
L’accord intervenu à Strasbourg marque une « révolution juridique » en Europe, selon ses partisans, pour lutter contre les violations de droits humains et autres dégâts environnementaux des entreprises. Mais le lobbying groupé de Paris et Berlin a atténué la portée du texte.
Le texte était programmé pour devenir l’un des trophées de la gauche, lors de la campagne des européennes de 2024. Un accord est bien intervenu, au petit matin du 14 décembre dans une salle du Parlement européen à Strasbourg, pour la création d’un « devoir de vigilance » obligatoire pour les plus grandes entreprises sur le continent – mais dans une version moins ambitieuse qu’attendu, notamment à cause des pressions de Paris.
Dix ans après, l’Union européenne tire enfin les leçons de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, lorsque les grandes marques de textile qui travaillaient avec les ateliers de confection frappés par ce drame humain, de Mango à Benetton, n’avaient pas été inquiétées par la justice, faute d’outil juridique valable.
À présent, les grandes entreprises devront surveiller leur « impact négatif sur les droits humains et l’environnement », et en bout de course, y mettre fin. Cela vaut sur toute la chaîne de production et d’approvisionnement, sous-traitants compris. Les victimes pourront demander réparation si elles prouvent que l’entreprise n’a pas été assez « vigilante ». (...)
« C’est une pierre très solide que nous posons dans la lutte contre l’impunité des multinationales, avance Manon Aubry, eurodéputée LFI qui a participé aux négociations mouvementées dans la dernière ligne droite. Par contre, il faut avoir en tête que ce ne sera pas la dernière pierre qu’il faudra poser. » Du côté de la délégation PS-Place publique, Raphaël Glucksmann, qui alerte régulièrement sur l’esclavage des Ouïghours, et Pascal Durand parlent d’une « révolution juridique pour réguler la globalisation ».
« Même si nous n’avons pas réussi à intégrer toutes les protections pour les populations autochtones, c’est une victoire pour les droits humains, puisque le texte va plus loin que toutes les législations nationales existantes, en particulier la loi française pionnière en la matière », dit encore l’eurodéputée Marie Toussaint, cheffe de file du parti Les Écologistes pour la campagne à venir. (...)
il s’agira de concentrer le contrôle de la directive sur la chaîne dite « amont » des activités des banques, pour ne pas pénaliser leur partie « aval ». Mais c’est bien sur cette dernière – c’est-à-dire sur le contrôle des activités des clients à qui elles prêtent de l’argent – que se concentre le cœur de la bataille politique (...)
Le volet « écologie » du texte affaibli (...)
De son côté, l’écologiste Marie Toussaint, si elle applaudit au volet « droits humains » du texte, se dit beaucoup plus circonspecte sur le contenu du texte final en matière d’écologie. « Il n’y aura plus de droits humains à préserver s’il n’y a plus d’êtres humains sur la planète », note-t-elle.
Dans l’accord final, la principale mesure consiste à ce que les entreprises seront désormais contraintes d’adopter un « plan de transition ». Elles devront y préciser comment elles comptent adapter leur modèle économique pour s’aligner sur la neutralité climatique à horizon 2050. Le texte adopté prévoit aussi qu’une partie des bonus versés aux dirigeant·es d’entreprises sera liée à l’atteinte d’objectifs climatiques, un point cher, notamment, à l’eurodéputé Pascal Canfin (qui se fait plus discret sur l’exclusion du secteur financier du texte). (...)
L’Autorité de contrôle européenne, qui sera chargée de s’assurer de l’existence des « plans de transition » dans les entreprises, n’aura pas de pouvoir sur leur mise en œuvre. Et l’accès à la justice des victimes, précisément détaillé en cas de violations des droits humains, n’est pas directement fléché pour les victimes de dommages environnementaux. (...)
Marie Toussaint dit encore : « Les gouvernements français et allemand, ensemble, ont permis la construction d’une impunité environnementale. » Elle y voit le nouveau signe d’un recul européen, dans le combat pour la préservation de l’environnement. Malgré cela, elle pense tout de même qu’elle votera pour le compromis final lors de la séance plénière à Strasbourg.