
Dans la lignée de l’effondrement des Bourses asiatiques, les places financières européennes ont ouvert en très forte baisse lundi face à l’inflexibilité de Donald Trump concernant les droits de douane imposés aux partenaires commerciaux des États-Unis.
Vent de panique sur les marchés. Les Bourses européennes ont dévissé, lundi 7 avril, dans le sillage des places financières asiatiques qui se sont effondrées. En cause, l’inflexibilité de Donald Trump concernant l’offensive des droits de douane qu’il mène contre les partenaires commerciaux des États-Unis. (...)
En Asie, le mouvement est d’autant plus brutal que la Chine a répliqué à l’offensive douanière. Elle a annoncé vendredi, après la fermeture de nombre de places financières asiatiques, ses propres droits de douane, alimentant ainsi les risques d’escalade destructrice pour l’économie mondiale. (...)
Le "plus grand choc pour le système commercial mondial" depuis 1971
"Il est difficile de mettre en contexte l’ampleur du choc qui a résonné depuis le ’Jour de la libération’ mercredi dernier", nom donné par Donald Trump au jour de l’annonce des droits de douane "réciproques", soulignent les économistes de la Deutsche Bank. Ils évoquent le "plus grand choc pour le système commercial mondial depuis l’effondrement de Bretton Woods" (en 1971).
"La ’libération’ prend des airs de crise et de capitulation sur les marchés", abondent les analystes de Natixis. "La semaine dernière a marqué le début d’une vente historique sur les marchés", qui s’accélère lundi, souligne Ipek Ozkardeskaya, analyste chez Swissquote Bank.
Donald Trump est resté inflexible dimanche sur les droits de douane imposés aux partenaires commerciaux des États-Unis, son administration soulignant que plus de 50 pays avaient pris contact avec la Maison Blanche pour négocier.
Le président américain a lancé la semaine dernière une charge commerciale massive sous la forme de droits de douane très lourds, en particulier contre l’Asie et l’Union européenne.
L’offensive de la Maison Blanche, sans équivalent depuis les années 1930, prévoit un droit de douane plancher supplémentaire de 10 % et des majorations pour certains pays : 20 % de taxes pour l’UE, 34 % pour la Chine, 24 % pour le Japon ou encore 31 % pour la Suisse. (...)
Le pétrole et le bitcoin dévissent, cap sur les valeurs refuges
Les investisseurs fuient massivement les actifs perçus comme risqués, dont le pétrole et le bitcoin. (...)
Le bitcoin n’échappe pas au vent de panique qui s’est emparé des actifs risqués, la reine des cryptomonnaies perdant 10,44 % à 74 983 dollars lundi matin, peu après avoir touché un plus-bas depuis novembre.
Face au chaos commercial, les investisseurs se ruent vers toute valeur refuge qui leur permettrait de constituer une réserve de valeur, avec en premier lieu le marché de la dette, qui garantit un rendement aux investisseurs. (...)
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– (Mediapart)
Les marchés financiers sous la pression de Donald Trump
Soumis au bras de fer entre Donald Trump et la Fed, la banque centrale des États-Unis, les marchés financiers ont encore reculé en Europe et en Asie lundi 7 avril. L’hypothèse d’une crise de grande ampleur ne peut pas être écartée.
Les marchés financiers ont connu lundi 7 avril une journée mouvementée, alors qu’ils continuaient à digérer les annonces des droits de douane imposés le 2 avril par Donald Trump, sans vraiment saisir ses intentions. (...)
Donald Trump regarde ailleurs
La chute des marchés qui avait suivi l’annonce des droits de douane s’est donc poursuivie lundi. En fin de semaine, « l’effet Trump » du début de l’année avait déjà été effacé. Après l’investiture du président, le secteur financier s’était emballé, rêvant d’un nouveau cycle de privatisations avec l’action d’Elon Musk, d’un soutien croissant aux Big Tech, qui forment l’essentiel des indices états-uniens, et d’une nouvelle vague de baisses d’impôts. Le camp Trump semblait alors du côté de la finance et cela s’est traduit par de nouveaux plus-hauts historiques.
