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Mediapart
François Ruffin et les Insoumis : une rupture en entier, pas à moitié
#NFP #LFI #FrançoisRuffin
Article mis en ligne le 18 septembre 2024
dernière modification le 15 septembre 2024

En critiquant la stratégie de Jean-Luc Mélenchon avec parfois les mots du camp conservateur, le député de la Somme s’est mis radicalement à dos ses anciens camarades de La France insoumise. Illustration à la Fête de l’Humanité, où il s’est fait huer. Des sympathisants de gauche regrettent l’effet dévastateur de ces divisions.

François Ruffin avait jusque-là échappé à la confrontation directe avec La France insoumise (LFI). Mais samedi soir, sur la scène de l’Agora de la Fête de l’Humanité, l’abcès a été crevé. Raphaël Arnault, député LFI du Vaucluse, où il a battu le Rassemblement national (RN), a porté le fer le premier lors d’un débat avec le député-reporter, le communiste Nicolas Sansu et l’écologiste Marie Pochon sur l’union des classes populaires : « François, tu as blessé nombre de camarades, tu es dans la faute politique, diviser les classes populaires entre elles n’est pas la bonne façon de voir la période politique. » (...)

Un peu plus tôt, la foule avait largement hué le député de la Somme lorsqu’il a été annoncé. La rupture de François Ruffin avec LFI et Jean-Luc Mélenchon était déjà consommée, mais la violence avec laquelle il l’a justifiée ces derniers jours a frappé les esprits. Dans son livre qui vient de paraître, Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié (Les liens qui libèrent) et dans plusieurs entretiens médiatiques accompagnant sa sortie, François Ruffin a martelé ses désaccords comme aucun·e autre député·e purgé·e ne l’avait fait jusqu’ici, au risque d’employer des angles d’attaque conservateurs qui ont provoqué les réactions outragées des cadres insoumis. (...)

« La Fête de l’Huma, c’est comme une fête de famille, et on s’engueule en famille, ça fait partie du jeu », a tenté d’esquiver François Ruffin sur la scène de l’Agora, reconnaissant une « maladresse ». Mais il a tenu sa ligne : « J’ai un désaccord moral et électoral profond et dans la durée avec Jean-Luc Mélenchon et avec La France insoumise », a-t-il dit.

Et de citer une phrase prononcée par Jean-Luc Mélenchon lors d’une manifestation le 7 septembre : « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers [populaires]. Là se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche. Tout le reste, laissez tomber ! » « Je mets les choses sur la table : qui ici est d’accord avec cette ligne-là ? », enchaîne Ruffin, devant peu de mains levées et une foule toujours mutine. Il conclura en appelant à un grand congrès de la gauche pour poser les désaccords, et les dépasser.

Une charge qui ne passe pas (...)

« La Fête de l’Huma, c’est comme une fête de famille, et on s’engueule en famille, ça fait partie du jeu », a tenté d’esquiver François Ruffin sur la scène de l’Agora, reconnaissant une « maladresse ». Mais il a tenu sa ligne : « J’ai un désaccord moral et électoral profond et dans la durée avec Jean-Luc Mélenchon et avec La France insoumise », a-t-il dit.

Et de citer une phrase prononcée par Jean-Luc Mélenchon lors d’une manifestation le 7 septembre : « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers [populaires]. Là se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche. Tout le reste, laissez tomber ! » « Je mets les choses sur la table : qui ici est d’accord avec cette ligne-là ? », enchaîne Ruffin, devant peu de mains levées et une foule toujours mutine. Il conclura en appelant à un grand congrès de la gauche pour poser les désaccords, et les dépasser.

Une charge qui ne passe pas (...)

« Le constat, je le fais depuis ma ligne du front de la Somme : dans les Hauts-de-France, je suis le dernier député de gauche sans centre-ville dans sa circonscription. Dans le Midi Rouge, un autre coin ouvrier, c’est pareil. Soit ce sont des territoires qui, par essence, n’ont jamais accepté la démocratie et la République, soit on considère qu’il y a une bataille à mener ! » (...)

Même quand il ne parle pas explicitement de lui, Jean-Luc Mélenchon est donc là, accusé d’avoir fait le « choix de l’abandon » d’une partie de la France. Le reproche de fond porte sur le gâchis qu’aurait représentée la séquence 2022-2024. Là où Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, y a observé des « dynamiques militantes [et] électorales » encourageantes, François Ruffin y a vu la triste retombée d’un élan qui avait enfin placé les gauches sous l’hégémonie de leur aile la plus transformatrice.

Il mentionne à ce titre les 9,9 % obtenus par LFI aux européennes, plus de vingt points derrière le Rassemblement national (RN), et la dégradation très nette de l’image du parti et de son triple candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, dans l’opinion. « Où il vit ? », s’exclame-t-il à son propos dans le magazine Regards, en affirmant que son triomphalisme serait mal placé au regard des « faiblesses » accumulées par la gauche : des faiblesses « géographiques, presque partout hors des métropoles, […] sociale, dans le salariat modeste, [et] démographique, chez les personnes âgées ». (...)

