
Comment les déclarations de Trump sur Gaza ont-elle pu être prises au pied de la lettre dans “L’heure américaine” ? La séquence diffusée mercredi sur la chaîne info suscite la stupeur des journalistes du groupe qui exigent une réaction de leur direction contre le “tout-talk”.
Une erreur éditoriale magistrale, collective, catastrophique », déplore un journaliste du groupe. Du « Fox Info » pour la CGT de France TV. « Journalistiquement, éthiquement, déontologiquement et humainement […] déplorable et totalement inexcusable » pour le SNJ. Au sein des rédactions du groupe France Télévisions, les journalistes et leurs représentants sont consternés. Le « crash » qui a eu lieu à l’antenne mercredi soir dans L’heure américaine, pendant laquelle on a débattu de l’opportunité de transformer la bande de Gaza en riviera − soit du Trump au pied de la lettre − est vécu par les professionnels du service public comme une honte (...)
Six minutes ininterrompues
Dès le lendemain, la séquence a été retirée du replay. En raison d’« un traitement totalement inapproprié et regrettable », a indiqué la communication de la chaîne sur X. Nous l’avons supprimée de notre site et déplorons ce moment. » Pour mémoire, la séquence a duré six minutes, ininterrompues. Vers 22h30 mercredi 5 février, le présentateur de L’heure américaine, Julien Benedetto, indique en plateau « laissons la politique de côté pour un instant ». Il se tourne vers son invité, Frank Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie d’Île-de-France. Sur l’écran, le bandeau souligne le nouveau thème du « talk » : « Gaza “Côte d’Azur”, et si c’était possible ? » Le journaliste poursuit : « On a envie de voir si cette proposition de Trump a vocation à exister sur le plan économique […] La bande de Gaza en Riviera, est-ce que ça a du sens pour le professionnel du tourisme que vous êtes ? La bande de Gaza a des atouts, on l’a déjà dit… » Pas un mot pour les Gazaouis, sur les bombes, la guerre. (...)
Aucune réaction sur le plateau, les trois personnalités présentes écoutent l’échange sans tiquer. L’invité n’y va pas de main morte. Il est « satisfait » que le président américain prenne l’exemple de la French Riviera, et saisit l’opportunité de vanter les succès du tourisme en France en précisant « voyez, avant que demain Gaza devienne peut-être une French Riviera, il va y avoir quand même un peu de travail […] Et puis surtout, c’est la sécurité… Les touristes, dès qu’il y a la moindre chose… On l’a vu à Paris avec la grève des poubelles, tout de suite c’est des annulations ! […] Le touriste veut voyager “safe”. Donc Gaza : pourquoi pas, mais ce sera pas tout de suite, parce qu’il faut les infrastructures, un aéroport [sic] sûr, du personnel formé, et vous voyez le nombre d’hôtels à Paris : il y a beaucoup de travail. » Dans l’oreillette, apparemment, c’est le calme plat. Pourtant, six minutes, c’est long.
“Une ligne éditoriale qui part à la dérive”
D’autant que comme le souligne la CGT du groupe France Télévision, il faut plusieurs heures pour monter un plateau comme celui-ci. (...)
« Dans un JT, les sujets sont validés trois, quatre fois. Chacun a accès au conducteur et peut réagir sur un angle, un invité. Que s’est-il passé ? Nous sommes attente d’une réaction forte de la direction. » (...)
Tous pointent le virage éditorial du tout-talk pris depuis la rentrée : « c’est le terreau qui permet aux angles absurdes de se développer », explique un journaliste. Pas d’images, pas de faits, on discute sans recul « pour meubler » l’antenne, « au-delà du réel et à mille lieues du journalisme », tonne le SNJ. Mais personnels et syndicats sont unanimes : il n’est pas question de réclamer des têtes. « Et encore moins celle de responsables opérationnels, aujourd’hui mortifiés, qui n’ont aucun pouvoir décisionnaire sur l’évolution éditoriale de l’ensemble de la chaîne », défend la CGT (...)