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LA Méridienne/
L’extrême droite, ce n’est pas seulement l’extrême droite
#fascisme #extremedroite #capitalisme
Article mis en ligne le 4 mai 2025
dernière modification le 3 mai 2025

« Maintenant, il n’y a plus qu’une intervention extraterrestre qui pourrait nous sauver », m’ont dit en plaisantant (enfin… je crois) deux personnes différentes, à quelques jours d’intervalle, peu après l’investiture de Trump, en janvier. Ce qui reflète bien l’état d’esprit de beaucoup.

Résumé des épisodes précédents. Nous nous trouvons dans un piège à deux mâchoires qui se referme de plus en plus sur nous. L’une des mâchoires est constituée des politiques néolibérales appliquées, depuis environ quarante-cinq ans, par tous les gouvernements successifs : en France, les socialistes et la droite, de Mitterrand à Macron en passant par Chirac, Sarkozy et Hollande ; aux États-Unis, l’establishment démocrate et le Parti républicain d’avant Trump, de Reagan à Bush. L’autre mâchoire est constituée des partis ouvertement néofascistes qui arrivent actuellement au pouvoir, ou qui souhaitent y accéder : le Parti républicain refaçonné par Trump aux États-Unis, le Rassemblement national en France, l’AfD en Allemagne...

Les premiers utilisent les seconds comme épouvantails afin de se faire élire (et loin de moi l’idée de condamner le vote pour le « moindre mal » (...)

Le capitalisme s’est longtemps accommodé de la démocratie, mais c’est terminé

Il est de plus en plus clair que les mêmes intérêts sont derrière les deux mâchoires du piège (...)

Ce constat devrait disqualifier pour toujours la conviction selon laquelle l’extrême droite représenterait et défendrait « le peuple » (...)

Le capitalisme s’est longtemps accommodé de la démocratie – du moins quand la démocratie n’allait pas trop loin à son goût : le coup d’État contre le gouvernement de Salvador Allende au Chili en 1973 a montré ce qui arrivait dans ce cas –, mais c’est terminé (...)

Romaric Godin met en garde contre l’illusion selon laquelle on pourrait échapper au fascisme en en remettant une couche de capitalisme néolibéral. (...)

Ce qui menace la France, c’est donc une bascule qui – sur le modèle de ce qui se passe aux États-Unis – changerait radicalement l’univers social dans lequel nous évoluons ; qui mettrait fin à des libertés auxquelles nous sommes si habitué·es que nous avons fini par les confondre avec un phénomène naturel ; qui, probablement, affecterait nos vies à tous·tes, y compris celles et ceux parmi nous qui se fichent de la politique ; et qui frapperait de plein fouet les minorités et tous les groupes les plus vulnérables. (...)

Bien sûr, ce ne serait pas une nouveauté totale (...)

Le système politique et médiatique, tel qu’il se présente aujourd’hui, fait invariablement échouer les tentatives de sortir du piège par le haut. (...)

Dans les urnes ou dans la rue, le système est totalement verrouillé (...)

trois phénomènes qui ne me semblent pas toujours assez pris en compte autour de moi, et qui contribuent fortement à nous enfoncer dans le piège, nous rendant vulnérables à une prise de pouvoir de l’extrême droite : 1) l’hostilité envers le militantisme ; 2) la sous-estimation de l’islamophobie [4] ; 3) le fourvoiement tragique sur la question palestinienne.

Parce que l’extrême droite, ce n’est pas seulement le RN : ce sont aussi toute l’atmosphère politique et les discours insidieux qui contribuent à son hégémonie, y compris dans des cercles qui s’en imaginent très éloignés, voire qui se vivent comme ses opposants. La radicalisation réactionnaire ne se cantonne pas à la droite et à l’extrême droite ; elle produit des effets dans l’ensemble de la société. (...)

Toute expression d’une conviction, d’une opinion qui va à l’encontre du consensus établi est perçue comme agressive, déplacée, excessive. (...)

Ce bannissement du militantisme est cohérent avec la nécessité de décourager toute velléité de sortir du piège que je décrivais plus haut. L’étiquette fourre-tout du « wokisme » permet de jeter l’opprobre, pêle-mêle, sur tout ce qui pourrait questionner un tant soit peu l’ordre dominant (...)

« Comme si celles et ceux qui avertissent du danger formaient le danger même que chacun se devait de redouter. »
(...)
Tandis que, en face, la violence verbale des réactionnaires, déguisée en « liberté d’expression », ne connaît plus aucune limite : logorrhées racistes, appels au meurtre, apologies d’un génocide... (...)

Le moteur de la fascisation en cours, c’est l’islamophobie

Si les autrices que je viens d’évoquer, Fourest et Badinter, peuvent passer pour féministes alors qu’elles sont des réactionnaires virulentes (pour le dire poliment), c’est uniquement parce qu’elles sont islamophobes. (...)
martelés depuis vingt-cinq ans, les bobards de l’islamophobie sont devenus des évidences qu’on n’interroge même plus. (...)

