
Ce mercredi 14 août, l’intersyndicale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) appelle à la grève de ses agents pour dénoncer un plan social. Trois éducateurs racontent à « Libé » comment les suppressions de 500 postes de contractuels risquent de nuire aux conditions de vie des jeunes qu’ils accompagnent.
La trêve olympique n’aura eu de trêve que le nom. En pleine période estivale, la direction nationale de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a annoncé un plan social pour réaliser entre 1,6 et 1,8 million d’euros d’économies. Selon les calculs de l’intersyndicale regroupant la SNPES, la CGT, la SPJJ et la CFDT, environ 500 postes de contractuels seraient supprimés. Depuis cette annonce survenue le 31 juillet, l’intersyndicale livre bataille auprès du cabinet du ministre de la Justice démissionnaire, Eric Dupond-Moretti, pour éviter le non-renouvellement des contractuels et a déposé un préavis de grève pour ce mercredi 14 août. (...)
« J’ai du mal à sortir de l’état de choc »
Lina (1), éducatrice contractuelle dans un milieu ouvert du Grand Est
« Je suis partie en congé et à mon retour, la semaine dernière, j’ai appris qu’il me restait vingt jours pour dire au revoir aux gamins que j’accompagne depuis des mois. Cela fait dix-huit ans que je suis éducatrice spécialisée et deux ans que je travaille pour la PJJ comme contractuelle. J’interviens auprès des jeunes quand un juge a décidé qu’ils devaient être suivis après une infraction. Je les rencontre à un moment charnière de leur vie, où tout peut encore changer. (...)
J’ai rencontré un gamin de 13 ans qui a commis énormément d’infractions, lâché par l’aide sociale à l’enfance (ASE), et qui a subi des violences extrêmes. La première fois qu’on s’est vus, il était presque dans un état sauvage et m’a dit : “Toi aussi, tu vas me laisser tomber.” Mais non. La clé, c’est de ne pas le pointer du doigt, mais de lui répondre : “Je ne te lâcherai pas.” Alors qu’est-ce que je lui dis maintenant ? Je pourrais partir tranquille, j’ai un bon CV et de l’expérience, mais nos gamins, leur famille… Je leur dis quoi ? On est tellement en sous-effectif que je ne peux même pas leur présenter de remplaçant. J’ai du mal à sortir de l’état de choc. Je n’ai pas encore osé annoncer mon départ aux jeunes qui sont dans les situations les plus difficiles. Cet enfant dont je parlais… Je ne sais pas comment il pourrait réagir. »
« J’ai l’impression que l’on s’en fout de ces mineurs »
Laïla Bordeau, éducatrice titulaire en milieu ouvert en Normandie
« Je ne comprends pas quelle est la priorité du ministère. J’ai l’impression qu’on délaisse la jeunesse. Je suis éducatrice titulaire en milieu ouvert depuis que je suis rentrée à la PJJ en 2005. (...)
Dix ou quinze ans après avoir été suivis, énormément de gamins ont repris des études ou ont trouvé un emploi stable. Et certains se rappellent encore de phrases que j’ai dites, de moments de vie qu’on a partagés, des liens qu’on a tissés. Sans ces liens, on n’aurait aucune légitimité pour aider ces jeunes. Mais avec les restrictions budgétaires, mon unité perd quatre éducateurs contractuels. On va devoir s’occuper de 37 jeunes chacun alors que de la direction nationale sait que, au-delà de 25, on ne peut plus suivre. (...)
« Dans les foyers, on ne va plus pouvoir suivre »
Maximilien (1), éducateur dans un foyer d’Ile-de-France
« Quand j’ai commencé à la PJJ, il y a une quinzaine d’années, je ne voulais pas y rester. Mais je me suis pris de passion pour la protection des jeunes. Sauf qu’aujourd’hui, je réfléchis à changer de métier. Depuis l’adoption du code de justice pénale des mineurs en 2021, la PJJ s’effrite. La base de mon travail, c’est de tisser du lien avec les jeunes placés en foyer sous contrainte judiciaire. On fait un travail de long terme, de suivi sur l’année. On ne regarde pas l’acte, le comportement qui a conduit le jeune chez nous. On regarde l’enfant en souffrance et l’adulte en devenir. Un gamin ne change pas en un ou deux mois… (...)
Les éducateurs se sentent méprisés et quittent le navire. Mais sans éducateurs, il n’y a plus de PJJ, alors ces mesures, ça revient à cracher sur les jeunes. Même si je réfléchis sérieusement à changer de métier, même si je me dégoûte d’y penser. »