
Le discours de politique générale du Premier ministre n’a offert aucune perspective de long terme alors que des milliers d’agriculteur·trices sont toujours mobilisé·es. L’agriculture a besoin d’actes concrets, et pas d’être réduite à l’image d’Épinal du travailleur acharné : « force, fierté, effort, identité ! ». L’agriculture est d’abord une activité économique ancrée sur les territoires qui doit rémunérer le travail agricole.
Nous devons avoir la garantie de pouvoir vivre de notre travail. Or il n’y a encore aucun engagement de la part du gouvernement pour ouvrir un chantier sur l’interdiction d’achat en-dessous du prix de revient de nos produits agricoles. L’agriculture est le seul secteur où il y a structurellement de la vente à perte et la loi EGALIM ne l’empêche pas. La valeur du travail de celles et ceux qui nourrissent la population ne doit plus être la variable d’ajustement des filières alimentaires.
C’est pourquoi, la Confédération paysanne appelle à orienter les mobilisations en bloquant les lieux où s’exercent cette pression sur nos prix : centrales d’achats (plateforme logistique de la grande distribution), marchés de gros, industries agroalimentaires et autres prédateurs de la valeur. (...)
Pour beaucoup de fermes, l’avenir est en jeu. Nous continuerons donc à nous battre pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés.
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– (Lundi matin)
Décrypter le mouvement des agriculteurs
Alors que les agriculteurs bloquent les principales autoroutes de la capitale, que des actions locales se multiplient et que le gouvernement joue la montre en égrainant quelques mesures pour contenir la colère, nous nous sommes entretenus avec Morgan Ody, maraîchère du Morbihan et membre de la Confédération Paysanne. (...)
Décrypter le mouvement des agriculteurs
Entretien avec Morgan Ody, paysanne
paru dans lundimatin#413, le 30 janvier 2024
Alors que les agriculteurs bloquent les principales autoroutes de la capitale, que des actions locales se multiplient et que le gouvernement joue la montre en égrainant quelques mesures pour contenir la colère, nous nous sommes entretenus avec Morgan Ody, maraîchère du Morbihan et membre de la Confédération Paysanne.
On a vu ces derniers temps des préfectures couvertes de lisier et mises à feu, des mutuelles incendiées, des camions « étrangers » retournés par des tracteurs et leurs denrées distribuées aux Restos du Cœur ou brûlées sur le bitume, il y a des appels à encercler Paris, d’autres à rebaptiser l’Élysée « Le Lisier » : c’est un sacré bordel. Mais derrière ce bordel s’en cache un autre : quelles sont les dynamiques ou les tendances contradictoires de ce vaste mouvement qui va jusqu’à labourer les parkings de la Grande distribution ? Quelles sont les lignes de division ou de fracture entre, par exemple, la FNSEA, JA, les représentants de toute sorte et la Confédération Paysanne, ou autres ? Plus précisément : est-ce que ce mouvement tourne dans le sens d’une gilet-jaunisation relativement progressiste des paysans et des employés de l’agrobusiness ou, au contraire, tend vers l’accentuation de revendications et de récupérations réactionnaires ? Est-ce que vous pouvez débrouiller un peu les différentes lignes qui composent ce mouvement ?
Alors à la Confédération Paysanne, on ne prétend pas avoir d’idée claire quant à la direction que prend ce mouvement. On pense néanmoins que l’histoire n’est pas faite et en cela, ça ressemble aux Gilets Jaunes. Ce qui est certain, c’est qu’il y a une colère légitime des paysans et des agriculteurs, autour de la question du manque de revenus comparé à la charge de travail et aux difficultés de la vie en général, au stress, à l’endettement, parfois à l’isolement aussi. Il y a donc une colère très légitime, que nous ressentons et éprouvons nous aussi. Et même si parfois, il y a des expressions de cette colère qui nous interroge, nous inquiète, le fond de cette colère, on le partage aussi.
Sur la dynamique et la composition du mouvement, on entend un peu deux sons de cloche différents. Certains présentent le mouvement comme quelque chose d’assez téléguidé par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, d’autres au contraire insistent sur le fait que les personnes mobilisées le sont de façon plutôt autonome et indépendantes avec des syndicats qui courent après pour le canaliser et le récupérer. Quelle est ton impression ?
On en discute beaucoup entre nous et ce que l’on voit sur les actions et les blocages dans nos différentes régions, c’est qu’il y a énormément de gens qui ne sont pas syndiqués et qui descendent dans la rue protester, tout simplement parce qu’ils en ont marre. Par ailleurs, il y a aussi un certain nombre d’organisations qui ont des revendications bien précises et qui tentent de les faire sortir du lot. Nous ce qui nous a beaucoup inquiété au début du mouvement, c’est la tentative d’instrumentalisation du mouvement par l’extrême droite, comme cela s’est passé en Allemagne. Là-bas, il y a clairement eu des petits groupes d’extrême droite qui ont poussé des revendications, notamment contre les migrants. Alors, ça n’a pas du tout pris en France malgré le fait que des réseaux de l’extrême droite qui suivaient les protestations allemandes ont essayé d’apporter cet aspect xénophobe. La bonne nouvelle c’est que ça n’a pas pris.
D’ailleurs en Allemagne, le mouvement est parti d’une baisse des subventions sur le gasoil pour les agriculteurs, ce qui peut aussi faire penser aux Gilets Jaunes. En France, au moment où ça part, c’est beaucoup en lien avec les questions environnementales mais dans la mesure où ça pose la question de ce qu’il nous reste comme revenu, quand on arrive à la fin du mois et qu’on a tout payé.
Au début, la FNSEA a très bien perçu cet aspect environnemental et s’est engouffrée dedans pour essayer de transformer la colère en mouvement contre les mesures écologiques. Au vu des récentes annonces du gouvernement, jusqu’à présent, ça a plutôt bien marché. Mais nous ce qu’on voit à la Confédération Paysanne et en discutant avec nos voisins, c’est que le ras-le-bol, il vient surtout du fait de bosser énormément pour ne même pas gagner un SMIC. Donc on ne vas pas se laisser piquer le mouvement par des gens qui veulent l’instrumentaliser contre les mesures de transition écologique, les migrants ou autre. Le cœur du problème, le cœur de la souffrance, ce sont les très bas revenus, l’endettement, la charge de travail et le manque de reconnaissance en général.
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