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France TV Info/Grand entretien
"Je ne veux pas imaginer que la Nouvelle-Calédonie soit une affaire courante", s’inquiète l’ex-garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas
#NouvelleCaledonie #Kanaky
Article mis en ligne le 26 juillet 2024
dernière modification le 24 juillet 2024

Ancien ministre de la Justice sous François Hollande et auteur d’un rapport d’information sur la Nouvelle-Calédonie en 2013, Jean-Jacques Urvoas analyse la situation sur le Caillou, en proie à des violences depuis le mois de mai. Pour lui, l’objectif du rétablissement de l’ordre public ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’un "conflit politique" qui appelle des solutions politiques.

(...) Outre-mer la 1ère : Au mois de mai, vous disiez que "sans accord global, ce sera le chaos" en Nouvelle-Calédonie. Deux mois et demi plus tard, on y est ?

Jean-Jacques Urvoas : Malheureusement, on y est et je n’ai pas l’impression que ce soit une situation temporaire. Nous avons deux hypothèses devant nous : le statu quo, puisque l’on voit que les barrages se défont et se refont aussi vite, que les incendies et les dégradations continuent.

L’autre scénario n’est pas beaucoup plus optimiste : c’est l’escalade. Indépendamment de la présence massive de forces de l’ordre, on pourrait avoir un incident supplémentaire qui embrase un peu plus la situation et l’étende à l’archipel. Donc oui, c’est le chaos et l’État n’est pas à la hauteur de ses responsabilités puisque son principal devoir est de garantir l’ordre public.

Vous disiez également que la priorité est de rétablir la paix et que "l’ordre public ne se négocie pas". Visiblement, ce n’est pas une réponse suffisante.

Non, ce n’est pas une réponse suffisante parce qu’il ne faut pas se tromper sur ce qui est à l’œuvre. Je pense qu’il faut qualifier les faits. Quand on aborde ces sujets à travers l’angle de la délinquance ou de la violence, on omet l’essentiel pour moi qui est le fait que c’est un conflit politique.

À son déclenchement, il y a la question, pas du dégel, mais de la souveraineté, puisqu’on sait que l’équilibre démographique est au cœur de cette problématique. Il y a une inquiétude ancienne sur la crainte des kanak de se retrouver minoritaires un peu plus dans leur île. Et donc, si on nie la dimension politique de ce conflit, on ne trouvera pas la réponse politique. (...)

Il y a beaucoup de reproches à faire à l’État. Le principal étant de constater que rien de ce qui est arrivé n’était imprévisible. Il y avait eu suffisamment d’alertes pour montrer que si l’État ne retrouvait pas le rôle traditionnel qui est le sien, c’est-à-dire d’être un facilitateur, mais pas un spectateur. L’État n’a jamais été un tiers neutre dans cette affaire, l’État est signataire des Accords et donc il lui incombait cette responsabilité de les faire fonctionner pour que les fils du dialogue ne se distendent jamais.

Or depuis quatre ans, la situation n’a cessé de se dégrader, ne serait-ce que par l’abandon des rendez-vous traditionnels qui rythmaient l’accord de Nouméa : la suppression du comité des signataires qui a été remplacé par une espèce d’ersatz qui s’est appelé le format Leprédour, à l’initiative du ministre Lecornu, mais qui sur le long terme apparait comme préjudiciable. Évidemment, quand l’État intègre dans son gouvernement un membre de la communauté loyaliste [Sonia Backès, secrétaire d’État à la Citoyenneté de 2022 à 2023], les autres partenaires de l’Accord peuvent être légitimement soupçonneux sur le rôle que peut tenir ce membre, surtout lorsqu’elle est rattachée au ministre de l’Intérieur qui s’était approprié le dossier. (...)

C’est une situation baroque. Le Parlement a décidé de reporter les élections. Entre temps, il a voté un texte qui vise à dégeler le corps électoral. Mais ce texte est suspendu [à cause de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron début juin]. Si rien ne bouge, les élections se tiennent. L’accord électoral est gelé. Est-ce que les élections peuvent se décaler à nouveau ? Juridiquement, oui. Ce qu’une loi a fait, une loi peut parfaitement le défaire. Mais est-ce qu’il y a une majorité pour repousser à nouveau les élections ?

Je crois que, sur le dégel, la question est tranchée, il n’y a pas de majorité à ce stade. Elle n’existait déjà pas quand le président de la République est venu à Nouméa. Il me semble que les élections législatives ont rebattu les cartes de ce point de vue. (...)

pour la Nouvelle-Calédonie, avoir des interlocuteurs gouvernementaux qui ne sont pas assurés du temps est une difficulté supplémentaire parce que ce qui doit s’enclencher pour la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie va évidemment demander une présence très forte de l’État et une parole qui puisse être tenue. (...)