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Mediapart
Israël : « La peur de l’Iran est une panique morale orchestrée depuis des décennies »
#israel #iran
Article mis en ligne le 17 juin 2025
dernière modification le 16 juin 2025

La menace iranienne fait consensus en Israël depuis longtemps et la guerre lancée par Benyamin Nétanyahou ne rencontre pas d’opposition. Rares sont ceux qui brisent cette unanimité. L’historien israélien spécialiste de l’Iran Haggai Ram est de ceux-là. Mediapart l’a rencontré.

Haggai Ram n’est pas prophète en son pays et il l’expérimente une fois de plus. Alors que les commentateurs israéliens se félicitent de la réussite de la guerre lancée contre la république islamique d’Iran et saluent les exploits de l’armée, alors qu’ils jugent qu’est ainsi en voie de disparaître un vieux et fondamental danger, l’historien affirme que la peur de l’Iran est irrationnelle et instrumentalisée.

Il y a un peu moins de vingt ans, il publiait, en anglais, Iranophobia : The Logic of an Israeli Obsession (Stanford University Press, non traduit), ouvrage dans lequel il décortique la construction intellectuelle et idéologique de l’Iran dans l’imaginaire israélien. Plus qu’une analyse stratégique, le professeur à l’université Ben-Gourion du Néguev, qui se revendique antisioniste, se livre à une analyse de la peur obsessionnelle des Israélien·nes envers le régime issu de la révolution islamique iranienne de 1979.

Haggai Ram travaille aujourd’hui sur les relations entre Israël et la Palestine mais, de passage à Paris, il a accepté de répondre aux questions de Mediapart sur la guerre lancée par l’État hébreu contre son lointain voisin. (...)

Vous estimez, vous, que cette menace existentielle n’existe pas. Pourquoi ?

Haggai Ram : Effectivement. Laissez-moi préciser d’abord que je ne suis pas un défenseur du régime iranien. Je considère que l’Iran est malfaisant à bien des égards et d’abord envers sa propre population. Il ne faut jamais l’oublier : le régime iranien représente moins un danger pour les autres pays, pour Israël en particulier, que pour sa propre population.

L’Iran n’a jamais dit qu’il voulait détruire Israël. Ce que l’Iran a déclaré et répété à maintes reprises, c’est que le régime sioniste qui occupe la Palestine disparaîtra un jour, tout comme le régime d’apartheid en Afrique du Sud a disparu. Or, cela ne vient pas de nulle part. Les représentants israéliens ont invariablement averti que le régime iranien devait être renversé. Il existe donc une sorte d’équilibre de la terreur entre les deux États. (...)

Un Iran nucléarisé, en possession d’armes nucléaires, ne constituerait-il pas une menace extrême ?

Cette idée qu’une fois qu’il aura acquis la capacité nucléaire, l’Iran l’utilisera contre Israël, est fausse. D’abord, elle va à l’encontre de ce que le régime iranien a affirmé à maintes reprises, à savoir que cette capacité était destinée uniquement à des fins civiles. Seulement personne ne le croit, car une campagne très médiatisée et très bien orchestrée a été menée pour discréditer les déclarations du régime iranien. En outre, de nombreux pays dans le monde possèdent l’arme nucléaire, dont certains, par leur instabilité, représentent un risque beaucoup plus grand que l’Iran.

N’oubliez pas non plus que l’Iran est également signataire du traité de non-prolifération, ce qui n’est pas le cas d’Israël. Et nous savons tous qu’Israël dispose d’un arsenal nucléaire très important. Je pense donc que les Iraniens ne sont pas jugés de manière équitable par le monde.

Nous avons vu l’Iran utiliser des proxies, le Hezbollah, par exemple.

Tous les États utilisent des proxies. Israël le fait depuis de nombreuses années. Lorsque l’Irak était son ennemi, il avait les Kurdes. Lorsque l’Iran est devenu un problème, il s’est tourné vers les États du Golfe. Les États-Unis pendant la guerre froide et la guerre du Vietnam avaient également leurs proxies. Quand il s’agit de l’Occident, cela ne pose aucun problème. En revanche, lorsque d’autres, généralement des populations non blanches et indigènes, ont leurs mandataires pour défendre leurs intérêts, cela devient un crime. (...)

Pourquoi, si ce n’est pour éliminer une menace existentielle, Israël a-t-il déclenché cette guerre contre l’Iran ?

