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l’Humanité
Judith Godrèche : « À partir du moment où l’on prend la parole publiquement, on fait face à de l’adversité »
#MeToo #femmes #Violencessexuelles #Cinema #judithGodrèche
Article mis en ligne le 27 septembre 2024
dernière modification le 24 septembre 2024

Après avoir révélé les violences sexuelles subies lorsqu’elle était enfant et porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, l’actrice et réalisatrice est devenue une figure du mouvement #MeToo. À la Fête de l’Humanité, elle a transmis la combativité qui la porte aujourd’hui. (...)

(...) Pour sa première venue à la Fête de l’Humanité, Judith Godrèche a présenté son court-métrage Moi aussi, à l’espace Jack Ralite. Elle y a été accueillie par la manifestation féministe organisée en hommage à la militante iconique, Angela Davis, mais aussi en soutien à Gisèle Pelicot, victime de viols et dont le procès a un écho retentissant tant il révèle les horreurs et les ravages du patriarcat. (...)

On fait d’abord les choses pour soi. On donne parce qu’on a besoin de donner. On se sent alors moins seule. Par moments, je me dis : si j’arrête de me battre, comment vais-je faire pour rester debout ? C’est devenu mon moteur. Avec ce combat, cette énergie, ce mouvement en avant, je n’ai même pas le temps de m’asseoir et de sentir l’anéantissement d’un vécu, d’une réalité ou d’une solitude.

J’ai sûrement très peur d’arrêter d’agir. Il est très angoissant de se retrouver dans l’espèce de vide intersidéral de sa chambre et de sa réalité. Les personnes qui sont là, qui m’écoutent, c’est à moi qu’elles donnent. J’ai ce privilège. Il est compliqué d’imaginer que les gens font des choses par abnégation et don de soi. Le soutien de toutes les personnes anonymes qui, à travers ma parole, se retrouvent l’espace d’un instant, est d’une importance vitale pour moi.

(...)

À partir du moment où l’on prend la parole publiquement, on fait d’abord face à de l’adversité. Ensuite, on est dans une demande de reconnaissance. On n’en finit pas de demander aux autres de vous dire « je te crois ». On s’adresse aux personnes importantes de notre enfance, à nos parents, aux personnes qui vivaient dans le même milieu social ; on leur demande de nous dire « je te crois » ou « je savais ».

Ce besoin de reconnaissance crée une colère, une tristesse, un désir de continuer de se battre, de parler. Face à notre demande d’être entendue, on se prend aussi une défense. Et la défense de certaines personnes, c’est l’attaque. Certaines attaquent parce qu’on les accuse ; d’autres parce qu’elles étaient les témoins muets et qu’elles n’ont rien fait. D’autres attaquent parce qu’elles se sentent complices et qu’elles sont remises en question, parce qu’on prend trop la lumière ou parce qu’on la leur vole. Forcément, nous sommes sujets d’attaques.

À la Fête de l’Humanité – un joli nom –, je trouve intéressant de parler du milieu social du cinéma. C’est un drôle d’endroit, où continuent de se jouer les mêmes règles que dans le milieu aristocratique. Il y a le haut de la pyramide et, plus on la descend, moins les gens ont de valeur. Ce système hiérarchique de pouvoir a un impact à tous les niveaux : sur la manière dont quelqu’un est traité sur un tournage, sur les VSS (violences sexistes et sexuelles – NDLR).

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On vit de boulot en boulot, on a besoin de l’intermittence. Si, tout à coup, on se fait griller en dénonçant, par exemple, ce qui est arrivé sur un tournage, le bruit court vite qu’on est une emmerdeuse. Je n’en rajoute pas. Je vous parle du quotidien de beaucoup de techniciennes de cinéma. C’est pour cela qu’il est important de mettre son pied dans la porte et de dire « il faut que les choses changent ».

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Malheureusement, dans le cinéma français d’une certaine époque et dans l’écriture de réalisateurs, d’auteurs, certains sujets étaient mis en valeur comme l’inceste, la différence d’âge phénoménale entre une fille mineure et un homme plus âgé, sans que personne, pas même un journaliste, ne trouve bizarres tous ces films qui valorisent le viol.

C’est une question qu’il faut se poser aujourd’hui dans l’écriture des films.

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Mon expérience est celle d’une personne qui a vécu toute sa vie et grandi dans le milieu du cinéma. Dans mon rapport à l’autre, celui qui a le pouvoir, généralement, est un homme. Il est cinéaste, producteur. Il dirige un organisme qui peut me donner de l’argent pour réaliser mon film, il est à la tête d’une institution.

Dans mon environnement proche, on m’a toujours dit implicitement : « Si tu veux ça, tu dois séduire, tu dois sourire. » Tu dois rigoler aux blagues, même celles qui ne sont pas drôles ; tu dois faire un sourire émerveillé quand le mec va dire un truc complètement con qui n’a pas d’intérêt. Quand tu vas rencontrer un réalisateur et que tu passes un casting, tu te mets dans cette position, que tu le veuilles ou non.

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Les politiques doivent prendre les devants et s’emparer du problème des VSS et des questions féministes. Il ne faut plus que ce soit un sujet parallèle, ni un sujet qui épuise celles et ceux qui se battent pour faire avancer les choses. (...)

La situation politique est inquiétante, avec la présence de 143 députés d’extrême droite à l’Assemblée. Les forces de gauche unies sont arrivées en tête aux législatives, mais c’est un homme de droite qui a été nommé premier ministre. Comment convaincre les électeurs et les électrices pour qu’ils maintiennent la pression ?

Je suis persuadée que de nombreuses personnes ont un espoir assez abîmé.

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