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Guerre au Soudan : "Au Darfour, certaines personnes ont été déplacées pour la troisième ou quatrième fois"
#Soudan #guerres #armes #refugies #immigration
Article mis en ligne le 17 novembre 2025

Depuis le début du conflit en avril 2023, la guerre au Soudan a fait près de 13 millions de déplacés. Un demi-million de personnes ont notamment franchi la frontière du Tchad, à l’ouest du Soudan, pour se mettre à l’abri de la violence. Sarra Majdoub, experte indépendante sur le Soudan et ancienne membre du panel d’étude du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Soudan détaille pour InfoMigrants les particularités de ces vagues de déplacements.

Depuis le mois d’avril 2023, le Soudan est ravagé par des combats opposant les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah Al-Bourhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) menés par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit "Hemetti".

Deux ans et demi après le début du conflit, les Nations unies estiment que plus de 150 000 personnes ont perdu la vie et que près de 13 millions ont été déplacées, dont 8,6 millions à l’intérieur du pays et plus de 4 millions dans les pays voisins.

Le 26 octobre, la prise d’El-Fasher - capitale du Darfour du Nord - par les FSR, après des mois de siège, s’est accompagnée de massacres de masse et a entraîné une nouvelle vague de déplacements vers la ville de Tawila.
InfoMigrants : Il y a aujourd’hui près de 13 millions de personnes qui ont été déplacées au Soudan depuis le début du conflit en avril 2023. Pourquoi ce chiffre est-il aussi important ?

Sarra Majdoub : Ces déplacements s’expliquent par l’ampleur de la violence et des hostilités, qui ont touché la capitale mais aussi d’autres régions, accoutumées à la violence, comme le Darfour, ou le Kordofan, à l’ouest et au centre du pays. Au Soudan, presque toutes les régions sont touchées par les violences, même celles que l’on pensait être les plus sûres, comme la capitale par exemple.

Cela a mené à un déplacement très rapide mais aussi très large des populations. Des gens qui n’avaient jamais été confrontés aux déplacements, notamment ceux issus des classes moyennes, se sont retrouvés du jour au lendemain à fuir.

Il y a aussi des régions, comme le Darfour, où des gens se retrouvent sur les routes pour la troisième, quatrième, cinquième fois et des camps de déplacés qui ont été, de nouveau, changés de lieu. (...)

Le Soudan est en guerre depuis 50 ans. Le Darfour, notamment, a connu des cycles de violences en 2003, puis en 2007. Mais, jusque-là, la guerre s’était concentrée dans les périphéries du pays. C’est la première fois que le conflit se déplace aussi dans le centre du pays, dans la capitale. (...)

La plupart des personnes - près de 10 millions – ont été déplacées à l’intérieur même du pays. Les gens vont là où ils ont de la famille, là où c’est le plus simple pour eux.

Pour beaucoup, c’est vraiment un itinéraire très, très précaire. Ils n’ont presque rien, ils partent sans savoir où aller. Ces personnes s’installent le plus souvent un peu au hasard, là où ils trouvent plus de sécurité.

On remarque par ailleurs quelques différences selon les classes sociales. Beaucoup ont fui vers l’Égypte, notamment ceux appartenant à la classe moyenne. (...)

Depuis le Darfour, nombre de personnes sont parties au Tchad car la frontière est à seulement 20km d’Al Genaina, au Darfour. Les habitants d’El-Fasher, eux, se sont déplacés à 60km vers la ville de Tawila. Actuellement, on compte plus de 600 000 personnes dans cette municipalité. (...)

IM : Certains Soudanais ont quitté le Soudan et souhaitent s’installer dans un pays frontalier, ou au sein de l’Union européenne. Un certain nombre de pays occidentaux sont inquiets par ces mouvements de population. Quelle est votre réaction face à ces inquiétudes ?

S.M : Selon moi, elles sont un peu infondées. Je trouve même cela honteux et ridicule que les potentielles arrivées de Soudanais en Europe soient la seule chose qui inquiète les responsables occidentaux. Je rappelle que le conflit au Soudan a fait 150 000 morts et 13 millions de déplacés [dont 8,6 millions à l’intérieur du pays et plus de 4 millions dans les pays voisins, ndlr]. C’est l’une des pires crises humanitaires qu’on ait vécu ces 20 dernières années. (...)

Je pense qu’on devrait décentrer le regard de la question migratoire vers ce qu’il se passe à l’intérieur du pays et observer comment un État comme le Tchad peut accueillir un demi-million de personnes. Les gens qui sont allés en Libye - et dont une partie potentiellement en Europe - reste une part marginale des personnes fuyant la guerre au Soudan. (...)

C’est une crise qui mérite qu’on regarde le pourquoi du comment dans sa complexité et qu’on réalise que plus de huit millions de déplacés internes vivent dans des conditions déplorables. Pour la plupart, ce sont des familles et de personnes âgées. Regarder cela sous le prisme de la menace n’est pas un bon réflexe.
IM : Selon vous, les pays occidentaux ont-ils une part de responsabilité dans le manque d’éclairage mis sur le Soudan et dans le manque d’aide qui arrive aux déplacés internes ?

S.M : Oui, il y a une duplicité flagrante : des États soutiennent certaines parties prenantes du conflit et l’Europe ne fait rien contre cela. Je parle évidemment des Émirats arabes unis, un protagoniste important dans cette guerre qui supporte activement les Forces de soutien rapide. Ils sont directement ou indirectement impliqués dans les atrocités en cours aujourd’hui au Soudan.

Une guerre, ce sont davantage des flux d’armes que des flux d’hommes. Et pour stopper cette guerre, il faudrait stopper ces flux d’armes.

L’Union européenne peut faire agir et prendre sa part parce qu’elle a des alliés économiques et des alliés stratégiques qui sont en train d’alimenter [en armes, ndlr] cette guerre.