
Deux journalistes, qui s’apprêtaient à suivre une quarantaine d’activistes écologistes en Seine-Saint-Denis, ont subi, avec eux, une garde à vue ayant abouti à un classement sans suite. « Abusif et illégitime », s’indigne Reporters sans frontières.
(...) plusieurs camions de CRS arrivent à vive allure et leur barrent la route. Ils se retrouvent alors encerclés par des agents de la police nationale, « une trentaine » d’après les trois interpellés. Arnaud César Vilette présente alors sa carte d’agence de presse, tandis que Patricia Huchot-Boissier sort sa carte de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), du Syndicat national des journalistes (SNJ), et son accréditation au Media Centre des Jeux olympiques.
« Ils m’ont dit : ça peut être des faux », s’indigne la journaliste. S’ensuit une fouille de leurs affaires. « Dans mes poches, ils ont trouvé quelques vieux tracts pour la manifestation à République du 25, qui était autorisée et s’est déroulée sans accroc. En plus de ça, j’avais des tracts et stickers anti-JO », retrace Noah. Il n’en fallait pas plus. Pour ces simples tracts et flyers, le militant et les deux journalistes sont interpellés et placés en garde à vue.
Patricia Huchot-Boissier n’en revient toujours pas : « Ils n’ont rien trouvé sur nous. Je les ai entendus dire “ils ont des tracts, ils ont des flyers” mais non, on n’avait rien sur nous, on est journalistes et on fait juste notre travail », s’insurge la photographe.
Interrogée par Mediapart, la préfecture de police indique avoir interpellé trois individus qui « procédai[ent] à une distribution de tracts sur la voie publique », ce que réfutent fermement les trois interpellés. Les deux journalistes assurent par ailleurs n’avoir été, à aucun moment, en possession de tracts ni de stickers. Et en effet, la préfecture précise ensuite que « deux étaient porteurs d’un appareil photo, un troisième détenait des tracts et des autocollants “Saccage Paris 2024” », confirmant donc que les deux journalistes n’en détenaient pas. Les trois sont finalement mis en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradation ».
Pendant l’opération – qui aura duré presque deux heures –, Patricia Huchot-Boissier peine à réaliser ce qui est en train de se passer, jusqu’à ce que les agents la somment de monter dans leur véhicule. « Au début, j’ai refusé, mais ils m’ont menacée de me mettre les menottes », raconte-t-elle. Au même moment, Arnaud César Vilette, lui, fait une crise d’angoisse, ce qui pousse les policiers à lui passer les menottes, pour l’emmener au commissariat. Tous trois racontent que les agents ont pris leur visage en photo à plusieurs reprises.
Ils passeront quasiment dix heures en garde à vue, « dans une cellule de trois mètres sur deux, qui sent l’urine », avant d’être relâchés sans être poursuivis en fin d’après-midi. Interrogé, le parquet de Bobigny indique à Mediapart que « les investigations n’ayant pas permis de corroborer l’infraction ayant justifié leur placement en garde à vue, la procédure a donc fait l’objet d’un classement pour infraction insuffisamment caractérisée ».
Noah voit derrière cette action des forces de l’ordre une tentative d’intimidation. (...)
Les journalistes suspects
« Cette interpellation et ce placement en garde à vue sont abusifs et illégitimes », estime Pavol Szalai, responsable Europe de Reporters sans frontières (RSF). « Ce type d’incident ne doit pas se reproduire pendant les JO. C’est un moment où l’on doit être tout à fait exemplaire sur le droit à l’information de tous », ajoute-t-il. (...)
Durant cette intervention, Patricia Huchot-Boissier a pu faire son travail, et prendre des photos de l’interpellation, qui ont ensuite été publiées dans L’Humanité. Arnaud César Vilette a quant à lui été empêché de travailler et nassé pendant un long moment avec d’autres journalistes.
La préfecture a indiqué à RSF que les militants d’Extinction Rebellion avaient là encore été interpellés pour un « groupement en vue de commettre des violences ou dégradations ». « C’est le motif classique qui permet de confondre les journalistes et militants », soupire Pavol Szalai. La nasse a duré, selon la préfecture, « le temps strictement nécessaire à la vérification de leur identité et de leur non-implication dans les faits ».
Dérives sécuritaires (...)
les journalistes semblent être perçus comme suspects dès lors qu’ils suivent une action militante. Dans un communiqué, RSF appelle les autorités à « garantir le droit des journalistes à couvrir des actions militantes et les interventions des forces de l’ordre liées aux Jeux olympiques conformément au Schéma national de maintien de l’ordre ». « Il est très important que le ministère de l’intérieur fasse un rappel aux forces de l’ordre sur les droits des journalistes », ajoute Pavol Szalai