
Privés d’au moins 5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances 2025, les élus locaux fustigent, tous bords politiques confondus, les décisions du gouvernement Barnier. Trois maires racontent à Mediapart les conséquences concrètes que pourraient avoir ces décisions dans leur ville, en particulier pour les services publics et l’investissement dans l’adaptation climatique
Les cinq milliards d’euros dont l’État souhaite priver les collectivités territoriales en 2025 ne passent pas. Municipalités, intercommunalités, départements et régions fustigent ces derniers jours à l’unisson les décisions prises par le gouvernement de Michel Barnier, dont ils estiment plutôt l’impact à 8 ou 9 milliards d’euros. Dans l’ombre du projet de loi de finances qui arrive dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 21 octobre, les collectivités préparent leur propre budget 2025 dans l’inquiétude. (...)
Ali Rabeh, maire de Trappes : « Dans nos budgets, chaque ligne correspond à un service public »
Pour l’instant, je suis dans une forme de déni. Ou plutôt d’espoir : j’espère sincèrement, vivement que le Parlement et le gouvernement reviendront sur les coupes annoncées. Ça fait des semaines que je dis à mes équipes : « Si on doit économiser un million d’euros, je ne vois pas ce que je pourrais couper. » On y est : les mesures du projet de loi de finances privent Trappes de 1,125 million d’euros. Pour nous, c’est énorme.
Un million d’euros, c’est à peu près ce que me coûte le soutien scolaire qu’on a mis en place en 2020. C’est un service public gratuit pour tous les enfants de Trappes.
Le jour où je renonce à ça, je démissionne de la mairie de Trappes. J’ai été élu pour ça.
À la mairie, nous sommes en pleine période de cadrage budgétaire. On enchaîne les réunions, on étudie les projections en attendant de prendre les arbitrages, secteur par secteur. Avec un million d’euros en moins, on pourrait appliquer la logique du rabot : on coupe un peu partout, avec le même pourcentage de baisse pour tout le monde. Mais ça sera très compliqué pour nous.
Les économies, on les fait depuis plusieurs années. On surveille chaque euro dépensé, on étudie chaque départ à la retraite pour savoir comment le remplacer… Ce n’est pas mon argent, je fais hyper attention à la façon dont on l’utilise. Pendant la vague de froid récente, on n’a pas chauffé les bâtiments publics, au grand désarroi de nos agents. S’il y a des gens à Bercy qui pensent qu’on se fait plaisir avec l’argent public, il faut vite qu’ils changent de job.
Il n’y a plus de « gras ». (...)
Sacrifier des choses, c’est renoncer à des services publics du quotidien, des choses très palpables pour les gens. À Trappes, on a aussi mis en place un service public d’apprentissage du français. On accompagne 150 personnes avec un parcours linguistique, une découverte des institutions de la République… Ç’a tellement de succès qu’on a une liste d’attente comme le bras et des ministres et préfets qui nous incitent à élargir le dispositif.
Pourtant, ce n’est pas une prérogative municipale, l’intégration. C’est une mission régalienne, que devrait prendre en charge l’État. Mais si je ne le fais pas, qui va le faire ? (...)
Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg : « Je ne vais pas fermer les places de crèche, quand même ! » (...)
. On parle beaucoup des 2 % de ponction de l’État mais il n’y a pas que ça. C’est un vrai effet cocktail ! Il y a aussi le gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la baisse du fonds de compensation de la TVA, la hausse de la fiscalité sur l’énergie… Pour nous, ça représente au moins 9 millions d’euros en moins sur le budget municipal.
Tout cela, à une période où les besoins sociaux explosent, avec des inégalités et une paupérisation qui se renforcent, et où le changement climatique demande des investissements d’urgence. Au lieu d’être à nos côtés, l’État vient encore alourdir notre charge. (...)
À un moment donné, franchement, on ne sait plus comment faire. Je me refuse de sabrer dans les services publics du quotidien. Ce n’est pas aux habitants de Strasbourg de payer le chaos budgétaire généré par l’État. L’effort de 9 millions qu’on nous demande, il correspond au budget de la petite enfance dans notre ville. Je ne vais pas fermer les places de crèche, quand même !
Si on coupe dans nos services publics, qu’est-ce que ça créera, demain ? Un pacte social fissuré ? Un lien de confiance encore plus distendu entre les habitant·es et la politique ? Des tensions, voire des formes de révoltes dans certains quartiers ? (...)
Michel Fournier, maire de Voivres et président des maires ruraux de France : « Le fonds vert, ça fait bondir » (...)
Nos collectivités auront des choix importants à faire. Mais l’horizon n’est pas très radieux. Un élément qui fait bondir, c’est la réduction du fonds vert, qui perd un milliard d’euros. C’est un dispositif qui intéressait toutes les collectivités, quelle que soit leur taille. Pour les petites villes comme les nôtres, ça avait une importance particulière. C’était un signal fort du gouvernement en faveur de la transition écologique, qui montrait que ce sujet est primordial. (...)
Chez moi, dans les Vosges, c’est paradoxal : on nous demande de ne plus utiliser le gaz mais on nous prive des sous qui nous permettaient d’installer des chaudières biomasse. On fait quoi, du coup ? (...)
Au bout de la chaîne, ce sont les maires qui subiront les mécontentements et les conséquences de ces coupes budgétaires. Les habitants qui seront énervés par telle ou telle décision, ils sauront nous le faire dire. Tout cela s’inscrit dans un contexte d’exigence de plus en plus grande envers les élus locaux.