
Quelque 61 millions de Turcs étaient appelés, dimanche, aux urnes pour des élections municipales. Alors que les résultats partiels dessinent une sévère défaite pour son camp, le président Erdogan a promis de "respecter la décision de la Nation". Les maires CHP sortants d’Istanbul et d’Ankara ont revendiqué leur victoire.
Le principal parti de l’opposition, le CHP (social-démocrate), a revendiqué sa victoire à Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes de Turquie et raflé de nombreuses autres, comme Bursa, grosse ville industrielle du nord-ouest acquise à l’AKP depuis 2004.
La proclamation des résultats définitifs par la Haute commission électorale (YSK) attendue dans la journée de lundi confirmera ces résultats, déjà intégrés par les principaux intéressés, dont le chef de l’État.
Depuis le siège de son parti à Ankara et devant une foule abattue, inhabituellement silencieuse, le président turc a promis de "respecter la décision de la Nation".
Peu auparavant, le maire sortant d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a annoncé sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, qu’il avait conquise en 2019. "Nous sommes en première position avec une avance de plus d’un million de voix (...) Nous avons gagné l’élection", a-t-il déclaré devant la presse au soir des élections municipales, précisant que ces résultats portaient sur 96 % des urnes. (...)
À Ankara, le maire CHP Mansur Yavas a revendiqué sans attendre la victoire alors que le dépouillement était toujours en cours. "Ceux qui ont été ignorés ont envoyé un message clair à ceux qui dirigent ce pays", a-t-il lancé devant une foule en liesse. (...)
Une percée en Anatolie
"Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie", a estimé le chef du CHP, Ozgur Ozel.
Outre Izmir (ouest), troisième ville du pays et fief du CHP, et Antalya (sud) où les partisans de l’opposition commençaient à célébrer la victoire dans les rues, la principale formation de l’opposition est en voie de faire une percée spectaculaire en Anatolie.
Elle fait la course en tête dans des chefs-lieux de provinces longtemps tenus par l’AKP, selon des résultats quasi définitifs qui ont pris de court les observateurs.
Le président Erdogan, âgé de 70 ans, dont 21 au pouvoir, avait jeté tout son poids dans la campagne, en particulier à Istanbul, le "joyau" du pays, sa capitale économique et culturelle dont il fut le maire dans les années 1990 et qui a basculé dans l’opposition en 2019.
Mais l’engagement du chef de l’État, qui a annoncé début mars que ces élections étaient "ses dernières", n’a pas suffi. (...)
Tout au long de la campagne, le président Erdogan a enchaîné deux à trois meetings par jour, bénéficiant d’un temps d’antenne illimité. La défaite de son Parti de la justice et du développement, notamment à Istanbul, sera lourde de conséquences pour son avenir. (...)
Âgé de 70 ans, le chef de l’État a toutefois affirmé début mars que ces élections seraient les "dernières" sous son pouvoir, laissant entendre qu’il partira en 2028. À moins de réviser la Constitution pour s’offrir une nouvelle candidature.
Lire aussi :
– (Mediapart)
En Turquie, la défaite d’Erdoğan laisse entrevoir la fin de règne de l’AKP
L’opposition vient d’infliger un lourd revers à Recep Tayyip Erdoğan lors des municipales en Turquie. C’est la première fois depuis qu’Erdoğan a pris le pouvoir en Turquie, il y a vingt et un ans, que son parti est ainsi devancé dans les urnes. Faut-il pour autant y voir la fin de son hégémonie sur la vie politique du pays ?
le parti créé par Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne, vient de nouveau d’infliger une lourde défaite au parti présidentiel, l’AKP. Pas seulement à Istanbul, où le principal opposant d’Erdoğan a largement été réélu avec plus d’un million de voix d’avance, mais aussi dans les quatre autres plus grandes agglomérations du pays, Ankara, Izmir, Bursa et Antalya, ainsi que dans plusieurs fiefs électoraux de l’AKP.
Surtout, le parti kémaliste est, selon une moyenne des votes, devenu la première formation du pays, devançant de deux points le parti islamo-conservateur du président. C’est la première fois depuis qu’Erdoğan a pris le pouvoir en Turquie, il y a vingt et un ans, que son parti est ainsi devancé dans les urnes (...)
Le président turc ressort affaibli de cette séquence électorale. Même si, sous son influence, la présidence a accumulé de vastes pouvoirs, au point même de s’arroger les prérogatives du premier ministre, il n’en reste pas moins que dans les villes, les maires continuent d’exercer une influence considérable.
Ces résultats constituent aussi un désaveu cinglant de la politique menée par Erdoğan, incapable d’endiguer l’inflation qui grignote le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes, malgré les hausses régulières des salaires et des pensions de retraite. (...)
Le président turc paye aussi son incapacité à organiser sa propre succession, obnubilé par la crainte qu’on lui fasse de l’ombre et préférant occuper toute la place. (...)
Le maître d’Ankara avait par ailleurs annoncé avant les élections municipales préparer une nouvelle réforme constitutionnelle, sans préciser la forme qu’elle prendrait. Une victoire ce week-end l’aurait encouragé à réviser la Constitution afin de pouvoir se représenter. Mais cette déconvenue historique pour son camp vient de réduire sa marge de manœuvre.
Pour autant, au niveau national, Erdoğan reste bien seul maître à bord (...)
Pour l’opposition, un chemin encore long (...)
Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, qui vient donc de confirmer sa popularité parmi l’électorat urbain et laïque, n’est pas le seul prétendant pour 2028. Le président du CHP, Özgür Özel, la cinquantaine, est aussi en lice. Ces deux-là devront s’entendre et ainsi éviter la guerre des chefs. Pas une mince affaire pour une opposition longtemps restée paralysée par son incapacité à s’accorder sur une candidature crédible et à tisser des liens avec d’autres formations d’opposition. (...)
À la croisée des dynamiques électorales entre Erdoğan, en quête d’un successeur, et l’opposition qui se cherche un leader, la Turquie a quatre ans pour tourner la page hyper-présidentialiste d’Erdoğan