
La langue inclusive est l’objet de vives polémiques, mais aussi de travaux scientifiques qui montrent que son usage s’avère efficace pour réduire certains stéréotypes induits par l’usage systématique du masculin neutre.
Où sont les femmes dans une langue où le genre masculin peut désigner à la fois le masculin et le neutre générique universel ? En effet, si vous lisez ici : « Les chercheurs s’intéressent aux discriminations de genre », comprenez-vous « chercheurs » en tant que « les hommes qui contribuent à la recherche » ou comme « les personnes qui contribuent à la recherche » ? Impossible de trancher.
Sharon Peperkamp, chercheuse au sein du Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique1 explique : « Il existe une asymétrie linguistique en français où le genre masculin est ambigu et peut être interprété de deux manières, soit comme générique – incluant des personnes de tous genres, soit comme spécifique, incluant uniquement des hommes. Or, on sait depuis longtemps que ce phénomène peut induire un biais masculin qui peut avoir a des conséquences sur les représentations. » Partant de ce postulat que les usages langagiers participent aux représentations sociales, les psycholinguistes ont voulu vérifier dans quelle mesure une modification contrôlée de ces usages, notamment par le recours à des tournures dites « inclusives », pouvait affecter certains stéréotypes de genre.
L’inclusivité, la langue française connaît déjà !
Un large mouvement a été engagé il y a déjà plusieurs décennies pour reféminiser les usages de langue et la rendre plus égalitaire, à travers l’usage de ce qu’on qualifie aujourd’hui d’ « écriture inclusive ». Mais cette dernière fait polémique. Des controverses qui se sont invitées jusqu’au Sénat (...)
Cependant, si tous les regards sont tournés vers l’écrit et plus précisément vers le point médian, cet aspect-là ne constitue qu’une infirme partie des nombreuses stratégies linguistiques proposées pour rendre la langue moins sexiste, tant à l’oral qu’à l’écrit. (...)
Dans son guide(link is external) « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe », publié en 2022, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) définit ainsi le langage égalitaire (ou non sexiste, ou inclusif) comme « l’ensemble des attentions discursives, c’est-à-dire lexicales, syntaxiques et graphiques qui permettent d’assurer une égalité de représentation des individus ». Il signale que « cet ensemble est trop souvent réduit à l’expression “écriture inclusive”, qui s’est imposée dans le débat public mais qui ne devrait concerner que les éléments relevant de l’écriture (notamment les abréviations) ». (...)
« Les accords égalitaires sont là. Depuis le latin, nous savons faire des accords de proximité ou des accords de majorité. Nous savons utiliser d’autres termes pour parler de l’humanité que le mot “homme”. Nous savons faire des doublets – il y en a plein les textes anciens, notamment les textes réglementaires. C’est une question de justesse, ce n’est pas une question de féminisme. Nos ancêtres n’étaient pas plus féministes que nous ; simplement, ils utilisaient leur langue comme elle s’est faite, comme elle est conçue pour le faire » (...)
Pour le cerveau, le masculin n’est pas neutre (...)
Des études ont montré que les femmes sont davantage susceptibles de postuler à des annonces d’emploi dans lesquelles l’écriture inclusive est utilisée. (...)
Pour cette psycholinguiste, ces résultats confirment que « il est faux de dire que le langage inclusif ne sert à rien. Il permet au contraire de donner un vrai boost à la visibilité des femmes et permet d’attirer davantage d’entre elles dans des filières supposées masculines. » (...)
Ces travaux, les tout premiers s’appuyant sur des expériences contrôlées de psycholinguistique et menés avec des sujets francophones, n’épuisent certainement pas le débat scientifique sur les effets cognitifs du langage inclusif. Mais ils indiquent clairement que le recours à certaines tournures inclusives – en particulier dans des stratégies dites « féminisantes » (re)mobilisant des ressources présentes depuis longtemps dans la langue française –, a bien l’effet pour lequel il est préconisé : réduire les stéréotypes de genre et augmenter la visibilité des femmes