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Blast
Florian, le terroriste imaginaire de Darmanin
#terrorisme #Darmanin
Article mis en ligne le 9 août 2024
dernière modification le 7 août 2024

Comment à partir d’un dossier judiciaire vide de preuves fabriquer un faux terroriste ? Florian D, 39 ans, le raconte ici. Témoignage exclusif (disponible en vidéo) décryptant l’instrumentalisation de l’antiterrorisme pour réprimer les contestation sociales et radicales.

Florian D., a été condamné le 22 décembre dernier, à 5 ans de prison dont deux ans et demi avec sursis pour association de malfaiteurs terroristes. Pour la justice, il était en train de former un groupe armé susceptible de s’en prendre à l’État ou des institutions. Drôle d’association de malfaiteurs, ou les sept condamnés ne se connaissent pas tous entre eux, et où, aux dires mêmes de l’accusation, aucune cible précise n’a pu être identifiée. Le dossier repose surtout sur des indices fragiles : des propos véhéments en privé, des confections de gros pétards, et quelques parties d’airsoft. Et le profil du « chef » présumé, Florian D, militant anarchiste qui a combattu Daesh avec les Kurdes en Syrie. S’exprimant pour la première fois devant la presse, cet homme de 39 ans qui a toujours clamé son innocence, dénonce auprès de Blast l’instrumentalisation de l’antiterrorisme à des fins de répression. (...)

Difficile de voir en cet homme affable de la graine de terroriste. Il est vrai qu’un terroriste n’en a pas forcément l’air. Mais quand même, on a du mal à l’imaginer, à le voir souriant, papoter avec ses collègues et les clients du petit café culturel et politique où il travaille dans une petite bourgade du Tarn. Il y a même mis sa petite touche personnelle, ajoutant aux stickers sur les mobilisations sociales ou l’autoroute A69, un autocollant « defend Afrin », ville kurde syrienne prise par l’armée turque début 2018.

Pour comprendre comment cet homme de 39 ans s’est retrouvé accusé de terrorisme, faut remonter 7 ans en arrière. En 2017. Jeune trentenaire de sensibilité anarchiste, Florian a un mode de vie marginal. Attaché plus que tout à sa liberté, d’où son surnom de « Libre Flot », il est itinérant et vis dans son camion. Il se rend régulièrement dans des ZAD, (...)

en ce mois d’avril 2017, la météo militante va le porter très loin, à près de 3500 kms de son pays. Dans le Kurdistan syrien.

Son but : combattre l’État islamique aux côtés des rebelles kurdes, qui en même temps que la guerre, mènent une révolution de type libertaire qui séduit cet amoureux intransigeant de la liberté . « Combattre les barbares de Daesh, il n’y a pas trop de questions à se poser vu les horreurs qu’ils commettent, explique-t-il. Mais en plus la société que développaient les Kurdes correspond à mon idéal. Une sorte de communalisme libertaire, une démocratie directe très décentralisée avec aussi une attention particulière à la libération des femmes, considérées comme la première nation opprimée du monde ».

On était juste des débiles, pas des terroristes

Il y restera jusqu’en janvier 2018, après la prise de Raqaa, la capitale de Daesh, à laquelle il participera. Sur ces 10 mois de guerre, il reste peu loquace : « j’ai perdu des camarades, la guerre c’est difficile, mais je suis fier de ce que j’ai fait ».

Sauf que les services français voient les choses d’un autre œil. (...)

Dès son retour, Florian se doute qu’il est surveillé (...)

loin de se douter qu’il est en fait en liberté très très surveillée. Le camion dans lequel il vit est truffé de micros, il est écouté H24, ses moindres faits et gestes sont épiés. « Et ça à partir de quelques conneries qu’on a faites, ils ont élaboré tout un scénario ».

En février 2020, une information judiciaire est ouverte.(...)

« Imagine, tu es avec des potes dans contexte festif on t’enregistre H24, et on ne sélectionne que ce qui peut coller à un récit préétabli. Chez à peu près n’importe qui tu vas trouver des trucs chelou. Au procès, nous avons obtenu les enregistrements d’une toute petite partie des écoute. Ils ont surtout montré les retranscriptions des écoutes. Tu as une parole en l’air incriminante à un moment, ils la retranscrivent, mettent trois petits points, puis reprennent avec un autre propos outrancier, et entre les deux il s’est parfois passé 30 mns. Tout ce qui n’a pas d’intérêt est oublié. Mon avocat a calculé que seulement 0,7% des écoutes avait été utilisés. En fait des extraits très partiels qui, mis a bout à bout, collaient avec le scénario de la DGSI ».

(...)

A l’arrivée, les sept personnes mises en examen ont été condamnées. Libre Flot a la plus forte peine, 5 ans dont deux et demi avec sursis. Compte tenu des seize mois déjà effectués en préventive, il est aujourd’hui libre sous contrôle judiciaire. « En fait, je pense qu’ils nous ont mis une peine entre guillemets acceptable par rapport à ce qu’on risquait (10 ans), en espérant qu’on l’accepte. C’est une peine qui ne nous ramenait pas derrière les barreaux ». Mais pas question d’accepter : six des sept condamnés ont fait appel. (...)

« Être considéré comme un terroriste par la justice, après ce que j’ai fait pour combattre le terrorisme, c’est une insulte que je ne peux pas tolérer ». Car ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce dossier kafkaïen : s’il ne s’était pas fait repérer en allant en Syrie faire la guerre aux terroristes, probablement Florian n’aurait-il jamais été condamné pour terrorisme.