et écologiste se présente à Emmanuel Macron comme la seule alternative pour gouverner. Récit d’une soirée qui a déjoué tous les pronostics.

(...) Quand les premiers résultats officiels tombent, la Rotonde explose de joie. Le NFP est en tête, rassemblant entre 177 et 192 sièges, devant Ensemble (152 à 158 sièges) et le RN (138 à 145 sièges). « Nouveau Front populaire ! », « Tout le monde déteste les fachos ! » scandent les militant·es qui se prennent dans les bras. Très vite, Jean-Luc Mélenchon prend la parole entouré des cadres de LFI, Mathilde Panot, Manuel Bompard et Younous Omarjee. Son discours est retransmis sur un grand écran place de Stalingrad, où la foule grossit de minute en minute et entrecoupe son discours d’acclamations.

Les premier mots du leader insoumis vont aux militant·es qui ont mené une vaste campagne de terrain dans un contexte inédit, et qui ont convaincu une majorité de personnes en un temps record. Puis, ils s’adressent à celles et ceux qui « se sont sentis terriblement menacés » par l’hypothèse d’une prise de pouvoir de l’extrême droite : « Que ces personnes se rassurent, elles ont gagné. Une majorité a fait un autre choix pour le pays. La volonté du peuple doit être strictement respectée. » (...)

Visiblement ému, Jean-Luc Mélenchon affirme que le NFP « est prêt à gouverner » sur « son programme, rien que son programme, mais tout son programme » et qu’il refuse d’entrer « dans des négociations » avec le parti présidentiel. « Ses composantes se sont montrées à la hauteur des circonstances et ont déjoué le piège tendu au pays. À sa manière, une fois de plus, la gauche unie a sauvé la République », conclut-il.

Les composantes du NFP, qui ne pensaient pas s’en sortir aussi bien, sont pourtant momentanément séparées, chacune d’entre elles ayant organisé sa soirée en aparté. Au siège des Écologistes, où le NFP a vu le jour il y a trois semaines, Marine Tondelier lançait, vers 20 heures : « C’est l’espoir immense créé par cette union de la gauche et des écologistes qui est le fait politique majeur de cette élection. [...] Ce soir, c’est le temps du travail et du collectif. »

Ascenseur émotionnel, joie et gravité (...)

« Nous ne nous prêterons à aucune coalition des contraires qui viendrait prolonger les politiques macronistes », a annoncé Olivier Faure, l’air grave, aligné sur la position exprimée par Jean-Luc Mélenchon un peu plus tôt. Puis d’avertir que le chemin sera long et escarpé : « Ce n’est pas une majorité absolue, je demande à ceux qui ont été désavoués à trois reprises [aux européennes, et aux deux tours des législatives – ndlr] qu’ils reconnaissent leur défaite et je leur demande que dans l’année qui vient ils ne mêlent jamais leurs voix à celles de l’extrême droite. »

Hors caméras, le premier secrétaire du PS a poursuivi par une adresse aux militant·es qu’il a chaleureusement remercié·es, insistant sur un point : pour que cette victoire ne soit pas qu’un « répit », il faut une « refondation » de la gauche. Puis, comme une adresse à Jean-Luc Mélenchon dont le discours avait été très applaudi par les socialistes quelques instants plus tôt : « Avancer ensemble suppose la démocratie en notre sein » et non des « paroles extérieures qui viendraient s’imposer à nous ». (...)

Maintenant, il faut retourner dans les territoires délaissés, il faut dire que la lutte paie et il va falloir continuer à se battre », expliquait une jeune militante.

Où atterrir ?

Malgré l’euphorie, la gauche n’oublie pas en effet qu’elle a fait face à une vague RN très forte, en particulier en dehors des zones très urbaines. Les désistements des candidat·es du NFP et d’Ensemble arrivé·es en troisième position ont certes permis des victoires, souvent serrées. (...)

Pour l’instant, toute la gauche se projette à très court terme sur la suite. Gabriel Attal ayant annoncé qu’il remettrait sa démission le 8 juillet, la logique voudrait qu’Emmanuel Macron se tourne vers elle. Mais comment gouverner à gauche avec une majorité relative ?

L’éventualité d’un « gouvernement technique », qui ne mènerait pas de réforme structurelle jusqu’aux prochaines législatives, s’est éloignée. « On a une majorité relative qui est forte, souligne l’eurodéputé LFI Younous Omarjee. Le président doit prendre acte de ce résultat. De notre côté nous sommes prêts à faire en sorte que la France soit gouvernée, et à assumer nos responsabilités. » Dans les rangs du NFP, beaucoup insistent sur le fait que son programme comprend des mesures d’urgence qui peuvent passer par décret, notamment le blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants. « Si demain un décret propose de passer le Smic à 1 600 euros, qui va s’y opposer ? », interroge aussi le député LFI Manuel Bompard, réélu dès le premier tour. (...)