Un racisme tantôt policé, tantôt virulent, assumé – et normalisé (...)

C’est l’islamophobie qui donne lieu à la fabrication nationale d’un phénomène de bouc émissaire. Les traits qu’on ne veut pas voir dans la part blanche de la société, à commencer par le sexisme et l’antisémitisme, sont reportés sur les musulman·es. (...)

Grâce à ce tour de passe-passe, l’antisémitisme blanc est rendu invisible y compris quand il s’étale en plein jour de la manière la plus éclatante. (...)

Ne pas cautionner le torpillage de la gauche, qui, s’il réussit, précipitera la société dans un chaos violent et nuira à toutes les minorités, juif·ves compris·es

La vigilance sur l’antisémitisme ne doit pas se relâcher. Parce que nous savons bien qu’il existe encore dans toute la société. Et parce que la revendication du judaïsme par Israël, afin d’en faire un bouclier pour son entreprise exterminatrice, favorise les amalgames (...)

sans être parfaite sur ce sujet – en étant même parfois d’une désinvolture désespérante –, la gauche, que ses adversaires bombardent d’accusations d’antisémitisme pour la discréditer, ne porte pas un projet antisémite ; elle porte même le projet inverse. Il faut être complètement pervers·e pour voir de l’antisémitisme dans sa défense du droit des Palestinien·nes à vivre. Le projet antisémite, c’est l’extrême droite qui le porte, même si elle tente aujourd’hui de le dissimuler par stratégie. (Qu’on doive rappeler de telles évidences en dit long sur la panade dans laquelle nous nous trouvons.) (...)

L’anticléricalisme se marie très bien avec le vieux complexe de supériorité colonial, de même qu’il s’est longtemps très bien marié avec la misogynie (...)

C’est bien l’intégrisme catholique qui était en embuscade depuis le début derrière le faux nez d’une pseudo-laïcité (...)

C’est aussi clair en France [9] qu’aux États-Unis : la stigmatisation des musulman·es a fait le lit de l’extrême droite, et, avec elle, du fondamentalisme chrétien. (...)

Insupportable aussi d’entendre dire que l’interdiction du voile dans un nombre croissant d’espaces, ou la perte du contrat d’un lycée privé musulman avec l’État, seraient de bonnes choses, seraient « toujours ça de pris », au nom du féminisme / de la défense de l’école publique. NON. Il ne peut rien sortir de bon de décisions motivées par l’islamophobie.

Il n’existe aucune formule magique qui permet de transformer du racisme en féminisme. Il est indigne de prendre pour argent comptant un « féminisme » qui n’est qu’un prétexte. (...)

Revoyez vos préjugés condescendants sur les femmes qui portent le foulard. Fichez-leur la paix. Dénoncez les discriminations, les injustices et le « deux poids, deux mesures » (...)

Il faut rappeler que, historiquement, l’accusation de sexisme a aussi été mobilisée dans le discours antisémite institutionnel. (...)

Les religions sont sexistes dans la mesure où les hommes le sont ; pas l’inverse (...)

Il existe de multiples interprétations d’une religion, chaque fidèle y adhère d’une manière qui lui est propre, de sorte qu’il existe aussi des musulman·es – ou des chrétien·nes, ou des juif·ves – pratiquant·es qui sont ouvert·es et progressistes, et aussi peu sexistes qu’on peut l’être dans cette société. De même, il existe des athées qui sont violemment misogynes et oppressifs.

La haine des femmes peut s’exprimer avec une force maximale en l’absence de tout arrière-plan religieux. Le sexisme et la misogynie existent indépendamment des religions, même si celles-ci peuvent les théoriser (...)

Islamophobie, Palestine : les mêmes signaux de complaisance envoyés derrière les molles condamnations formelles (...)

le meurtre d’Aboubakar Cissé donne lieu aux mêmes esquives, aux mêmes contorsions politiques et médiatiques que celles observées depuis un an et demi au sujet des horreurs sans limite infligées aux Palestinien·nes. Ce sont les mêmes signaux de complaisance envoyés derrière les molles condamnations formelles.

Ici, en France, l’islamophobie s’assume de manière de plus en plus ouverte – en témoigne cette intention de la ministre de l’éducation de faire appel de la décision du tribunal administratif de Lille rétablissant le contrat d’association avec l’État du lycée musulman Averroès. Et, de plus en plus, la complicité avec ce qui se passe là-bas, avec la destruction de la Palestine, loin d’être révoquée ou dénoncée, est elle aussi assumée et même revendiquée. La répression visant les personnes qui se révoltent contre les crimes israéliens – y compris en France – ne dit pas autre chose. (...)