Les annonces du 2 avril, « jour de la libération » selon Donald Trump, sont venues mettre fin à ces rêves. La guerre commerciale contre le monde entier a corrigé les attentes de croissance et de hausses des profits que les marchés avaient anticipées. Une récession causée par la hausse des prix des importations et la fermeture de certains marchés extérieurs, alors même que bon nombre de ménages états-uniens croulent sous les dépenses contraintes, est devenue de plus en plus probable.
Tout cela nécessitait une correction. Le ratio du prix moyen des actions états-uniennes sur les bénéfices attendus l’an prochain (« price earning ratio » ou PE) est ainsi passé en quelques jours de 22 à 18. Toutefois, le caractère volatil du nouveau président et sa supposée volonté de « négocier » laissaient envisager de possibles amendements aux annonces du 2 avril.
Mais le week-end a réduit cette option en cendres. De jeudi à dimanche, Donald Trump, qui s’est rendu dans sa résidence floridienne de Mar-a-Lago, n’a pas envoyé un seul message rassurant pour les marchés. Chaque jour, il s’est adonné à des parties de golf de plusieurs heures, gagnant même un tournoi à Jupiter, à quelques kilomètres de là.
Dans ses rares interactions avec la presse, ses positions sont restées les mêmes : l’économie états-unienne est « malade » et les droits de douane sont un « remède nécessaire ». Et puisque, dans l’esprit de Donald Trump, cette « maladie », c’est le déficit commercial, pas question de négocier autre chose que la fin des déficits bilatéraux. Le problème, c’est qu’on voit mal alors quoi négocier de concret. (...)
Le bras de fer entre Trump et Powell
Depuis 2008, les marchés se sont souvent retrouvés proches de ce type de précipice où la baisse menace d’accélérer la baisse. Mais des contrefeux ont toujours permis à certains investisseurs de profiter de la baisse pour revenir dans le marché, parce que certaines perspectives restaient positives. Ce pouvait être la croissance des Big Tech, un retour d’une croissance un peu plus forte ou une intervention des banques centrales. Le marché se stabilisait et finissait par repartir.
Mais cette fois, les contrefeux sont très réduits. En réalité, le seul possible est une intervention massive de la Fed pour assurer la liquidité dont les marchés ont besoin et une baisse des taux pour favoriser le financement des entreprises et la croissance.
Vendredi, le président de la Fed, Jerome Powell, a confirmé à la fois que les effets des droits de douane seraient plus forts que prévu, et qu’il n’agirait pas dans l’immédiat. Le dilemme est délicat pour le président de la banque centrale. Soit il intervient sans changement de pied de Donald Trump et, de fait, il vient au secours de sa politique. Soit il ne fait rien en espérant que Donald Trump change de politique et il prend le risque d’un embrasement. (...)
Si la Fed ne fait rien, la crise financière sera le fait de son immobilisme et cela justifiera sans doute une future reprise en main de l’institution. Donald Trump peut penser qu’il est en position de force.
Lundi, sur son réseau Truth Social, Donald Trump exhortait ainsi ses compatriotes à tenir bon : « Ne soyez pas PANIQUEURS (un nouveau parti fait de gens stupides et faibles), soyez forts, patients et courageux. » Les marchés, une fois passé l’effet de la « fausse nouvelle » de CNBC, tablaient d’ailleurs plutôt lundi sur un scénario d’intervention d’urgence de la Fed. C’est ce pari qui faisait que la baisse des marchés états-uniens se réduisait dans la journée.
Les fonds d’investissement en première ligne (...)
Avec la déroute actuelle des marchés, ces fonds se retrouvent dans le viseur. La baisse des marchés a conduit plusieurs entreprises à suspendre les opérations de fusions-acquisitions, de vente et d’introduction en Bourse. Saint-Gobain, par exemple, a suspendu son projet de vente de son activité de verre automobile dont il espérait tirer 2,5 milliards d’euros. Mais, en réalité, c’est tout le monde du « deal making » qui est à l’arrêt pour une raison simple : les prix des actions chutent et personne n’est acheteur. (...)
