Le gouvernement d’extrême droite en Italie a un an. Giorgia Meloni qui accumule toujours les sondages positifs a navigué durant cette année en montrant en permanence un double visage : néolibérale sur la plan socio-économique, conservatrice traditionnelle sur le terrain sociétal. Le tout sans oublier ses racines « post-fascistes ».
Au lendemain des élections du 25 septembre 2022 qui avaient vu la victoire de Giorgia Meloni[1] et de son parti postfasciste des Fratelli d’Italia, le psychanalyste Massimo Recalcati avait écrit : « Si les Italiens ont voté pour Giorgia Meloni, cela ne signifie pas qu’ils désirent le retour du fascisme, mais qu’au contraire ils le considèrent impossible » (...)
Un an jour pour jour après la formation de ce gouvernement (22 octobre 2022) le bilan que l’on peut en tirer est d’abord celui d’un constant double langage. Giorgia Meloni s’est imposée comme une sorte de Janus politique. Elle présente en permanence deux visages. Sur le plan socio-économique, elle a confirmé une grande capacité d’adaptation aux contraintes européennes et a mis ses pas dans ceux de Mario Draghi. De même qu’elle n’a eu de cesse de proclamer sa foi atlantiste et son engagement aux côtés de l’Ukraine. Déjà on était loin des convictions souverainistes radicales de son parti et sur ce plan, elle se distingue nettement de son allié de la Lega.
Effacer l’antifascisme
L’autre visage de Meloni est plus conforme à ses origines politiques. Même si elle affirme que « l’ère fasciste appartient à l’histoire », elle n’a jamais renié ses affiliations idéologiques. (...)
l’extrême droite est en train de modifier la nature même de l’état et de la société italienne : c’est celui de l’antifascisme qui est la base de la constitution italienne. (...)
aujourd’hui, l’histoire est devenue un champ de bataille privilégié des Fratteli d’Italia. Il s’agit en général de tout mettre en œuvre pour nier la spécificité des crimes fascistes et de les englober dans une condamnation générale de tous les « régimes totalitaires ». Meloni souhaiterait transformer la fête nationale du 25 avril qui célèbre la victoire de la résistance sur le fascisme en une fête de « concorde nationale ». Quant à Ignazio La Russa, président du sénat[5] qui est le plus souvent en charge de rassurer la part nostalgique de l’électorat des Fratelli d’Italia, il affirme, de son côté, et contre toute évidence, « qu’il n’existe pas de référence à l’antifascisme dans la constitution ».
On peut dire que l’entreprise révisionniste est au cœur du programme de Meloni. (...)
Néolibéralisme et austérité
On a vu que le plan socio-économique Meloni s’était largement converti aux dogmes du social-libéralisme. (...)
De plus, dans ce domaine, la mesure la plus spectaculaire de son gouvernement a été de supprimer le revenu de citoyenneté (“pour mieux remettre au travail les Italiens”). (...)
Dans la même logique, Meloni a encore aggravé la flexibilité de l’emploi et refuse catégoriquement l’instauration d’un salaire minimum. La dimension sociale revendiquée par l’extrême droite se cantonne, en fait, dans l’aide aux accordée à certains secteurs des indépendants qui constituent la base de son électorat et qui se traduit par des réductions d’impôts et des mesures protectionnistes. (...)
“Dieu patrie, famille”
L’autre face du Janus qui permet à Meloni de continuer à séduire son électorat — elle occupe toujours largement le premier rang dans les sondages — est placée sous le double signe de sa devise “Dieu, famille, patrie” et de la “loi et l’ordre”. Son premier acte législatif a été l’interdiction de rave-party dont on pouvait craindre qu’elle puisse s’appliquer à toute manifestation publique. Elle a été obligée de faire marche arrière sur ce deuxième point. Sur le plan sociétal, sans toucher à la loi qui a dépénalisé l’avortement, elle met tout en œuvre pour le mettre hors de portée des femmes qui en font la demande. (...)
D’une manière générale elle tente de réduire les droits des minorités qu’il s’agisse de la communauté LGBTQI + ou, bien sûr des migrants.
Si elle n’a pu, comme elle l’annonçait dans sa campagne électorale, organiser le blocus naval des migrants, ceux-ci ont vu leurs droits drastiquement se réduire (notamment avec la suppression de la “protection temporaire” qui était accordée pour raisons humanitaires quand le statut de réfugié est refusé tandis qu’elle s’attaque à l’assistance médicale universelle [permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins]. Sans oublier l’ouverture de nouveaux centres fermés fonctionnant sur des critères arbitraires. Tout cela en dépit du fait que la criminalisation de la migration est un échec et que l’Italie a cruellement besoin de l’immigration pour faire face à sa crise démographique et aux demandes en main d’œuvre du patronat italien. (...)
En fin de compte, c’est une construction idéologique inédite que Giorgia Meloni tente de mettre sur pied : on y trouve tout à la fois un conservatisme traditionaliste[8], un souverainisme limité et mêlé au néolibéralisme et à l’atlantisme, le tout englobé dans un populisme démagogique qui ne peut toujours oublier ses racines profondes.
Un montage idéologique qui ne pourrait survivre si les positions de l’extrême droite n’avaient aussi profondément imprégné les mentalités et les [autres] partis, en Italie, comme ailleurs…