3) Palestine, l’erreur d’aiguillage moral

Présenté comme une fidélité à la mémoire de la Shoah alors qu’il en est la trahison absolue, le soutien à l’apartheid israélien restera comme le levier qui aura permis aux sociétés européennes et américaine d’embrasser à nouveau le pire en toute bonne conscience. (...)

Diabolisation, déshumanisation : s’il est absurde de comparer des crimes historiques terme à terme, ce sont bien les mêmes mécanismes qui ont permis la Shoah [15], et c’est à ces mécanismes que nous devrions réagir ; c’est cela qui devrait éveiller notre vigilance. (...)

Samuel Zygelbojm, mai 1943 : « La responsabilité du crime d’extermination totale des populations juives de Pologne (...) pèse indirectement sur l’humanité entière, sur les peuples et les gouvernements des nations alliées qui n’ont, jusqu’ici, entrepris aucune action concrète pour arrêter ce crime »

L’indifférence au crime est absolument la même. (...)

La défense jusqu’au-boutiste d’Israël accélère « l’orwellisation du débat public »

Défendre le fort plutôt que le faible, l’occupant plutôt que l’occupé, et, désormais, le génocidaire plutôt que le génocidé, comme le font la quasi-totalité des gouvernements occidentaux (le soutien à Israël étant évidemment lié à des intérêts géopolitiques et économiques, à des affinités idéologiques, etc.), c’est mettre le monde à l’envers. (...)

Cette erreur d’aiguillage moral est commise par certain·es de manière cynique, et par d’autres en toute bonne foi. Mais le choix de soutenir l’oppresseur plutôt que l’opprimé devient de plus en plus difficile à maintenir au fur et à mesure que la monstruosité de ce qu’Israël inflige aux Palestinien·nes devient plus difficile à dissimuler. En fait, la couverture du crime craque de partout. (...)

Que ce soit dans un, dix ou cent ans, il faudra bien un jour remettre le monde à l’endroit

Cette répression n’aura jamais raison. (Et c’est probablement ce qui la rend aussi dangereuse, car cela l’oblige à la fuite en avant.) Il est tout simplement impossible que le racisme, le colonialisme et l’extermination deviennent un jour vertueux. Et c’est valable y compris si on récuse le terme « génocide » (...)

La seule question, c’est combien d’horreurs il faudra encore, et quelle quantité de répression violente de celles et ceux qui les dénoncent. (...)

Wafa Abdel Rahman : « Si une action criminelle reste impunie, cela s’appliquera au reste du monde » (...)

En outre, ce que l’armée israélienne fait à Gaza, ce n’est pas seulement affamer et déchiqueter des gens, détruire toutes leurs structures de santé (et tuer le personnel médical), les priver de tous les biens élémentaires, les torturer physiquement et psychologiquement en les déplaçant sans cesse, en les bombardant y compris dans de prétendues « zones sûres », etc. C’est aussi détruire leurs lieux de vie, les raser, les transformer en tas de décombres (et bombarder jusqu’aux bulldozers qui permettent de déblayer ces décombres), effacer leur caractère et leur identité, les rendre invivables. Avec le projet – bien résumé par l’atroce clip diffusé par Trump – d’en faire une pure ressource valorisable, que ce soit en termes de promotion immobilière ou d’exploitation du gaz offshore. Une « valorisation » dont les colonies israéliennes en Cisjordanie, défigurant le paysage avec leur architecture carrée et standardisée [18], donnent déjà une bonne idée.

Analysant ce « mélange de génocide et d’écocide », Vijay Kolinjivadi et Asmaa Ashraf parlent de Gaza comme d’une « zone de sacrifice » : un terme emprunté à la critique de l’extractivisme [19] qui désigne les territoires ravagés par l’industrie minière, au mépris des populations qui y vivent, de leur santé, de leurs liens avec le lieu. Bien que les situations ne soient évidemment pas entièrement comparables, ils voient dans la destruction de la Palestine (la Cisjordanie étant en voie de subir le même sort) la préfiguration d’opérations qui risquent de se multiplier avec l’aggravation de la catastrophe climatique. (...)

Roaa Shamallakh : « L’endroit même qui abritait mon histoire et mon identité est perdu, enseveli sous des couches de décombres »

Ce ne sont pas seulement des familles entières, avec leurs histoires, leurs espoirs, qui sont rayées de la surface de la Terre à Gaza : ce sont aussi des lieux, avec leurs écosystèmes, leur patrimoine culturel, leurs singularités, tout ce qui les rend uniques, hospitaliers, attachants et accueillants, la trace qu’ils portent d’un façonnage humain, d’une culture, d’une histoire. (...)

« La nuit tombe, écrit encore Johan Faerber. Elle grandit mais il faut militer, c’est-à-dire envers et contre tout trouver sous les gravats meubles le seul et unique synonyme possible qui, finalement, se donne pour le verbe “militer”, celui qui, enfin, le préservera de toute saleté : continuer. »