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Mediapart
Jumelages, échanges : des élus locaux s’engagent pour la Palestine
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #solidarite
Article mis en ligne le 31 mai 2025

À l’image de Strasbourg, qui souhaite relier sa ville à un camp de réfugiés de Cisjordanie, grandes ou plus petites collectivités créent ou renforcent leurs partenariats. Une diplomatie qu’Israël ne goûte guère : deux délégations d’élus ont été interdites de séjour en avril.

LeLe 17 mai, le maire de La Chapelle-sur-Erdre, petite commune de Loire-Atlantique d’un peu plus de 20 000 habitant·es, a promis de transformer le protocole d’amitié qui existe depuis 2019 avec le camp de réfugié·es de Jénine, en Cisjordanie occupée, en véritable jumelage. Une manière, a justifié Laurent Godet, d’exprimer son « soutien indéfectible » à la ville palestinienne et à son camp, vidé de tous ses habitants et habitantes et théâtre d’une brutale opération de l’armée israélienne depuis janvier.

Quelques jours plus tard, la ville de Strasbourg annonçait mettre au vote en juin une proposition de jumelage avec le camp de réfugié·es d’Aïda, en lisière de Bethléem, là aussi « en soutien au peuple palestinien », a souligné la maire, Jeanne Barseghian. Un choix qui lui vaut, depuis, de nombreuses attaques.

La coopération décentralisée des collectivités et villes françaises avec des partenaires palestiniens, amorcée dans le sillage des accords d’Oslo en 1995, a d’abord subi un « recul après le 7-Octobre », reconnaît Abdallah Anati, directeur exécutif de l’Association des autorités locales palestiniennes (Apla). « Certaines villes de différents pays, sous pression de partis politiques ou des gouvernements, des lobbies, ont dit qu’elles voulaient réexaminer leur relation avec les Palestiniens », explique-t-il.

Finalement, aucun partenariat ni jumelage n’a, à sa connaissance, été stoppé. Au contraire, « les relations sont encore bien plus florissantes qu’avant le 7-Octobre, parce que la guerre a montré ce qu’Israël fait aux Palestiniens ». À l’inverse, plusieurs villes européennes, dont La Rochelle (Charente-Maritime), ont suspendu leurs relations avec leurs partenaires israéliens. (...)

La coopération décentralisée permet aux collectivités locales de s’ouvrir à l’international à travers des jumelages, échanges culturels, visites croisées, initiatives linguistiques ou sportives. « Des rencontres entre peuples », résume le maire communiste de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), Patrice Leclerc, dont la ville est jumelée avec Al-Bireh, à côté de Ramallah, dans le centre de la Cisjordanie occupée.

Dans le cas de la Palestine, cette coopération fait « exister un territoire qui, du point de vue du droit international, n’est pas encore reconnu » comme un État, rappelle Virginie Rouquette, directrice de Cités unies France (CUF), une association transpartisane qui fédère les collectivités territoriales françaises engagées dans l’action internationale. (...)

Entraves à la solidarité

Les collectivités françaises offrent notamment un appui financier et technique aux Palestinien·nes. À Silwan, quartier palestinien au pied de la vieille ville de Jérusalem, elles participent par exemple à la reconstruction d’un centre culturel détruit en novembre 2024 par la municipalité israélienne. Le lieu, enclavé, est densément peuplé et grignoté par les colons israéliens. Le centre en question était l’un des rares lieux de respiration pour les habitant·es, dont 1 550 vivent dans des maisons menacées par un ordre de démolition. Entre 2019 et 2023, les autorités israéliennes ont détruit 113 propriétés à Silwan.

La coopération s’inscrit aussi dans des échanges : 14 collectivités françaises ont accueilli 30 Palestinien·nes de Jérusalem en février et une délégation de Français·es était venue dans la « ville sainte » en juillet 2023. Gennevilliers a mis en place des formations dans le champ éducatif et sur les questions de santé mentale.

Devant la brutale campagne israélienne de nettoyage ethnique en Cisjordanie et la guerre génocidaire à Gaza, la coopération décentralisée, qui s’était « technicisée » ces dernières années, reprend une coloration politique, explique Virginie Rouquette. Les villes et collectivités locales sont souvent précurseuses dans leur positionnement et poussent l’État à agir. Sur le terrain, les élu·es sont unanimes : le consulat français de Jérusalem et les diplomates travaillent main dans la main. (...)

En revanche, l’action menée par les politiques au niveau national est « indécente, même si c’est en train de changer. Il leur faut un massacre pour changer », dénonce Patrice Leclerc, qui est aussi vice-président du Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine (RCDP). Face à ces défaillances, les collectivités locales s’activent notamment à « rendre publiques et visibiliser les agressions de l’État colon » (...)

Cette solidarité a pourtant été réprimée en France dans les mois qui ont suivi le 7-Octobre, rappelle Charlotte Blandiot-Faride, maire communiste de Mitry-Mory (Seine-et-Marne). Certaines préfectures ont pris des mesures pour « faire enlever des bannières appelant à la paix et à la liberté, ont demandé de descendre des drapeaux palestiniens quand ils ont été hissés, et ce au nom de l’État, ont envoyé des lettres d’injonction pour annuler des réunions, considérant que ça pouvait créer un trouble à l’ordre public, énumère la présidente de l’Association pour le jumelage entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (AJPF). On a été face à une organisation institutionnelle qui essayait de freiner le mouvement de solidarité avec la Palestine. »
Interdits de séjour

En avril, ce sont les autorités israéliennes qui ont mis un gros coup d’arrêt aux élus locaux. Coup sur coup, à un peu plus d’une semaine d’intervalle, Israël a annulé les visas de cinq parlementaires et vingt-deux maires ou élus municipaux de gauche qui devaient aller en Cisjordanie et en Israël avec l’AJPF, puis ceux d’une cinquantaine d’élu·es et agent·es locaux qui devaient s’y rendre dans le cadre d’une autre mission coordonnée par Cités unies France avec le RCDP.

À chaque fois, les autorités israéliennes ont accusé les élu·es d’être parrainé·es par des associations en lien avec le terrorisme. (...)

Les élu·es espèrent désormais que le président de la République, Emmanuel Macron, ira au bout de sa promesse de reconnaître un État palestinien. (...)

Ce ne sera pas un blanc-seing à l’Autorité palestinienne, haïe de sa population. La coopération décentralisée a d’ailleurs développé ces dernières années des liens directement avec la société civile palestinienne qui survit entre occupation israélienne et oppression des responsables palestiniens. « Notre soutien à la Palestine n’est pas aveugle », glisse le maire de Gennevilliers.

Le droit international reste le cap de l’action des collectivités, rappelle Simoné Giovetti. À travers la coopération en Palestine, « on essaie de défendre ce qui reste d’un système international », souligne-t-il. (...)

Des élus locaux « prennent des actions claires mais en face, on a un président et un ministre des affaires étrangères qui restent seulement dans des déclarations », regrette Jacques Bourgoin, ancien maire de Gennevilliers et ex-coordinateur du projet Jer’Est, sur Jérusalem-Est auprès du bureau du RCDP : « Quand on discute avec les Palestiniens, leur référence de dernier homme politique important pour leur cause, c’est Chirac. Ça peut quand même nous interpeller en France. »