
Protéger la santé publique, quel qu’en soit le coût : c’est le moteur de l’action engagée par les élu·es d’Atlantic’eau, syndicat mixte en charge de l’approvisionnement en eau potable pour de nombreuses communes rurales de Loire-Atlantique. Plus de trois millions d’euros ont été mis sur la table pour que les agriculteurs cessent d’épandre des pesticides dans les zones d’où ruissellent les eaux qui se retrouvent ensuite au robinet. Cette aide publique conséquente, destinée à quelques exploitants, ne semble cependant pas suffire à les convaincre, et suscite la controverse parmi la population.
(...) « En décidant de chercher plus de molécules que ce que préconisaient les services de l’agence régionale de santé (ARS), Atlantic’eau s’est retrouvé avec des taux de pesticides qui dépassaient les normes », explique Laurent David, du Collectif sans pesticides de Massérac, une petite commune du nord du département, en lutte depuis plusieurs années pour la qualité de l’eau dans la région. Divers métabolites, ces produits de dégradation des pesticides présents par milliers dans l’environnement, ont notamment été découverts dans des points de captage, dont l’Esa-métolachlore, héritier du S-métolachlore, un herbicide très utilisé sur le maïs avant d’être interdit au printemps dernier. (...)
Atlantic’eau propose alors une nouvelle mesure réglementaire, à savoir « l’interdiction de l’usage des pesticides à l’intérieur des périmètres de protection ». Un peu plus de 1000 hectares sont concernés.
Des aides aux agriculteurs sont proposées en contrepartie de l’interdiction des pesticides. « On ignore combien d’agriculteurs pourraient bénéficier de ces aides, poursuit Damien Renault, mais elles nous semblent vraiment trop élevées. » Plus de trois millions d’euros d’aides ont été proposés par Atlantic’eau, 750 000 euros pour les propriétaires et 2,25 millions euros pour les exploitants.
Selon les informations recueillies par Basta !, dix agriculteurs empocheraient la plus grande partie de la somme. « Pour nous, ça ne va pas en terme de coût pour la population, dit Olivier Guindon, du Collectif sans pesticides. À ces trois millions d’indemnités, il faut ajouter les quatre millions d’euros destiné à financer la nouvelle usine de traitement des eaux, et les 120 000 euros par an que coûteront les systèmes de filtration. Ça commence à faire cher le litre d’eau potable. »
Vers une de loi pour protéger l’eau ?
« Qu’est-ce qu’ils vont faire avec tout cet argent ? Ils vont se racheter des machines énormes et toujours plus de pesticides ? s’interrogent des membres du collectif sans pesticides rencontrés par Basta ! au cours de l’été. Ils feraient mieux de financer des formations pour qu’ils apprennent à cultiver sans pesticides. » Pour les agriculteurs qui tirent le diable par la queue, et notamment ceux qui ont fait le choix depuis des années de se passer de pesticides, la pilule sera peut être aussi un peu amère…. (...)
« S’il y avait une loi concernant la protection des périmètres de captage, cela faciliterait le travail des élu·es locaux, pense l’élu. En l’absence de loi, et sans soutien des services de l’État, notre seule possibilité, c’est d’aller vers le versement d’indemnités. À condition que les agriculteurs ou maraîchers l’acceptent, car rien ne les y contraint. »
État et agriculteurs opposés au « zéro phyto »
En dépit des montants d’aides très élevés, les représentants du syndicat agricole majoritaire FNSEA, solidement appuyés par les services de l’État, refusent de se passer de pesticides. Le 15 décembre 2022, lors d’une réunion houleuse, et alors même que des propositions de soutien financier sont déjà annoncées, les représentants des chambres d’agriculture d’Ille-et-Vilaine (35) et de Loire-atlantique (44) annoncent « leur opposition au zéro phyto sur la totalité du périmètre ».
Compréhensive, la direction départementale des territoires et de la mer d’Ille-et-Vilaine présente des « mesure de restrictions différenciées en fonction des zones et des cultures ». Elle décide alors de faire fi des délibérations, des heures de travail et décisions collectives prises par les élu·es d’Atlantic’eau, qui représentent plus de 40 communes et communautés de communes, avec des centaines de milliers d’habitant·es.
Ces « mesures de restrictions différenciées » aboutissent à un découpage du périmètre de protection en trois zones (A, B et C). Certaines sont définies comme des parties « sensibles », d’autres sont « complémentaires ». Certains pesticides sont autorisées en zone A mais interdites en zones B et C. Mais tout dépend aussi de la nature des parcelles : sont-elle drainées ou pas ? Le cas échéant, la liste des produits autorisés change. Bref, un bel exemple de surcharge administrative, pourtant tant décriée par les agriculteurs, pour contenter la FNSEA. (...)
Les élus d’Atlantic’eau la refusent « car on y retrouve des pesticides pour lesquels on est incapables d’aller rechercher les métabolites. De plus, cette liste comporte des pesticides qui sont connus pour avoir des impacts neurotoxiques et génotoxiques », précise Mickaël Derangeon.
Une classification des pesticides opaque (...)
exploitants et entreprises agricoles dictent eux-mêmes à la préfecture la liste des pesticides qu’ils pourront épandre. (...)