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« L’Afrique, c’est la France » ? Mitterrand et la décolonisation
#Mitterrand #Afrique #décolonisation #colonisation #IVe République
Article mis en ligne le 18 mars 2025
dernière modification le 15 mars 2025

Loin d’avoir été un partisan de la décolonisation durant les années 1950, F. Mitterrand est resté jusqu’au bout fermement attaché à l’empire colonial français en Afrique

Deux publications simultanées explorent ce sujet, auxquelles il faudra ajouter un troisième ouvrage annoncé pour 2025
— sans qu’aucune raison évidente vienne expliquer cette actualité éditoriale. Le premier ouvrage, L’Afrique d’abord ! Quand François Mitterrand voulait sauver l’Empire français, est dû à Thomas Deltombe, éditeur et chercheur indépendant, connu pour ses publications sur la fin de la colonisation française en Afrique et sur la Françafrique
. Le second, François Mitterrand, Itinéraires africains avant la Ve République, est un ouvrage collectif dirigé par Anne-Laure Ollivier, docteure en histoire contemporaine et enseignante en classes préparatoires, et par Frédéric Turpin, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Savoie Mont Blanc, tous deux spécialistes de la vie politique française dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le livre réunit quinze contributions, issues d’un colloque organisé en 2023 à l’Académie des sciences d’outre-mer de Paris en lien avec l’Institut François Mitterrand.

Avec des styles et des approches différentes, ces deux livres soulignent l’importance que revêt l’Afrique dans le parcours politique du futur président. Bien loin d’être favorable à la décolonisation, ainsi qu’il a pu par la suite se présenter et être présenté, il a en effet cherché à conserver l’Empire colonial français, qu’il pensait indispensable à la puissance française.

L’Afrique, une étape centrale dans la carrière de Mitterrand (...)

Les deux livres annoncent des sources inédites, en particulier tirées du fonds François Mitterrand (conservé au sein de l’institut éponyme). Leur exploitation paraît cependant limitée dans un cas comme dans l’autre, ce qui explique également que l’activité de Mitterrand comme ministre et celle de son administration soient finalement peu visibles. En plus de la presse d’époque, métropolitaine comme coloniale, les sources principales sont les écrits de François Mitterrand lui-même. Centraux sont notamment ses deux ouvrages sur les questions coloniales. Dans Aux frontières de l’Union française, il préconise en 1953 des réformes coloniales pour repenser les liens avec les territoires coloniaux. Dans Présence française et abandon, publié quatre ans plus tard, encore plus centré sur l’Afrique, il défend de nouveau la posture «  réformiste  », contre ceux qu’il considère comme les ultras du colonialisme.

Le mythe du décolonisateur

En se fondant sur une relecture de ses écrits, mais aussi en replaçant ses prises de position dans leur contexte politique et colonial, les deux ouvrages fissurent, voire abattent l’un des derniers mythes encore solidement associés à Mitterrand. Ce mythe comporte une double facette, selon le bord politique  : d’un côté il a pu être accusé d’être un «   bradeur d’empire   », de l’autre il a été présenté comme un «   décolonisateur   ». Bien que ce soit plus explicite chez T. Deltombe, les deux livres s’accordent pour dire que cette réputation est usurpée. Lui-même et son entourage ont savamment entretenu cette image dès les premières années de la Ve République, effaçant son passé colonialiste.

À une époque où, les indépendances sidéraient ceux qui n’avaient su en percevoir les signes avant-coureurs, il était de bon ton de se présenter a posteriori comme un visionnaire ayant su les anticiper. (...)

Une question de puissance

Toujours est-il que le principal critère pour Mitterrand n’était pas tant la situation des peuples colonisés et leurs droits, qu’une inquiétude pour la puissance française. Tous ses écrits des années 1940 et 1950 confirment un attachement tenace à l’empire, et en particulier à l’Afrique française. Si l’idée d’une mission civilisatrice ne disparaît pas sous sa plume, il est surtout question de grandeur de la France  : son avenir dans le monde serait indissociable de son empire, d’où la crainte constante chez lui d’un «   abandon   ». Si, dans le sillage de Mendès France, l’abandon de l’Indochine lui semble envisageable et même souhaitable, notamment pour se concentrer sur l’Afrique, l’abandon de cette dernière est inenvisageable.

Pour sauver l’empire, il faut cependant réformer, d’abord les structures économiques pour favoriser le développement, ensuite les structures politiques. À partir de 1952, Mitterrand promeut l’idée d’une «   communauté franco-africaine   », dont l’objectif aurait été de passer du projet d’assimilation à la France, plus ou moins en vigueur depuis la fin du XIXe siècle, à celui d’une véritable association politique, au sein d’une république fédérale. Mais Mitterrand n’est finalement pas un acteur de la mise en place de cette «   communauté   », instaurée sous une forme proche sous la Ve République en 1958.

Pour cette raison, T. Deltombe dénie à Mitterrand l’étiquette d’«   anticolonialiste   » et lui préfère celle de «   néocolonialiste   ». (...)

Ces deux ouvrages sur Mitterrand et l’Afrique durant les années 1950 adoptent deux perspectives dissemblables, mais sans doute complémentaires. L’un analyse la question sous l’angle de la métropole et réinsère Mitterrand au sein des réseaux politiques de la IVe République — ce qui revient à relativiser l’originalité de ses positions. L’autre prend pour point de vue les enjeux proprement africains et les luttes pour l’indépendance — ce qui conduit à insister sur l’aveuglement impérial du futur président.