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"J’ai toujours essayé de m’intégrer" : Khallof al-Mohamad, l’histoire allemande d’un réfugié syrien
#Allemagne #migrants #immigration #extremedroite
Article mis en ligne le 23 février 2025
dernière modification le 20 février 2025

Khallof al-Mohamad a quitté la Syrie pour l’Allemagne en 2015, lorsque l’ex-chancelière Angela Merkel a ouvert les portes du pays à des centaines de milliers de réfugiés. Dix ans plus tard, il les voit se refermer d’un œil inquiet.

Lorsque nous le retrouvons en ce dimanche après-midi dans un café de Wuppertal, les débats sur l’immigration électrisent la campagne électorale. La veille, des dizaines de milliers de personnes se sont encore rassemblées un peu partout dans le pays pour crier leur colère contre le rapprochement opéré onze jours plus tôt entre la CDU et le parti d’extrême droite AfD autour d’un texte visant à durcir la politique migratoire de l’Allemagne.

"À chaque élection, c’est pareil : on tape sur les immigrés pour obtenir plus de voix. Bien sûr que certains causent des problèmes, mais ce n’est pas une raison pour nous mettre tous dans le même sac", se désole Khallof en buvant son verre de soda à petites gorgées. Même s’il a gardé sa doudoune, le garçon aux boucles noires et à l’imposante moustache n’a aucune intention de s’échapper. À l’aise, les coudes posés sur la table en bois clair, il raconte patiemment son parcours, l’histoire singulière d’un réfugié ordinaire, qui épouse celle de son pays d’accueil. (...)

Khallof al-Mohamad est originaire de Raqqa, dans le nord de la Syrie. En septembre 2015, alors que le régime de Bachar el-Assad et l’organisation État islamique ont plongé le pays dans le chaos, il entame ses études à Damas. Mais le jeune homme de 18 ans ne compte pas y faire de vieux os. Il rêve d’aller en Allemagne pour y mener une carrière d’ingénieur. Ça tombe bien : la chancelière Angela Merkel vient justement d’ouvrir ses frontières aux demandeurs d’asile syriens et irakiens arrivés par la route des Balkans. "Wir schaffen das !", "Nous allons y arriver !", promet la dirigeante, avec l’assentiment de la majorité de la classe politique et de la population. Plus d’un million de réfugiés sont ainsi accueillis en un an. (...)

"Je ne m’attendais pas à ce que soit si dur."

Il y a d’abord le problème de la langue, si difficile à apprendre et pourtant indispensable pour accéder à l’enseignement supérieur. Il y a ensuite celui de l’abitur, le baccalauréat allemand, pour lequel il doit obtenir une équivalence décernée par une école privée qu’il finance en pointant à l’usine. Il s’accroche, travaille d’arrache-pied et, au bout de trois ans, finit par être accepté à l’université. Il en ressort un brin désabusé. "J’ai essayé de me lier d’amitié avec des Allemands, mais chaque communauté restait dans son coin, avec les Allemands d’un côté, les Turcs d’un autre et les Syriens d’un troisième. Finalement, j’ai passé toutes mes études avec des Arabes."

Ingénieur, militant, bénévole

Dix ans après son arrivée, Khallof arbore le parfait CV. Ingénieur en bâtiments et travaux publics, il milite aux côtés de la CDU et œuvre au sein de l’organisation Caritas, où il met son expérience au service des nouveaux arrivants (...)

Pourtant, Khallof al-Mohamad n’est pas serein. Sa demande de nationalité, déposée il y a trois ans, reste sans réponse. Ça le rend triste. "J’ai toujours essayé de bien m’intégrer. Pourquoi n’est-elle toujours pas acceptée ?" Il constate aussi que le regard des Allemands sur les immigrés a changé. La faute, pense-t-il, aux récents actes de violence impliquant des étrangers et dont l’extrême droite fait son beurre. (...)

les conservateurs de la CDU exigeant l’accélération des expulsions, y compris vers la Syrie et l’Afghanistan.
Menacés d’expulsion

Le changement de régime en Syrie pourrait bien les précipiter. Moins de 48h après la chute de Bachar el-Assad, une dizaine de pays européens parmi lesquels l’Allemagne ont annoncé suspendre l’examen des demandes d’asile des ressortissants syriens. Un mois plus tard, la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser a présenté un plan pour la gestion des demandeurs d’asile et réfugiés syriens, comprenant notamment la révocation du statut de protection aux personnes impliquées dans des activités criminelles ou l’islam radical. Seules les personnes "bien intégrées", c’est-à-dire celles maîtrisant la langue et disposant d’un emploi et d’un logement, pourraient rester. (...)

Insuffisant pour l’union conservatrice CDU/CSU qui, par la voix de son porte-parole à la politique intérieure, a estimé que la raison de la fuite des Syriens n’était plus "d’actualité". L’AfD, de son côté, a distribué 30 000 prospectus sous forme de billets d’avion destinés aux "migrants illégaux" à qui elle propose un aller simple vers un "pays d’origine sûr". Départ : le 23 février, jour des élections fédérales où le parti d’extrême droite est crédité de plus de 20% des voix.

Khallof est révulsé. "L’AfD veut réduire les libertés. Elle va à l’encontre des valeurs fondamentales du peuple allemand. En Allemagne, il y a plus d’un million de Syriens, dont 300 000 travaillent, et parmi eux 6 000 médecins. On se focalise toujours sur les mauvaises personnes en ignorant toutes celles qui se comportent bien", reproche-t-il en avalant sa dernière gorgée. Au moment de régler l’addition, il insiste pour payer. "C’est vous qui êtes venus dans ma ville, vous êtes mes invités." Comment le lui refuser ?