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Mediapart
L’antiracisme, la gauche et la rue : est-il toujours possible de manifester ensemble ?
#antiracisme #gauche #manifestations #divisions #medias
Article mis en ligne le 12 mai 2025
dernière modification le 10 mai 2025

Sur fond de conflit à Gaza et de profonde désunion entre les partis de gauche, l’unité des cortèges contre la réforme des retraites est bien loin quand approchent les manifestations antiracistes. À la veille de la manifestation contre l’islamophobie, l’ambiance délétère inquiète le mouvement social.

Les manifestations contre l’islamophobie du dimanche 11 mai seront-elles une fois encore le théâtre des déchirures de la gauche ? Si paradoxalement le consensus est de plus en plus large depuis l’assassinat d’Aboubakar Cissé – le terme est d’ailleurs désormais utilisé par une partie du PS –, la manifestation pourrait ne pas être aussi massive qu’attendu. « L’aile droite » du PS et une partie du PCF n’ont pas appelé à la marche nationale. Et l’ambiance qui s’est singulièrement tendue dans les cortèges ces derniers temps pourrait devenir un frein à la mobilisation.

Dimanche 27 avril, c’est Jérôme Guedj qui se faisait malmener en marge du rassemblement en hommage à Aboubakar Cissé, place de la République à Paris, au son de « sale sioniste ! ». Le jeudi suivant, lors de la manifestation pour le 1er-Mai, rebelote. Le PS, dont le point fixe était situé en amont de la manifestation parisienne, boulevard de l’Hôpital, subissait les foudres de plusieurs manifestants identifiés comme « antifas » par l’élu parisien Emmanuel Grégoire.

« Outre les classiques slogans “tout le monde déteste le PS”, ils nous ont pris à partie en nous traitant de “bande de sionistes”, de “collabos”, de “complices” », relate le député. Après ce premier accrochage, plusieurs dizaines de membres du black bloc ont ensuite fondu sur le stand du parti à la rose, créant la panique et blessant plusieurs personnes. (...)

Autant d’incidents dont les chaînes d’info en continu se sont fait des gorges chaudes, invisibilisant du même coup l’ambiance « festive et combative » de la journée. Mais aussi ses mots d’ordre : augmentation des salaires, abrogation de la réforme des retraites, ou dénonciation de la « trumpisation du monde ».

Ampleur nouvelle

Que des manifestations exposent en direct les divisions de la gauche, un camp en ébullition constante, le phénomène est loin d’être nouveau. (...)

Sur fond de bataille partisane en vue de 2027, le récent refus du PS de signer la motion de censure contre le gouvernement Bayrou a relancé à plein le narratif de la trahison du PS.

Par ailleurs, et peut-être surtout, sont arrivées dans le vocabulaire contestataire une série d’injures jusqu’ici circonscrites dans les marges ultra-militantes. À commencer par celle de « sioniste », qui s’est répandue et banalisée depuis le 7-Octobre . (...)
L’insulte répond en miroir à celles d’« antisémite » qui avaient par exemple accompagné l’exfiltration de LFI de la marche en hommage à Mireille Knoll, en 2018. Là encore, elle a fait florès – y compris à l’Assemblée nationale – au gré des déclarations ambiguës de Jean-Luc Mélenchon. Et elle a pesé, entre autres choses, dans la décision des Insoumis de ne pas se rendre à la grande marche contre l’antisémitisme à l’automne 2023, les cadres du mouvement craignant d’y être mal reçus.

« Ces accusations d’islamophobie ou d’antisémitisme sont le symptôme que la théorie du choc des civilisations a été importée en France, estime le député insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel. C’est catastrophique et cela entraîne des réflexes communautaires, alors que toute la gauche devrait pouvoir manifester ensemble aussi bien contre l’islamophobie et l’antisémitisme. »

Preuve qu’on en est encore loin, le sujet s’est invité mardi au Palais-Bourbon avec la prise de parole du député socialiste Jérôme Guedj. En plein hémicycle, il a solennellement fustigé les « parangons de la pureté idéologique » qui contestent au PS « le droit » de mener le combat social et « jet[tent] en pâture ceux qui n’utilisent pas leurs mots ou leur stratégie ». Une sortie diversement appréciée, y compris dans les rangs du parti à la rose.

Le ruissellement des divisions (...)

Présidente de la Fondation pour les femmes, Anne-Cécile Mailfert se souvient de ce 25 novembre 2023 « où tout a commencé ». Ce samedi, les militants du collectif Nous vivrons se font exclure du cortège après avoir traité de « complices du Hamas » les participants à la manifestation annuelle contre les violences sexistes et sexuelles.

« À partir de ce moment-là, les médias se sont focalisés sur les divisions et n’ont pas arrêté de mettre en scène la polarisation, ce qui n’a fait que renforcer les divisions. Certes, la situation n’est pas simple, mais il faut arrêter de mettre du sel sur les plaies », exhorte Anne-Cécile Mailfert. (...)

Au-delà de la situation internationale, les oppositions stratégiques entre les membres de feu le Nouveau Front populaire (NFP) viennent perturber l’organisation et mettre à mal une image unitaire déjà bien écornée.

Président de l’union syndicale lycéenne (USL), Manès Nadel reconnaît à LFI « la plus grande force organisationnelle et mobilisatrice », mais déplore la « prise en étau » des organisations militantes, coincées au milieu des guerres intestines des partis politiques. (...)

Au-delà de la situation internationale, les oppositions stratégiques entre les membres de feu le Nouveau Front populaire (NFP) viennent perturber l’organisation et mettre à mal une image unitaire déjà bien écornée.

Président de l’union syndicale lycéenne (USL), Manès Nadel reconnaît à LFI « la plus grande force organisationnelle et mobilisatrice », mais déplore la « prise en étau » des organisations militantes, coincées au milieu des guerres intestines des partis politiques. (...)
À l’approche de 2027, les organisations syndicales et militantes se font peu d’espoir sur la possibilité d’une accalmie dans ces affrontements partisans. Reste alors à trouver comment sortir de l’impasse. « Les difficultés entre les partis nous neutralisent et participent aux difficultés à mobiliser, concède Youlie Yamamoto. On se demande toutes et tous comment faire pour trouver des solutions pour enjamber les dissensions politiques qui nous prennent en étau. »

Manès Nadel abonde : « Tout le monde a bien conscience que, de toute façon, d’ici 2027, cette situation va s’accentuer, et que chacun va vouloir tirer ce qu’il appelle “la société civile” à son avantage. »