Reste à régler la question du casting. Qui pourrait, dans les rangs du NFP, entrer à Matignon ? Cette question a déjà fait l’objet de querelles qui ont divisé de manière latente l’alliance, de la proposition faite par Raphaël Glucksmann (l’ancien patron de la CFDT Laurent Berger) aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui ne s’excluait pas. « On n’est pas là ce soir pour valoriser sa petite boutique. C’est passer à côté du moment historique. Notre premier ministre a un nom, c’est le programme », balaye Younous Omarjee.

Le député LFI de Loire-Atlantique Andy Kerbrat, réélu, confie une volonté à gauche de « mettre en place un congrès des parlementaires du NFP ». C’est dans le groupe majoritaire du NFP qu’Emmanuel Macron devrait faire un choix de premier ministre. Leur composition sera donc importante. Si LFI arrive en tête en nombre de sièges au sein de l’alliance, le PS n’est pas loin derrière. De plus, certains Insoumis, dont François Ruffin, pourraient rejoindre le groupe des communistes avec les ultramarins, ou celui des écologistes qui s’élargirait. « Nous sommes prêts à former un groupe, et prêts à accueillir celles et ceux qui se retrouvent dans cet état d’esprit de travail et de respect », a déclaré Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, dans son allocution.

Les leaders des partis de gauche s’étaient parlé avant les résultats, mais ceux-ci ont rebattu les cartes. (...)

Quoi qu’il arrive, le résultat du 7 juillet semble avoir mis un terme aux velléités de certain·es dans le camp social-démocrate de répondre à la main tendue par le camp macroniste pour faire une grande coalition. « Toutes les formations seront déterminées à respecter ce qu’elles ont dit aux électeurs. À cause de Macron, on est embourbés depuis sept ans dans des politiques qui, par leur essence antisociale, génèrent cette montée du RN. Il faut casser cela », assure Francis Parny, membre de la coordination nationale de LFI. (...)

la gauche unie va devoir passer l’épreuve des prochains jours, où des tensions risquent d’apparaître. Pour les dissiper, Andy Kerbrat, comme d’autres, compte sur la pression populaire. Sur toutes les lèvres, dimanche 7 juillet, une phrase : « L’espoir que nous avons créé nous oblige. »

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LeLe slogan résonne depuis trois heures déjà. « Et la jeunesse emmerde le Front national ! », scande encore à 23 heures la foule au pied de la statue de la République, à Paris. Depuis l’annonce des premières projections, un improbable parfum de succès a gagné la place. La victoire du Nouveau Front populaire (NFP) au second tour des élections législatives est pour Jérémy « d’autant plus belle qu’elle n’était pas du tout prévue ». « Maintenant c’est à la gauche d’assurer, de rester unie et de ne pas céder. Mais on sera là pour faire pression », dit cet étudiant parisien.

Construire une unité d’action, bâtir un plan de gouvernement et faire reculer l’extrême droite : la tâche est immense. Mais ce sera pour demain : parmi les centaines personnes rassemblées, on célèbre avant tout le « répit » offert par l’efficacité du barrage contre l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. « J’avais très peur toute la semaine, là je vais pouvoir souffler, ne serait-ce que vingt-quatre heures », explique Marie, 44 ans.

Cette institutrice corrézienne de passage à Paris ne voulait pas rester seule à l’annonce des résultats. « J’ai vu ces dernières semaines le racisme s’exprimer de manière toujours plus décomplexée. Il y a vingt ans je manifestais contre Jean-Marie Le Pen, maintenant ce sont mes enfants qui ont 20 ans, ça ne s’arrête jamais », poursuit-elle. Marie n’est pas résignée mais lucide : cette militante s’inquiète de l’inversion des valeurs dans les discours publics – « les écolos et les féministes traités de terroristes, les antifascistes de fachos : c’est insensé » –, et du mouvement social attaqué par le pouvoir actuel – « des associations qui vivent avec des bouts de ficelle, comme le Planning familial de Tulles, perdent leurs financements à cause des contrats d’engagement républicains ». Elle s’excuse de divaguer, puis réfléchit : « Mais oui, je dois bien dire que je suis quand même soulagée ce soir. » (...)