
Trois personnes enfermées dans 10 mètres carrés. Des matelas au sol. La peinture qui s’écaille. Des sanitaires dégradés ou bouchés. Des fenêtres qui ne ferment pas. Un chauffage défaillant. Des douches constellées de taches d’humidité ou de salpêtre. De l’eau tiède. Des rats dans la cour. Des punaises ou des cafards dans les cellules.
L’inventaire qui vient d’être dressé dans les prisons françaises dit tout ou presque des conditions de détention indignes qui y règnent, génératrices de tensions et d’incidents, et, à terme, de récidive.
Le rapport annuel 2024 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), rendu public mercredi 21 mai et auquel Mediapart a eu accès, contient une litanie de situations anormales ou choquantes. Alors que la pénitentiaire absorbe la moitié du budget du ministère de la justice, la surpopulation carcérale galopante rend sa situation intenable. Selon les derniers chiffres du ministère de la justice, 82 921 personnes étaient incarcérées au 1er avril pour seulement 62 358 places de prison opérationnelles, avec 4 752 matelas au sol.
Continue depuis plusieurs années, la croissance de la surpopulation carcérale est qualifiée d’« inquiétante » et de « nocive » par le CGLPL, dont le rapport porte sur l’année 2024. Le nombre de personnes incarcérées augmente en un an de plus de 6 % (ou encore 400 détenus de plus par mois). Faute de places suffisantes, le nombre de matelas au sol explose, avec une « augmentation spectaculaire de 52 % ».
Parmi les détenus, le nombre de personnes en attente de jugement (les « prévenus ») augmente aussi (...)
la dégradation de la situation « se traduit par deux évolutions vers le pire », alerte le Contrôleur général. (...)
« La surpopulation crée des conditions de détention indignes », pointe le rapport. Dans les cellules, « l’espace par personne, une fois déduite la place occupée par le mobilier, est souvent inférieur à 3 mètres carrés. Dans un quartier pour femmes, dans des dortoirs de six places, on a même compté un espace de 0,94 mètre carré par personne ». Le phénomène touche aussi les centres et les quartiers de semi-liberté, ainsi que les quartiers pour mineur·es. (...)
Pour ne rien arranger, de nombreux établissements sont vétustes, et les budgets insuffisants pour les entretenir convenablement. (...)
Enfin, les surveillants sont en nombre notoirement insuffisant : il en manquerait actuellement six mille.
Conséquence de ces conditions de détention : les violences augmentent. (...)
Des loisirs et activités « utiles, bienfaisants, salutaires »
Dans ce tableau très sombre, le Contrôleur général insiste sur « l’enjeu essentiel de sécurité, d’évaluation et d’insertion » que constitue l’accès aux activités en prison. Mais qu’il s’agisse d’activités socioculturelles, du travail en prison, de l’offre d’enseignement ou d’activités sportives, l’offre comme l’organisation sont très insuffisantes, pointe le rapport. (...)
Le rapport du CGLPL était déjà rédigé quand, lundi 19 mai, le Conseil d’État a désavoué sur ce point précis la circulaire publiée par Gérald Darmanin en février, et rappelé que les activités en prison sont prévues par le Code pénitentiaire. Selon l’Observatoire international des prisons (OIP), plus de 150 activités pour détenus ont été supprimées depuis cette circulaire.
Le régime de semi-liberté largement sous-employé
Face à la situation d’ensemble assez catastrophique de nos prisons, le Contrôleur général regrette que le régime de semi-liberté soit largement sous-employé. Les juges peuvent y recourir soit pour les peines de prison ferme de moins de deux ans, soit pour les reliquats de peine à purger inférieurs à deux ans.
Le régime de semi-liberté « favorise la réinsertion des détenus en ce qu’il est lié à un emploi, à une recherche d’emploi ou à une formation professionnelle », rappelle le CGLPL. Or la France ne compte que 1 628 places de semi-liberté. (...)
Dominique Simonnot l’écrit : les professionnels qui travaillent en prison sont épuisés et les établissements deviennent ingérables. Elle qualifie de « régression » la solution trouvée par le garde des Sceaux, qui consisterait à construire de nouveaux quartiers de haute sécurité.
La contrôleuse générale invite Gérald Darmanin à faire preuve de plus d’ambition et de courage, par exemple « en suivant le chemin qui, prôné par l’immense majorité des professionnels, verrait des détenus libérés quelques semaines avant la fin de peine, encadrés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, comme au temps du covid ». Ou en « développ[ant] la semi-liberté, sous-employée, [et en] finan[çant] normalement les “placements extérieurs”, menacés de ruine financière ».
La contrôleuse générale s’inscrit ainsi dans la droite ligne du rapport de la « Mission d’urgence relative à l’exécution des peines », un document de 98 pages remis au ministre de la justice en mars, dont Mediapart a pris connaissance : il insistait déjà sur l’« indispensable retour à des taux d’occupation décents au sein des établissements pénitentiaires » et proposait notamment la mise en œuvre d’une « régulation carcérale ». Ce qui revient à dire qu’on ne devrait pas compter plus de détenus que de places. Gérald Darmanin n’en a tenu aucun compte, et assume une ligne répressive. (...)
« Punir est normal. Écarter un temps aussi, écrit Dominique Simonnot. Mais il n’est plus possible d’accepter les sanctions telles qu’elles sont devenues. Ni d’envoyer ceux qui ne respectent pas la loi, ou des malades, des jeunes, dans des lieux qui ne la respectent pas. »