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La vie des idées
La croisade réinventée Un fantasme des masculinistes et islamophobes du web
#croisades #masculinistes #islamophobie #extremedroite
Article mis en ligne le 30 avril 2025
dernière modification le 29 avril 2025

On assiste sur le web à un retour de l’imagerie des Croisades, mêlant racisme, masculinisme et développement personnel. Comment comprendre cet usage de l’Histoire ?

La fascination des extrêmes droites contemporaines pour la période médiévale en général et, en particulier, pour les croisades et les Templiers est connue et analysée depuis longtemps. À la fin du XIXe siècle déjà, le polémiste Edouard Drumont, sur une affiche promotionnelle de son ouvrage antisémite La France juive, se représentait en croisé piétinant une caricature de Juif. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie puisa également dans l’imagerie de la croisade pour inciter les volontaires, notamment français, à rejoindre une grande « croisade antibolchevique ». Plus récemment, les médiévistes ont montré comment la croix de Jérusalem ou encore le cri de guerre « Deus Vult » sont devenus au fil des années 2000-2010 des symboles couramment utilisés par les droites extrêmes européennes ou étatsuniennes (...)

La fascination des extrêmes droites contemporaines pour la période médiévale en général et, en particulier, pour les croisades et les Templiers est connue et analysée depuis longtemps. À la fin du XIXe siècle déjà, le polémiste Edouard Drumont, sur une affiche promotionnelle de son ouvrage antisémite La France juive, se représentait en croisé piétinant une caricature de Juif. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie puisa également dans l’imagerie de la croisade pour inciter les volontaires, notamment français, à rejoindre une grande « croisade antibolchevique ». Plus récemment, les médiévistes ont montré comment la croix de Jérusalem ou encore le cri de guerre « Deus Vult » sont devenus au fil des années 2000-2010 des symboles couramment utilisés par les droites extrêmes européennes ou étatsuniennes (...)

La fascination des extrêmes droites contemporaines pour la période médiévale en général et, en particulier, pour les croisades et les Templiers est connue et analysée depuis longtemps. À la fin du XIXe siècle déjà, le polémiste Edouard Drumont, sur une affiche promotionnelle de son ouvrage antisémite La France juive, se représentait en croisé piétinant une caricature de Juif. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie puisa également dans l’imagerie de la croisade pour inciter les volontaires, notamment français, à rejoindre une grande « croisade antibolchevique ». Plus récemment, les médiévistes ont montré comment la croix de Jérusalem ou encore le cri de guerre « Deus Vult » sont devenus au fil des années 2000-2010 des symboles couramment utilisés par les droites extrêmes européennes ou étatsuniennes (...)

Cet attachement à la période médiévale en général et aux croisades en particulier se reconfigure aujourd’hui sur Internet, surtout sur les réseaux sociaux, où des comptes utilisent les croisades comme pierre angulaire d’un discours mêlant racisme, masculinisme... et développement personnel. Comment comprendre ces usages politiques de l’histoire ?
La croisade comme horizon

Pour y répondre, plongeons-nous d’abord dans les publications d’un compte X (anciennement Twitter) intitulé @trad_west, compte anglophone suivi par près de 200 000 personnes. Plusieurs fois par heure, ce compte poste une image, généralement accompagnée d’un message religieux on ne peut plus simple : « Christ is king » ou encore « in the end we win ». Ce dernier propos s’accompagne presque systématiquement d’une image faisant référence à la croisade (...)

Cet attachement à la croisade n’est d’ailleurs pas exclusif d’un goût tout autant fantasmé pour d’autres périodes (...)

la rhétorique s’articule autour d’un « nous » non défini, mais auquel le lecteur est censé adhérer immédiatement (...)

les chevaliers n’incarnent pas l’oppression mais au contraire la libération, et sont du côté du lecteur, du côté de ce « nous » opposé à un « eux », en l’occurrence aux musulmans. Le recours à l’imagerie de la croisade inscrit les émeutes dans une perspective cyclique : tout comme les vagues migratoires contemporaines sont censées représenter une nouvelle « invasion arabe », il y aura une « nouvelle croisade » pour apporter finalement la victoire à une chrétienté occidentale pour l’instant sur la défensive. Comme l’analyse bien le politologue Stéphane François, ces usages contribuent à faire des militants qui les créent ou les font circuler « des nouveaux chevaliers, [qui] ne combattent plus le dragon, mais un danger bien plus grand selon eux : le chaos racial à venir [6] ». (...)

ur les réseaux sociaux francophones, ce sont des centaines de comptes proches de ce qu’on appelle souvent la « fachosphère » qui utilisent ainsi des images de croisés et/ou de templiers pour leur photo de profil. Ces comptes repostent significativement souvent des mèmes anglophones, notamment quand ils mettent en scène cette phrase « in the end we win », très souvent utilisée en conjonction avec une image médiévaliste tirant vers la croisade. (...)