Il y avait là pour Benyamin Nétanyahou une occasion à saisir. Pour lui, menacer l’Iran, c’est une carrière. Je veux dire que depuis vingt ans, c’est son domaine principal, en quelque sorte. Cependant, je ne pense pas qu’au fond de lui-même, il considère l’Iran comme une menace telle qu’il faille l’attaquer.

Son principal objectif, son désir principal, c’est de démanteler toute possibilité d’un État palestinien. Attaquer l’Iran est pour lui un moyen de détourner l’attention de la perspective d’une autodétermination palestinienne. L’objectif est de « terminer le travail » comme on dit en Israël, c’est-à-dire procéder au nettoyage ethnique de Gaza, et poursuivre la spoliation et l’oppression des Palestiniens en Cisjordanie.

Benyamin Nétanyahou a une autre raison : ces dernières années, il a exploité la menace iranienne afin de consolider son pouvoir, précisément parce qu’il doit être jugé pour des accusations très graves de corruption et autres. Je pense que sa principale préoccupation aujourd’hui est simplement de rester au pouvoir. (...)

Je me souviens très bien de Benyamin Nétanyahou disant il y a une dizaine ou une quinzaine d’années que la république islamique d’Iran était l’Allemagne nazie de 1939. Il exploite donc lui aussi les émotions peut-être compréhensibles mais irrationnelles que suscite la Shoah. (...)

Pourquoi, si ce n’est pour éliminer une menace existentielle, Israël a-t-il déclenché cette guerre contre l’Iran ?

Il y avait là pour Benyamin Nétanyahou une occasion à saisir. Pour lui, menacer l’Iran, c’est une carrière. Je veux dire que depuis vingt ans, c’est son domaine principal, en quelque sorte. Cependant, je ne pense pas qu’au fond de lui-même, il considère l’Iran comme une menace telle qu’il faille l’attaquer.

Son principal objectif, son désir principal, c’est de démanteler toute possibilité d’un État palestinien. Attaquer l’Iran est pour lui un moyen de détourner l’attention de la perspective d’une autodétermination palestinienne. L’objectif est de « terminer le travail » comme on dit en Israël, c’est-à-dire procéder au nettoyage ethnique de Gaza, et poursuivre la spoliation et l’oppression des Palestiniens en Cisjordanie.

Benyamin Nétanyahou a une autre raison : ces dernières années, il a exploité la menace iranienne afin de consolider son pouvoir, précisément parce qu’il doit être jugé pour des accusations très graves de corruption et autres. Je pense que sa principale préoccupation aujourd’hui est simplement de rester au pouvoir. (...)

Le chah d’Iran et Israël étaient tous deux engagés dans un projet similaire. Ils se percevaient tous deux comme des sociétés occidentales implantées en Orient, comme une Europe du Moyen-Orient.

Puis vint la révolution islamique de 1979, qui démontra qu’il s’agissait là d’un pur fantasme sans racines profondes. Je pense donc que beaucoup d’Israéliens, voyant ce qui se passait en Iran, ont craint que cela ne soit l’avenir de l’État d’Israël, d’où leur tendance croissante à exprimer leurs inquiétudes à propos de l’Iran. Mais leur crainte était que la révolution iranienne ne soit l’avenir de l’État sioniste. C’était il y a trente ans. (...)

Israël et l’Iran se rejoignent-ils dans cette dimension politico-religieuse ?

Absolument. Mais c’est le cas depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, cette convergence est radicale et spectaculaire. Mais ce n’est pas quelque chose qui est apparu du jour au lendemain. C’est un processus qui a commencé, je crois, en 1967, voire avant. Le contenu messianique du projet sioniste est devenu de plus en plus important. David Ben Gourion lui-même était très messianique. Il l’exprimait peut-être en des termes plus laïques, mais son message était très messianique.

Nous sommes confrontés ici à un phénomène très particulier. En effet, ce qui pousse généralement les États à s’affronter, ce sont leurs différences supposées. Mais ici, il s’agit d’un cas exceptionnel où les racines profondes de la crise et de l’animosité reposent sur des similitudes et non sur des différences. C’est un cas particulier qui n’existe nulle part ailleurs.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis très pessimiste quant aux perspectives d’un Israël prospère. (...)

En tant qu’antisioniste, je pense que cela pourrait peut-être ouvrir la voie, d’une manière que nous ne pouvons pas vraiment comprendre pour l’instant, à une solution plus viable au conflit israélo-palestinien. Peut-être vers une solution à un seul État.

Parce que cela ne peut pas durer éternellement. Vivre dans une situation de crise pendant une période aussi longue n’est une option viable pour aucune société.