L’annonce par Macron de l’interdiction des téléphones portables en lycée et des réseaux sociaux jusqu’à 15 ou 16 ans est à l’image d’un moment politique obsédé par la surveillance et l’interdit. A l’image également d’un système éducatif toujours aussi peu démocratique, toujours plus autoritaire.
« La classe terminale parachève l’éducation à la citoyenneté active en approfondissant la question du débat démocratique. Il s’agit de s’interroger sur la manière dont, dans une société de communication et à l’ère numérique, les citoyens s’informent et échangent, pour préserver une véritable éthique de la discussion. » Voilà pour le programme officiel d’éducation morale et civique (EMC) en lycée. Dans le monde réel de la salle de classe, il en va sans doute autrement, surtout depuis l’annonce par Macron de l’interdiction des téléphones portables en lycée et des réseaux sociaux jusqu’à 15 ou 16 ans.
Au-delà de la nature des mesures claironnées et de leur hypothétique application, c’est leur mode d’énonciation qui devrait retenir l’attention : une annonce présidentielle aussi impérieuse que les mouvements du menton qui l’accompagnent. Pourtant, autant qu’on sache, la constitution de la 5e république ne donne pas au président le pouvoir de s’immiscer dans les prérogatives des conseils d’administration des établissements, notamment sur des sujets relatifs à leur discipline interne, pas plus que d’empiéter sur les responsabilités des parents et des jeunes, à moins de les considérer par principe comme irresponsables. Car pour justifié que soit le débat sur les réseaux sociaux et les portables, encore faut-il qu’il y ait débat et que toute décision fasse l’objet d’une concertation avec les principaux intéressés plutôt que d’une proclamation pontifiante formulée dans le cadre d’une mise en scène officielle voulue par les services de la présidence (Saint-Malo, le 10 décembre). Décision qui n’est d’ailleurs pas sans contradictions ni ambiguïté : très significative d’une certaine inconséquence, l’obsession maintes fois affichée par les politiques de « protéger » les jeunes des dérives des réseaux sociaux tout en leur refusant l’excuse de minorité lorsqu’il s’agit de les punir ; trop petits pour les réseaux sociaux mais assez grands pour la prison.
Contradiction également dans la stigmatisation indifférenciée de tous les réseaux sociaux, quelle que soit leur diversité, et la cannibalisation de l’information par les médias Bolloré. (...)
Mais en France, pour tout ce qui touche à l’éducation, la communication tapageuse est devenue la norme au détriment du débat démocratique, par exemple lorsqu’un chef d’état peut décider seul (février 2024), du port de l’uniforme pour 12 millions d’élèves. D’où ces interrogations : de quel régime politique s’agit-il et quelle est la nature réelle d’un système éducatif soumis à un pouvoir arbitraire, à une autorité qui se pose comme indiscutable ? Si les pouvoirs extravagants du président trouvent aussi facilement dans l’école un terrain d’application, c’est aussi parce que cette dernière s’est historiquement édifiée autour d’une hiérarchie centralisée et autoritaire où toute décision prise au sommet de la pyramide, le plus souvent dans le secret d’un cabinet, se répercute instantanément à chaque échelon de l’administration jusqu’aux établissements. La concertation, quand elle existe, vient toujours après la décision…(...)
L’infantilisation des personnels est en quelque sorte le pendant de l’infantilisation des élèves.
Ce type de gouvernance qui fait passer l’exercice solitaire du pouvoir avant le partage des responsabilités n’est pas sans conséquences. Le déni de démocratie se paye toujours : non seulement parce qu’un système éducatif non démocratique – en dépit des prétentions affichées par ses directives officielles – n’est pas compatible avec la formation de citoyens critiques et éclairés mais aussi parce que, à une autre échelle, la tradition d’obéissance à l’autorité fait de l’école une cible grande ouverte au risque du basculement politique qui vient, peu apte à s’opposer aux directives d’un ministre d’extrême-droite. (...)
La prétention inouïe de considérer l’école comme faisant dorénavant partie des prérogatives régaliennes vient encore renforcer la sujétion du système scolaire au bon plaisir du pouvoir politique, souvent réduit à la volonté d’un seul homme : quand un président ou son Premier ministre peuvent, d’un claquement de doigt, décider des programmes scolaires, des rythmes scolaires ou de la tenue vestimentaire de plus de 12, 5 millions d’élèves, bouleverser arbitrairement la nature du collège, on comprend que l’extrême-droite n’est plus une menace mais une réalité ou, plus exactement, que l’école dite de la république a su créer les conditions qui rendent possibles tous les abus de pouvoirs. »