À ses yeux, deux facteurs ont contribué à ce ratage. Une priorité excessive donnée aux quartiers populaires, qui aurait détourné la gauche de trop d’espaces sociaux et territoriaux ; et un style politique outrancier, « plus-radical-que-moi-tu-meurs », inadapté à une période où la population serait majoritairement en quête de stabilité et de protection. Lui-même dit se reconnaître dans la défense et l’exaltation du travail en vue de la transformation écologique, là où ce thème aurait été laissé en friche par LFI.

Guère surprenante, cette explication de texte a provoqué l’émoi pour deux types de raisons. D’une part, dans son livre, François Ruffin a accompagné ces considérations stratégiques d’anecdotes vachardes, et de jugements sévères à propos de ses anciens camarades et du plus illustre d’entre eux. (...)

D’autre part, le député de la Somme exprime certaines critiques selon un cadrage typique des attaques du camp conservateur contre LFI. Il accuse ainsi le camp mélenchoniste d’avoir ranimé la stratégie suggérée par une note de Terra Nova, vieille de treize ans, listant les segments sociaux qui pouvaient se substituer à une classe ouvrière perdue pour la cause. Si de nombreux intellectuels de gauche l’avaient critiquée à l’époque, la droite identitaire en a depuis fait le symbole d’une gauche multiculturelle, vouée aux minorités plutôt qu’au « petit peuple » ouvrier. (...)

Évoquant la honte d’avoir mené une « campagne au faciès » en 2022, il affirme que d’autres députés élus en province avaient « eux aussi [mis Mélenchon] bien en avant dans les cités, bien en retrait dans les zones pavillonnaires ». De quoi verser de l’eau au moulin des procès en « communautarisme » de LFI, soupçonnée de régler son discours pour capter un supposé « vote musulman ». Cyril Hanouna s’en est repu dans son émission.
Retour de bâton (...)

Dans le même ordre d’idées, Ruffin a aussi fait un parallèle malvenu en critiquant le « deux poids et deux mesures » de la parole insoumise, lorsqu’il s’est agi de réagir, en novembre 2023, au meurtre du jeune Thomas à Crépol et à l’agression de Mourad, un jardinier de Villecresnes. Si les zemmouristes avaient tenté de présenter le premier comme un « francocide » au mépris des faits, la seconde avait pour le coup un motif raciste avéré.

Dans un billet de blog cinglant, Manuel Bompard s’est emparé de ces approximations pour reprocher à François Ruffin d’alimenter « la lecture identitaire de la fachosphère » et d’arborer « un mode de pensée réactionnaire », n’ayant pas saisi l’universalisme concret de la « créolisation » vantée par Jean-Luc Mélenchon. Renvoyant le député de la Somme à une vision caricaturale des quartiers populaires, il lui rappelle qu’« on y trouve des ouvriers, des employés, des éboueurs, des ingénieurs, des aides-soignantes, des femmes de ménage ou des vigiles, [et qu’il n’y en a pas] que dans les grandes villes ». (...)

Au-delà du patron du mouvement insoumis, de nombreuses figures y sont allées de leur condamnation (...)

Pour sa part, François Ruffin reconnaît avoir trop longtemps « neutralisé » la spécificité et l’autonomie de la domination raciale, mais affirme « se corriger », et vouloir montrer « à Flixecourt et ailleurs » la nécessité d’y mettre fin. (...)

Mais le caractère très offensif de la critique portée par François Ruffin interroge, tant les forces en présence semblent disproportionnées. Le député de la Somme est dépourvu de tout appareil et financement significatif, à l’inverse de LFI qui peut compter sur la manne liée à ses soixante-douze député·es, sa force de frappe dans l’espace numérique, et l’important socle de fidèles et de sympathisant·es consolidé par Mélenchon lui-même. (...)

Dans l’assemblée qui débordait un peu sur l’allée, des sympathisant·es de gauche désabusé·es regrettaient les effets de cette séquence sur le Nouveau Front populaire (NFP), en se demandant bien comment la gauche s’en sortirait sans réunir les deux lignes qu’incarnent Mélenchon et Ruffin. « Il faut être vigilant. Même si le devoir moral de la gauche dont parle François est juste », confiait un militant de Picardie debout.

Le dialogue avec Charlotte Girard, artisane du programme « L’avenir en commun » lors de la présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017, n’a pas porté sur cette actualité brûlante, mais sur la crise de la Ve République et les vices de sa Constitution. Charlotte Girard avait quitté LFI en 2019 en dénonçant l’absence de démocratie interne. Le symbole parlait de lui-même.

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 (Regards)
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(...) Disons les choses simplement : là où Ruffin pose de façon très juste une problématique à laquelle la gauche doit s’affronter urgemment, c’est quand il dit qu’il faut parler à une France en entier, pas à moitié, cette fameuse « France des bourgs et des tours » dont il se fait le porte voix. Mais là où il convainc moins, c’est quand on ne l’entend parler que de la France des bourgs. C’est à cette seule France là qu’il donne visages et noms. La possibilité de coexistence d’une pluralité d’incarnations, de discours et de stratégies est un préalable pour que la gauche puisse un jour à nouveau prétendre à conquérir le pouvoir. Mieux : il va falloir d’urgence trouver les voies et moyens pour inventer un discours qui subsument les expériences différentes que les individus et les groupes d’individus font de leur vie, qu’ils vivent à la campagne ou dans les métropoles. Autrement dit, on ne peut pas construire la gauche en France mais aussi la France tout court si on n’est pas irrigué par toutes ces composantes.