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L’économie peut-elle protéger la nature ? Le pari douteux des « crédits biodiversité »
#biodiversite #economie
Article mis en ligne le 31 octobre 2024
dernière modification le 29 octobre 2024

Les promoteurs des « crédits biodiversité » à la COP16 jurent que donner une valeur monétaire aux écosystèmes permettra de les protéger. « Naïf », « absurde » et porteur de « dangers insurmontables », selon les écologistes qui s’y opposent.

Puisque l’économie capitaliste ravage le vivant sur Terre comme jamais auparavant, il suffirait d’intégrer le vivant dans l’économie capitaliste pour arrêter le massacre. Un tel raisonnement, qui n’a certes rien de nouveau, tient du sophisme scandaleux pour les uns, et du pragmatisme nécessaire pour les autres. La tentation de financiariser la nature pourrait quoi qu’il en soit franchir un cap décisif dans les prochains jours. Ce sera l’un des sujets scrutés par les participants à la COP16. Cette 16ᵉ conférence internationale de la Convention sur la diversité biologique se tient à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1ᵉʳ novembre 2024.

Les termes « crédits biodiversité » devraient notamment occuper les discussions. Ceux-ci consisteraient à évaluer le gain économique que représenterait la préservation ou la restauration de tel ou tel écosystème. Par exemple : la valeur du service écosystémique que représente la filtration de l’eau par une zone humide restaurée, la protection contre la submersion d’une mangrove que l’on renonce à détruire, etc. Les actions vertueuses en faveur de la protection de la biodiversité auraient ainsi une valeur monétaire, convertible en crédits que pourraient générer ou s’échanger les acteurs sur le marché.

Un mécanisme soutenu par Emmanuel Macron

Un tel mécanisme fait l’objet d’un travail de lobbying intensif depuis quelques années, poussé notamment par la France, à l’initiative d’Emmanuel Macron. Avec le Royaume-Uni, la France a lancé en 2023 l’International Advisory Panel on Biodiversity Credits (IAPB), un groupe promouvant la mise en place d’une « initiative mondiale pour structurer les marchés des crédits biodiversité au service des peuples et de la planète ».

Deux autres instances majeures plaideront également la cause de ces crédits à la COP16 : la Biodiversity Credit Alliance, soutenue par les Nations unies, et la Biodiversity Credits Initiative, portée par le Forum économique mondial, avec l’appui du cabinet de conseil McKinsey. À l’échelle européenne, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a elle-même vanté en septembre les intérêts potentiels des « crédits nature ». (...)

L’enthousiasme est loin d’être aussi général du côté des associations écologistes. 239 d’entre elles, issues du monde entier, ont signé début octobre une déclaration commune condamnant « les dangers insurmontables » d’un tel mécanisme de marché, appelant les gouvernements à y renoncer et à « donner la priorité aux changements transformationnels en s’attaquant aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, notamment en promouvant une réglementation plus stricte des activités nuisibles réalisées par les entreprises ».

La crainte la plus évidente, pour les ONG, est de voir se reproduire les dégâts occasionnés par les crédits carbone. (...)

Au cœur des contestations figure également la notion de compensation. Les crédits biodiversité auront notamment vocation à servir d’outil pour compenser la destruction d’un écosystème. Il serait ainsi possible d’acheter un crédit certifiant de la préservation ou de la restauration d’un autre écosystème supposément équivalent à celui que l’on souhaite par exemple couvrir de béton.

« C’est naïf de penser qu’on peut détruire et remplacer un écosystème existant », rétorque Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l’Institut écologie et environnement du CNRS. (...)

La pertinence même de l’approche économique pour protéger la nature interroge. L’ONU estime les financements, publics et privés, nocifs à la biodiversité à au moins 7 000 milliards de dollars par an. Le coût de la dégradation des écosystèmes naturels pour l’économie mondiale est quant à lui évalué à 5 000 milliards de dollars par an, rappelle Philippe Grandcolas dans son dernier ouvrage, Biodiversité, fake or not ? (Tara éditions, novembre 2024). Il faudrait, pour restaurer les écosystèmes terrestres, mobiliser 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030, calcule encore l’ONU.

Ces chiffres ont-ils le moindre sens ? (...)

Un être vivant, un écosystème ou un paysage possèdent pourtant aussi une valeur intrinsèque, morale et inquantifiable qui échappe à toute métrique économique. (...)

Les subventions publiques préjudiciables à la biodiversité atteindraient 1 700 milliards par an, selon l’ONU. C’est plus de huit fois le montant des sommes nécessaires aux opérations de protection des écosystèmes.