Or la référence numérique aux croisades n’est pas un phénomène seulement folklorique : souvent, elle permet d’appeler plus ou moins clairement à passer aux actes « dans le vrai monde ». C’est ce que démontrent les historiennes Katharine Millar et Julia Costa Lopez dans un article consacré à la manière dont les militants de la droite extrême étatsunienne utilisent l’image des Templiers pour promouvoir une « hyperagency » violente et raciste : le discours complotiste sur l’insécurité (la chrétienté/l’Occident seraient aujourd’hui menacés) nourrit, encourage, rend nécessaire un passage à l’action, si possible par les armes [7]. (...)

le recours à une imagerie venant de la croisade remplit plusieurs fonctions : il contribue à expliciter l’appel à la violence – tout en l’euphémisant suffisamment pour échapper à tout risque de voir son compte suspendu –, à souder une communauté qui partage ces références et y verra donc un signe de connivence, et enfin à légitimer et à valoriser cette violence en la présentant comme à la fois sainte et nécessaire.

Pour ne pas se contenter de voir dans ces messages expéditifs de simples contenus anecdotiques, il faut rappeler que ces usages débordent régulièrement les réseaux sociaux : en 2019, Brenton Tarrant a tué 51 personnes dans un attentat en Nouvelle-Zélande, maniant une arme sur laquelle il avait notamment écrit « Urbain II » (le pape ayant lancé la première croisade en 1095) ou encore « Lépante » (importante victoire maritime d’une coalition de pays européens contre l’Empire ottoman en 1571), et se définissant, dans la lignée d’un Anders Breivik, terroriste norvégien, comme un templier en croisade pour sauver l’Occident [8].

Historiciser les instrumentalisations du mythe de croisade

Ces usages s’ancrent bien sûr dans une histoire longue du mythe de croisade, mais ils participent également d’une profonde reconfiguration de ce mythe. En effet, s’exprime ici le fantasme d’une croisade pensée comme une revanche contre des humiliations, des défaites, des agressions venues de l’intérieur plus encore que de l’extérieur. (...)

Cette nouvelle croisade est en effet presque exclusivement pensée contre les musulmans, qui deviennent, dans une lecture très marquée par le schéma huntingtonien du choc des civilisations [9], le danger ultime. L’extrême plasticité du mythe de croisade est ainsi mise au service d’une resémantisation permanente qui fait de l’ennemi du temps – réel ou imaginaire – la cible désignée d’une nouvelle croisade. Enfin, la croisade est systématiquement pensée comme une victoire. (...)

Croisades et masculinités

De manière intéressante, derrière cet usage violemment islamophobe des croisades se cache désormais un autre objectif, lui-même ancré dans un autre imaginaire. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la dimension religieuse n’est que rarement mise au premier plan (...)

la « nouvelle croisade » à laquelle on aspire n’est plus du tout un moyen de conquérir la Terre sainte, n’est qu’à peine une manière de défendre la civilisation chrétienne, mais devient avant tout une solution pour aller mieux, pour « sortir de la dépression », de la « solitude masculine ». (...)

Conclusion

Si ces images et ces affirmations n’ont généralement aucune pertinence historique, reste qu’elles s’avèrent fortement mobilisatrices, ce qui explique leur popularité et la plasticité de leurs usages. Il est bien sûr tentant de n’y voir que des « délires » cantonnés aux réseaux sociaux, mais il faut les réinscrire dans une continuité d’instrumentalisations historiques allant des militants à des responsables politiques [17]. (...)

D’autre part, il convient de se rappeler que les mèmes postés sur les réseaux sociaux, aussi farfelus qu’ils puissent sembler – un croisé sur Mars – peuvent effectivement et concrètement radicaliser des lecteurs et lectrices. L’historienne Tallulah Trezevent montre ainsi comment l’algorithme de X fait passer insensiblement de comptes parlant d’histoire antique à des comptes d’extrême droite utilisant l’histoire antique pour soutenir des discours civilisationnistes et racistes (...)