Ces fonds étaient déjà un facteur de risque pour les marchés depuis le retour de la hausse des taux qui avait alourdi leur charge financière. En début d’année, ils pensaient s’en tirer avec la reprise des marchés. Mais désormais, le sol se dérobe sous les pieds de ces géants financiers et s’ils tombent, un scénario à la 2007-2008 n’est pas à exclure. Leur seul salut, ici, serait un sauvetage des banques centrales, mais il se fait attendre. En attendant, certains grands noms du secteur comme Bill Ackman, de Pershing Square, ou Stanley Druckenmiller, de Bridgewater, ont désavoué la politique de Donald Trump qu’ils avaient jusqu’ici soutenue.
Le risque d’un emballement
Or, au même moment, un autre front s’ouvre sur les marchés. Souvent, la crise financière dans les médias est réduite aux indices boursiers. Mais la baisse actuelle est beaucoup plus large. Elle atteint un des marchés qui se sont le plus développés depuis 2008, celui de la dette privée. (...)
Progressivement, le risque d’une réduction massive du financement des entreprises les plus fragiles se dessine. Privées de financement, beaucoup d’entreprises que l’on appelle « zombies » pourraient faire faillite ou réduire drastiquement leurs coûts.
Mais même les entreprises moins risquées sont touchées. (...)
C’est là que la spirale est de plus en plus menaçante. Dans des pays comme les États-Unis ou certains pays d’Asie, les revenus des ménages dépendent largement des performances des marchés. C’est notamment le cas des retraités. En cas de chute brutale, l’effet sur la demande dans ces pays peut être redoutable et venir accélérer le ralentissement de la croissance, et donc la réduction des anticipations des marchés.
Le déclencheur n’est pas la cause de la crise
Reste qu’il est important, à cet instant, de ne pas confondre l’élément déclencheur de la crise avec la crise elle-même. En 2008, la crise financière n’était pas une crise des subprimes, c’était la crise de la financiarisation de l’économie menée comme contre-tendance depuis les années 1980 à l’affaiblissement des gains de productivité. Cette fois encore, Donald Trump n’est que le déclencheur. La croissance états-unienne ne tenait en grande partie que grâce aux dépenses contraintes, notamment dans le système de santé privé, et au soutien de l’État.
La croissance mondiale est à la peine depuis la crise sanitaire, alors que les marchés financiers continuaient de vivre dans un monde parallèle tablant sur une accélération continue de cette croissance. (...)
Depuis 2008, les banques centrales ont maintenu une croissance minimale en soutenant les marchés et la dette. Ces deux leviers se sont alors, logiquement, détachés des réalités économiques et les secteurs financiers sont devenus quasiment des secteurs rentiers soutenus par les Big Tech et les dépenses budgétaires, après l’avoir été par les autorités monétaires. C’est d’ailleurs bien pour cette raison qu’ils se sont rangés derrière Donald Trump qui représentait ce secteur de l’économie capitaliste.
Récemment encore, les marchés financiers ont été lourdement soutenus par la bulle sur l’intelligence artificielle menée par le secteur technologique. Ce secteur est d’ailleurs, logiquement, lui aussi, en première ligne des pertes de ces derniers jours. (...)
Le récit consistant à dire que les droits de douane façon Trump constituent un « mal auto-infligé » par les États-Unis n’est pas faux, mais il est un peu court. Car si la majorité des électeurs de la première puissance capitaliste du monde ont été convaincus par le discours économique d’un Donald Trump qui applique ici, rappelons-le, son programme, c’est qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume de l’économie. C’est que le modèle de croissance états-unienne vanté en Europe était défaillant à produire du bien-être et que l’économie mondiale dansait sur un volcan. (...)
Si l’hypothèse d’une crise financière majeure se confirme, ce seront, bien sûr, les travailleurs qui en subiront les premiers effets. À court terme, par la hausse du chômage et par les conséquences des sauvetages bancaires et financiers qui interviendront. Mais comme en 2008 et 2020, la croissance pourrait alors encore s’affaiblir durablement, renforçant la pression sur le monde du travail. Ces attaques sont, plus que jamais, la seule vraie planche de salut d’un capitalisme épuisé.