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La vie des idées
Iran : la guerre contre les femmes
#iran #femmesvieliberte
Article mis en ligne le 16 juin 2024
dernière modification le 12 juin 2024

Actrices de la sécularisation et de la résistance, les Iraniennes sont la cible du régime depuis 1979. C’est sur cette toile de fond qu’éclate en 2022 le mouvement « Femme, Vie, Liberté ».

Le mouvement de contestation déclenché par le meurtre d’État de Jina Mahsa Amini, jeune femme kurde âgée de 22 ans, le 16 septembre 2022, pour cause de port inapproprié du voile, s’est rapidement transformé en un soulèvement insurrectionnel. Ce mouvement a ébranlé la légitimité de la République islamique et très vite gagné la sympathie de l’opinion publique internationale, grâce à la large médiatisation d’images – notamment via les réseaux sociaux – qui montraient des jeunes femmes dans les rues ôtant leur voile et scandant avec de jeunes hommes : « Femme, Vie, Liberté ! » À travers elles, l’hostilité que tous et toutes nourrissaient à l’égard du régime théocratique devenait palpable.

Une action collective inédite (...)

Ce n’était pas la première fois que les Iraniens (et en particulier les Iraniennes) se mobilisaient massivement pour contester les injonctions religieuses et les politiques autoritaires, ségrégationnistes et répressives de la République islamique. Mais cette fois-ci, en dépit des risques qu’elles couraient d’être blessées, emprisonnées ou tuées, ces jeunes Iraniennes ont opté pour une opposition frontale, initiant une action collective inédite sur plusieurs points.

(...) Au slogan fédérateur « Femme, Vie, Liberté ! » est venu s’ajouter celui de « Mort à la République islamique ! » et « Non au dictateur ! ». (...)

L’enjeu est de mettre en lumière l’intention du régime qui, derrière la stratégie d’invisibilisation du corps des femmes, œuvre pour discipliner et contrôler le corps social tout entier.

« La liberté est universelle »

Le 6 mars 1979, soit seulement 24 jours après le renversement de la monarchie (le 11 février), avant même l’établissement de la République islamique et alors que l’instauration du pluralisme politique semblait possible (en raison de la présence dans l’espace politique des organisations et partis non islamistes qui avaient participé à la révolution), Khomeiny déclara obligatoire le port du voile pour les femmes travaillant dans les établissements publics. Il marquait ainsi le début du processus d’invisibilisation et de stigmatisation des femmes. (...)

Mais la réaction des femmes, notamment à Téhéran, ne tarda pas. Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, une grande manifestation fut organisée dans la capitale pour protester contre l’imposition du voile. (...)

Durant un an, les femmes résistèrent, alors qu’elles risquaient ainsi d’être assimilées à des partisanes de la monarchie et de la contre-révolution. (...)

Le port d’une tenue islamique dans l’espace public fut donc progressivement imposé à toutes les femmes, âgées de 10 ans et plus, quelle que soit leur confession, et ce, sans qu’aucune loi le stipule explicitement.

Islamiser le corps des femmes

Finalement, le 9 août 1983, la République islamique décida d’imposer aux femmes le port de la tenue islamique en vertu de l’article 638 du Code pénal, selon lequel le « voile incorrect » ou « mauvais voile » était considéré comme un délit passible d’une peine de prison ferme (de 10 jours à 2 mois) ou de 74 coups de fouet. (...)

Dès lors, le corps des femmes constitue un enjeu de premier plan pour le pouvoir islamique. Cependant, les femmes (notamment les citadines issues des couches moyennes) ont commencé à narguer et à contourner la loi en faisant émerger une forme de résistance (bad hejâbi ou « mauvais voile ») contre laquelle la police des mœurs islamiques, mobilisée sous différents noms et organisations, mène une lutte acharnée depuis 1983.
Les femmes poursuivent leur révolution

Plus significative encore est la résistance des femmes aux lois et politiques discriminatoires engagées dans l’espace privé et dans la plus profonde intimité de leur corps. C’est en effet par la maîtrise de leur fécondité qu’elles ont commencé à résister aux injonctions religieuses et au modèle traditionnel de la famille préconisé par le régime théocratique.

Cette maîtrise de la fécondité a conduit à sa baisse rapide, passant de 7 enfants en moyenne par femme à la veille de la révolution de 1979, à 6,4 enfants en 1986, puis à 1,6 en 2021. (...)

Le recul de la fécondité et la réduction de la taille de la famille qui s’en est suivie ont partout modifié les relations affectives entre conjoints et entre parents et enfants. Cette transformation signifie aussi l’ébranlement de l’ordre patriarcal fondé sur la subordination des femmes aux hommes et des cadets aux aînés. Désormais, les relations familiales sont basées sur le dialogue et le respect réciproque, comme le confirment les résultats d’une enquête sociodémographique que nous avons pu réaliser en Iran en 2002

Fortes de cette expérience unique, les femmes sont devenues les principales actrices sociales de la sécularisation de la société iranienne. (...)

C’est en décembre 2017 qu’apparut à Téhéran le premier signe visible et emblématique d’opposition au port obligatoire du voile, au moment même où les manifestations de protestation économique commençaient à se propager dans les petites et moyennes villes de province. Une jeune femme âgée de 31 ans, qui s’était postée sur une armoire électrique située aux abords de l’université de Téhéran, débout, tête nue, tenant silencieusement son foulard blanc au bout d’un bâton, fut arrêtée et condamnée à un an de prison ferme.

Malgré cela, à Téhéran et dans d’autres villes, plusieurs dizaines de femmes l’imitèrent, lancèrent ce même défi à l’État théocratique et furent à leur tour emprisonnées et condamnées à des peines qui dépassaient celles prévues par le Code pénal islamique. Alors, changeant de stratégie, les femmes entreprirent de se filmer, laissant tomber sciemment leur foulard dans l’espace public. Les vidéos furent postées sur Facebook, Instagram, WhatsApp, etc.

À partir de l’hiver 2017, en parallèle des manifestations pour des revendications d’ordre économique, révélant l’extrême tension sociale qui ne cessait de s’intensifier sous l’aiguillon des répressions brutales (dont la plus sanglante fut celle de novembre 2019, avec des milliers de blessés et entre 300 et 1 500 morts parmi les manifestants), les actions de désobéissance ont très vite pris de l’ampleur dans l’espace public et virtuel : les femmes sortaient dans la rue avec un « mauvais voile » et postaient leurs photos tête nue sur les réseaux sociaux.

Dépassé par cette situation de crise sociale et politique, le régime théocratique a une nouvelle fois choisi la répression, en demandant au Conseil de la révolution culturelle de rédiger un nouveau décret sur le port du voile (entré en vigueur en juillet 2022) encore plus coercitif que le précédent.

C’est sur cette toile de fond que survint le soulèvement « Femme, Vie, Liberté » (...)
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