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Mediapart
La démocratie des informations contre la dictature des opinions
#information #medias #libertedelapresse #fondspourunepresselibre
Article mis en ligne le 4 décembre 2023
dernière modification le 1er décembre 2023

La démocratie repose sur la promotion au cœur du débat public de la vérité des faits et non pas de la relativité des opinions. Au-delà de l’urgence d’une libération des médias de la domination de l’argent, c’est cette question politique centrale que posent les États généraux de la presse indépendante.

Jamais le “pouvoir” politique n’a aussi peu mérité son nom. Jamais la “puissance publique” n’aura à ce point démissionné devant des enjeux vitaux, pour aujourd’hui et pour demain. » Visant l’impéritie et l’impuissance de ceux qui nous gouvernent face à l’urgence climatique, ces phrases inaugurales du Manifeste contre l’impuissance publique (Tracts Gallimard, 2022) du philosophe Dominique Bourg et de l’historien Johann Chapoutot s’appliquent parfaitement à leur attitude face à la dégradation accélérée et catastrophique de notre système d’information. (...)

Nul hasard. Car, en s’arcboutant sur les périls qui menacent le vivant, ce Manifeste pose la question centrale d’une écologie de la politique capable, en se dressant à la hauteur de ce défi, d’enrayer le dérèglement démocratique qui précipite cette catastrophe. La démocratie ne saurait en effet se réduire à l’élection de représentants qui peuvent, au contraire, la ruiner si leur pouvoir n’est pas contrôlé et s’il n’est pas contrebalancé. Elle exige une délibération collective dont le ressort est la connaissance : connaître la réalité dans sa complexité, savoir ce qui nous arrive, comprendre ce qui se passe, en somme éclairer le présent afin d’y voir clair. (...)

Les États généraux (présidentiels) de l’information

En d’autres termes, une démocratie vivante est d’abord une démocratie informée. C’est cet enjeu qui motive et mobilise les États généraux de la presse indépendante, bien au-delà de questions professionnelles ou corporatistes. Organisés à l’initiative du Fonds pour une presse libre (FPL) et rassemblant plus de cent médias, organisations et collectifs – dont évidemment Mediapart –, ils promeuvent 59 propositions élaborées et discutées collectivement afin de libérer l’information des trois maux qui l’entravent, la corrompent et l’asservissent en France : la mainmise de milliardaires étrangers au métier d’informer ; les pressions des pouvoirs étatiques et des intérêts politiques ; l’avènement au cœur de l’espace public de médias de la haine.

Qu’il s’agisse de la concentration, de l’actionnariat et des droits des rédactions (16 propositions), de renforcer le droit à l’information (14 propositions), de lutter contre la précarisation des journalistes (15 propositions) ou des aides publiques à la presse (14 propositions), toutes ces réformes ambitieuses convergent vers un seul et même but : restaurer la liberté, l’intégrité et la vitalité d’un journalisme d’intérêt public. C’est-à-dire d’un journalisme qui informe, et non pas d’un journalisme qui commente. D’un journalisme qui apporte des connaissances et des savoirs, et non pas d’un journalisme qui assène des opinions et des préjugés. (...)

Organisés depuis l’Élysée dans une grande opacité, les États généraux (présidentiels) de l’information, auxquels l’initiative du FPL répond, témoignent de la longue durée française de défiance politique et étatique vis-à-vis de ce journalisme indépendant. Par leur conception même, ils disent une vision appauvrie, rabougrie et nécrosée, de la démocratie, dont la réforme ô combien urgente et nécessaire d’un contre-pouvoir primordial – le droit d’être informé librement – est ainsi placée entre les mains du seul président de la République, décisionnaire en dernier ressort, selon son bon vouloir et sans aucune procédure qui le contraigne. (...)

« Au lieu d’affronter l’essentiel, écrivent encore Bourg et Chapoutot, ils amusent la galerie par des polémiques stupides, des punchlines indignes ou des propositions insensées. Être plongé au quotidien dans un tel bruit, dans une telle suite de mots incohérents, de décisions absurdes et d’inactions coupables est plus qu’éprouvant. L’espace public est saturé par ces sottises et les commentaires sans fin qu’ils engendrent, pendant qu’un scandale chasse l’autre. » Or, soulignent-ils, c’est précisément ce qu’attendent les ennemis radicaux de la démocratie et de l’égalité des droits qui la fonde.

L’avènement des médias de la haine

« Noyer les gens dans la merde » (sic), recommandait ainsi l’Américain Steve Bannon, idéologue et stratège trumpiste prisé par l’extrême droite française. (...)

Un espace sans contrôle

Livrée à l’affrontement des seules opinions, une démocratie se ruine, tournant à la guerre de tous contre tous – des préjugés, des croyances, des identités, des communautés, des origines, des peurs, des haines, etc. Elle ne s’élève, ne s’étend et ne se renforce qu’en réussissant à placer les vérités de fait au cœur du débat public, dans un échange et un partage, une conversation en somme, où l’on réussit à aller au-delà de soi-même, de ses préjugés, de ses convictions, de ses certitudes, voire de ses aveuglements.

C’est ici la fonction d’un journalisme rendu à sa raison d’être et à son utilité sociale (...)

Twitter, devenu X, en est le symbole le plus criant depuis que le milliardaire Elon Musk en a pris le contrôle : un espace sans contrôle où se libère une violence raciste, xénophobe et antisémite, appelée de ses vœux, assumée et revendiquée par le propriétaire lui-même. Le tout au nom d’une liberté d’opinion sans aucune entrave.

En France, cet enjeu se concrétise par la licence accordée à des médias de la haine aux audiences de masse et aux moyens illimités. S’il n’y est pas mis un coup d’arrêt de principe, qui peut exclure qu’en nos temps troublés, inquiets et obscurs, nous ne soyons confrontés, demain ou après-demain, à l’irruption médiatique de ce que fut, dans l’année qui précéda le génocide de 1994 au Rwanda, RTLM, soit Radio-télévision libre des mille collines, dont les mots, agrémentés de musiques entraînantes et de divertissements racoleurs, ont armé les génocidaires ? (...)

Bref, il serait bien temps d’empêcher cette dictature des opinions qui ruine la liberté des informations.